L’espoir qui se soulève est immense ! (par une enseignante française Place Tahrir)

lundi 14 février 2011.
 

Place Tahrir : une banderole a fleuri dès le début de soirée, telle un bas d’écran d’une chaîne d’information : « breaking news : le peuple a fait tomber le régime ! ».

Mais le slogan de la soirée, celui qui sort de toutes les poitrines, qui rallume des yeux pourtant épuisés par ces 20 jours d’insurrection : « liberté, nous sommes libres, nous sommes dignes ». Ce que des jeunes, rencontrés rue Talaat Harb, ont griffoné à la hâte sur un morceau de drap (ci-dessous) : « Je suis un citoyen égyptien libre ! ».

L’explosion de joie dans les rues du Caire vers 18h, ce vendredi 11 février est à la mesure des angoisses et des colères qui ont suivi le discours du président la veille : « Je reste » avait-il dit, risquant ainsi de plonger son pays dans un chaos indescriptible. Le nombre de manifestants présents sur la place jeudi pour accueillir ce message, et celui annoncé pour ce vendredi dépassait tous les records. Mais le pacifisme de ce mouvement et sa détermination ont surmonté cette dernière provocation du raïs. Ce sont des millions de personnes qui sont descendues dans les rues du Caire bien avant l’heure de la prière du vendredi.

Vers 19h, la rue et la place Talaat Harb sont bondées, la rue Bassiouny de même. La barricade qui protégeait la place encore en début d’après midi s’est transformée ce soir en une batterie géante (video). On tape sur les tôles en scandant « Masr ! ». Je croise un jeune couple qui me prend à témoin en me montrant leur petite fille : « Elle, elle va vivre dans la liberté ! ». La joie, parfois mêlée de larmes, se lit sur tous les visages.

Il est clair que le nombre de ceux qui sont venus ce soir, fêter cette victoire, dépasse largement celui des manifestants, même celui des derniers jours. C’est aussi ce qui rassure sur la suite des événements. Au cas où l’armée penserait se libérer de l’engagement pris la veille, à satisfaire les revendications du peuple, – comme cela s’est déjà vu quelques fois dans l’histoire-, il sera très difficile d’inverser les gaz. C’est tout un peuple qui exige maintenant de construire une autre vie.

Je rencontre sur Hoda Shaarawi un homme qui porte encore sur le crâne les traces des combats contre les milices de Mubarak (celles que le raïs a « menacées » de punition dans son discours de la veille, après les avoir commanditées). Il n’a pas quitté la place depuis 18 jours, mais n’irait pour rien au monde se coucher maintenant. Je rencontre un autre jeune homme, qui a sous les yeux de curieux cernes très noirs et l’iris injecté de sang. Il m’explique : « J’ai été arrêté la semaine dernière, ils m’ont torturé à l’électricité ». Dans la soirée, un autre jeune homme nous montrera sur son portable une video de son amie qui a subi le même traitement : des électrodes sont placées sur chaque tempe, tout près des yeux.

La jeune fille a les mêmes cernes et les mêmes yeux injectés de sang. Il faut préciser que les arrestations n’ont jamais cessé depuis le 25 janvier, y compris après les discours de Souleyman promettant la libération de tous les prisonniers politiques. Beaucoup de ces arrestations, comme celle du bloggeur de Human Rights Egypt il y a quelques jours, ont été faites par la police militaire, généralement le soir en prétextant la violation du couvre-feu.

Je croise sur la place des jeunes qui armés de pinceaux et de peinture acrylique, ont entrepris de mettre tout le monde aux couleurs de l’Egypte, et je ressors de la rencontre avec une joue bariolée. Je suis congratulée, comme étrangère, d’être ici aux côtés du peuple égyptien. Il faut dire que la tension de ces derniers jours a réussi à chasser les derniers occidentaux présents.

La joie qui explose sur la place Tahrir, est à son comble quand je réussi à faire ce film vers 20h, après avoir tenté, en vain, de la traverser pendant une heure. Malgré l’euphorie généralisée, ce jeune lucide (à droite) brandit ce drapeau égyptien sur lequel il a écrit « Où est (à quand) le jugement ? ».

Il me faudra une heure pour parvenir de l’autre côté de la place, vers le pont aux lions, là où plusieurs « scènes » ont été installées et où des jeunes improvisent des chansons qui tricotent tous les slogans que cette place a pu entendre depuis trois semaines. Des immenses drapeaux sont soulevés par la foule (video) et la densité est telle qu’on se demande comment il n’y a pas plus de bousculades ou de malaises. Je vois plusieurs fois des barbus s’approcher de groupes qui sont en train de chanter les slogans recomposés pour leur lancer « Allah Akbar » que les jeunes reprennent plus ou moins vigoureusement, pour finir par repartir en chansons joyeuses.

Vers minuit sur la place, une « chenille » de jeunes sautillant de groupes en groupes entonne « On nettoie la place et on s’en va ! ». Et de fait, de nombreuses personnes attrapent des cartons, des poches plastiques et entreprennent un immense ménage, poursuivant l’élan citoyen qui n’a cessé d’animer ce mouvement depuis le début.

Dans mon périple de la soirée, j’ai parcouru presque systématiquement tous les rues que j’ai vues auparavant plongées dans les violences. Celles de la police à partir du 28 janvier, puis celles des milices à partir du 2 février et enfin celle, insidieuse des gens de la rue, mes propres voisins, les gens du quartier, simples mais crédules qui avaient fini par gober les discours gouvernementaux contre les étrangers et nous invectivaient de façon à peine voilée pour le simple fait d’exister. Tourner la page avec ces images de liesse, même si elles n’effacent pas les blessés et les centaines de morts, était plus que salutaire.

Je ne sais pas si le fameux « devoir de réserve » frappe aussi le bonheur, mais j’avoue ne pas résister au plaisir de m’en affranchir. Certes, on ne sait pas exactement de quoi demain sera fait, mais l’espoir qui se soulève est immense !"


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