" Avec Strauss-Kahn au second tour, on va au désastre " (entretien avec JL Mélenchon dans Le Monde)

samedi 12 février 2011.
 

Candidat potentiel pour le Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon entend bien élargir son audience en s’adressant à l’extrême gauche, aux socialistes déçus et aux abstentionnistes. Ne renonçant ni à sa " révolution citoyenne ", dont il voit l’illustration en Tunisie et en Egypte, ni à ses provocations pour " forcer le débat ", le député européen fait feu de tout bois. Il tape sur Dominique Strauss-Kahn, fustige la mollesse du PS, interpelle Olivier Besancenot pour qu’il se joigne à lui ou fait de l’oeil aux communistes pour mieux les convaincre.

Sachant que la direction communiste le fera encore attendre avant de prendre sa décision, en juin, le député européen n’a de cesse de répéter que sa présence en 2012 n’effacera pas le PCF et qu’il associera tous ses partenaires à sa campagne. Il le fera encore dimanche 6 février au congrès de la Gauche unitaire, la troisième composante du Front de gauche.

En attendant sa désignation probable comme candidat du Front de gauche, il esquisse son programme comme le " salaire maximum " pour plafonner les revenus des grands patrons ou sa volonté de renforcer la laïcité en amendant la loi de 1905. Il entend exister au maximum avant la primaire socialiste.

Un candidat pour le PS, les écologistes, probablement le NPA... il y a pléthore de candidatures à gauche pour 2012. En quoi voulez-vous faire la différence ?

Je vais porter la radicalité concrète avec cinq mesures emblématiques : la refondation républicaine du pays avec la constituante pour une VIe République, le partage des richesses avec, notamment, le salaire maximum, la planification écologique, la sortie du traité de Lisbonne et la construction d’une autre paix en toute indépendance des Etats-Unis. Voilà l’essentiel de la révolution citoyenne que j’appelle de mes voeux. Pour construire cet espace sémantique, il faut du temps, des campagnes et, disons-le franchement, une certaine dose de provocation qui force le débat.

C’est la raison du titre controversé de votre livre, " Qu’ils s’en aillent tous ! " (Flammarion, 2010) ?

J’ai traduit littéralement le slogan prototypique des révolutions en Amérique latine, utilisé partout là-bas. Je dois vous faire l’aveu que j’aurai pu le traduire par " Dégage ! ", le mot choisi en Tunisie et en Egypte. Je veux trouver un moyen de m’adresser aux gens autrement qu’avec des euphémismes auxquels ils ne comprennent rien.

Comment allez-vous vous y prendre ?

Nous avons deux tâches à accomplir : la première est de percer le mur de l’idéologie dominante.

Notamment avec une critique des médias qui ne doit rien à l’improvisation.

Le débat sur le populisme nous a beaucoup apporté, en termes d’adhésions. La seconde tâche est de rassembler le " précariat ", qui concerne aussi bien l’ouvrier d’usine payé à la tâche que l’ingénieur en CDD ou l’autoentrepreneur. La construction de notre discours politique oppose deux catégories : d’un côté, le peuple, de l’autre, l’oligarchie. C’est la matrice de notre modèle de révolution citoyenne.

Mais quelle crédibilité peut avoir quelqu’un qui a été vingt-quatre ans sénateur, ministre, qui appartenait donc à cette oligarchie que vous dénoncez ?

Vous confondez élites et oligarchie ! Je n’ai jamais eu de lien avec les oligarques. Au contraire, j’ai toujours combattu le capitalisme ! Toute ma vie au PS a été un engagement constant, à toutes les conventions, à tous les congrès depuis 1988 au prix d’une interminable mise en minorité. Je n’ai jamais eu peur de me remettre en question ! Beaucoup de gens de gauche partagent ce parcours.

Vous voulez aussi lancer une bataille sur le terrain de la laïcité...

Oui. La laïcité subit des mises en cause profondes et sournoises. Le camp laïc a un comportement étrange. Deux exemples : aux Lilas, une église est financée sur fonds municipaux et à Paris quatorze crèches loubavitch sont subventionnées par la mairie. De l’autre côté, le Front national récupère la laïcité d’une manière falsificatrice. Marine Le Pen s’en sert pour cibler l’islam. Les Français ne peuvent vivre en paix qu’à la condition que l’Etat soit strictement laïc.

Et que proposez-vous ?

L’abrogation des alinéas du 25 décembre 1942 ajoutés par le maréchal Pétain à la loi de 1905 ! Ainsi on pourra interdire toute subvention à la construction de lieu de culte.

Nous proposons aussi l’abrogation de la loi Carle de 2008, qui concerne le financement des élèves fréquentant des écoles élémentaires privées sous contrat d’association hors de leur commune de résidence, et l’extinction du concordat d’Alsace-Moselle. Il y aura bien d’autres propositions.

