« Qu’ils s’en aillent tous » se dit aussi : « Dégage ! » (par Pierre Marcelle dans Libération)

lundi 7 février 2011.
 

Après Tunis, Le Caire, et en attendant la suite… La révolution, rien moins, et le même mot d’ordre : hier, « Ben Ali, dégage ! » et aujourd’hui, « Moubarak, dégage ! » En français dans le texte, s’il vous plaît, en référence tant à la langue du colonisateur qu’à sa Grande révolution, de 1789 et des Lumières, qu’à sa ministre des matraques et des canons à eau, Michèle Alliot-Marie. Un peu de tout cela, sans doute…

Est-ce parce que ce « dégage ! » sonne un peu violent, un peu vulgaire, aux aristocratiques oreilles que les fines bouches parlent si volontiers, quand « la rue » (sic) arabe s’embrase, de « contagion » ? Comme si l’exigence démocratique était assimilable à un choléra, une peste noire, une grippe espagnole, et son extension à une pandémie !

« Dégage ! »… De quoi se pincer le nez, en effet, n’est-ce pas ?

Et voici qu’il m’apparaît soudain que ce mot-là, cet impératif-là, ressemble foutrement à cet autre, plus civil de passer par un subjonctif de souhait, et énoncé dans ces termes : « Qu’ils s’en aillent tous ! » Ce n’est qu’une impression, bien sûr, mais c’est une impression forte. A considérer la façon dont est traité l’auteur de cette injonction (nous parlons bien sûr de Jean-Luc Mélenchon, alias « le bruit et la fureur »), craignons que les peuples du Maghreb ne se voient soudain affublés de quelque brassard vert frappé d’un croissant islamiste et d’un sabre terroriste, lesquels feraient à leur bras le répulsif équivalent des couleurs fascistoïdes que Plantu suggéra à celui du patron du Parti de gauche.

Sacré Plantu ! Sacré feignant, plutôt… Combien de fois nous l’aura-t-il fait, le coup du brassard, à la une du Monde ou ailleurs, comme un gimmick et le signe patent d’une ronronnante paresse intellectuelle ? C’est le risque, à dessiner comme à parler partout, de se répéter beaucoup. L’épisode de cette caricature banalement ignoble, mariant dans l’Express de l’autre semaine la fille Le Pen et le gars Mélenchon dans le même discours « néopopuliste » serait à peine anecdotique s’il ne venait à la suite, mais pas à la fin, d’une obsédante litanie, comme un grain de plus à l’infini chapelet de tous les dogmes.

Nous avions eu Manuel Valls, le contempteur des 35 heures, et sa « mélenchonisation des esprits » ; nous avions eu Daniel Cohn-Bendit et son « Mélenchon laboure les terres du Front national » ; nous avions eu Jean-Paul Huchon et son « Mélenchon pire que Le Pen ». Depuis, pas un jour sans que, par paresse comme Plantu, par tactique comme Cambadélis (voir Libération de mercredi) ou par ordinaire suivisme éditorial, l’antienne ne soit reprise dans tous les tuyaux, sur toutes les ondes et tous les plateaux.

Le balzacien (modèle Splendeur et misère des courtisanes) club de « la volaille qui fait l’opinion », comme chantait Souchon, en a fait une doxa. La tournante de leurs fauteuils musicaux l’affiche partout en une et la répète à propos de tout et de n’importe quoi. Tiens, la semaine dernière, au hasard de l’écoute de France Culture… Y aurait-on seulement parlé de Jaurès, sinon pour glisser que « de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, tout le monde se l’arrache » ? Certes. Et Sarkozy aussi, non ?

Ça ne vous rappelle pas les anathèmes de la même farine lancés des mois durant aux « nonistes » du référendum sur le traité constitutionnel européen, en 2005 ? A moi, si. Le résultat dudit référendum, lesté depuis d’une crise à bientôt quatre millions de chômeurs, aurait pu, crut-on, inciter nos bavards oracles à changer de registre, et, plutôt que nous agiter l’épouvantail d’un « nouveau 21 avril