Comment entendez-vous combattre le Front national, que la gauche a toujours eu du mal à affronter ?

L’extrême droite est le diable de confort, le chien de garde du système au nom duquel le PS récuse toute compétition à gauche ; à droite, ils ont le même argument. J’ai souvent mis mes camarades au pied du mur en leur disant : " Si vous considérez que le FN est dangereux pour la démocratie, il faut l’interdire. " Sinon, il faut le combattre comme un parti politique ordinaire, thèmes contre thèmes, forces matérielles et militantes contre forces matérielles et militantes.

Selon les sondages, votre candidature ne séduit pas au-delà de 5 % à 6 % des Français...

Comme toutes les campagnes, celle-ci a son rythme. J’ai une première étape à franchir : celle des cantonales où je veux que le Front de gauche sorte avec un résultat à deux chiffres. Ça vaudra mieux que tous les sondages ! Si nous entrons dans la campagne présidentielle avec ce capital, cela change tout. Entre-temps vous aurez le congrès du NPA puis, en avril, le PCF se prononcera. Si tout va bien, sur la base de ma candidature, d’autres forces ou groupes vont élargir le Front de gauche au moment où les écologistes et le PS entreront dans une zone de grande turbulence avec leur primaire respective.

Mais Olivier Besancenot vous a déjà répondu qu’il ne se rallierait pas à votre candidature.

On va voir comment réagit le corps militant du NPA. Je vais leur redire " faisons ensemble ". Les dirigeants du NPA ne se rendent pas compte qu’il y a un épuisement de leurs bases face au raidissement et à l’isolement. L’autre gauche est une petite cohorte, un courant diffus dans la société. C’est cette gauche qui se cherche que je veux structurer en évitant qu’elle s’épuise et ne meure dans la dispersion.

Pensez-vous peser davantage depuis votre sortie du PS que vous ne l’avez fait quand vous étiez à l’intérieur ?

Oui, clairement. Le PS ne comprend que les rapports de force. A présent, il reprend mes mots. Mais lisez leur premier document programmatique. Il est bien moins ambitieux qu’en 2007. Et que pèsera-t-il sachant qu’il sera soumis à l’aléatoire du choix du candidat ? Si c’est Valls ou " DSK " qui gagne l’investiture, vous n’allez pas me dire que c’est la même chose que si c’est Royal ou Aubry !

Alors quel crédit donner à tous ces textes ? Pourquoi ne disent-ils jamais comment ils affronteront le capitalisme financier qui a abattu Georges Papandréou - le premier ministre grec - et ne leur fera aucun cadeau, si modérés soient-ils ?

Pourquoi faites-vous de Dominique Strauss-Kahn votre cible privilégiée au PS ?

Parce qu’il est le Fonds monétaire international (FMI) ! Je mets en garde les socialistes : si au deuxième tour de la présidentielle, c’est Dominique Strauss-Kahn, on va au désastre. Il incarne cette ligne qui a perdu la social-démocratie -partout en Europe. Il faut que le PS réalise que l’autre gauche repré-sente entre 12 % et 15 % dans ce pays. En tout état de cause, si c’est Strauss-Kahn au second tour, quoi que je dise, mes électeurs ne suivront pas.

Martine Aubry semble, elle, vous ménager...

Parce que les attaques contre moi ne sont pas comprises dans l’électorat socialiste. Alors un certain nombre de dirigeants comme elle, Ségolène Royal et même François Hollande, ont réalisé que cela ne menait nulle part de m’insulter comme l’ont fait Jean-Paul Huchon ou Manuel Valls. Je lance un défi aux socialistes : au lieu de me tirer dessus, critiquez mon -programme !

M. Besancenot dit que vous vous entendrez de toute façon avec le PS.

Parce qu’il en a besoin pour son congrès. Mais je ne veux pas jouer dans le petit bain de l’extrême gauche. Mon but, c’est de me battre pour mes idées, d’être en tête de la gauche, de faire la démonstration que le vote utile, c’est nous. Pas de devenir le supplétif du PS. Les gesticulations des socialistes susurrant que, de toute façon, je serai ministre ou que je négocie des postes n’y changeront rien. Appellerez-vous au désistement pour le candidat du PS ?

Et eux ? Le feraient-ils pour moi ? Le chantage sur le deuxième tour tue le débat. Le PS n’a pas de programme, juste un refrain : le vote utile. Je veux l’obliger à répondre sur nos propositions. Il faut que les socialistes comprennent que l’union n’est pas un combat des chefs mais un rassemblement du peuple sur un programme. S’ils continuent à répéter : " Otez-vous du premier tour sinon vous êtes des suppôts du Front national ! De toute façon quoi que vous racontiez, on s’en fout, au deuxième tour vous voterez pour nous ", ils n’arriveront à rien. A rien.


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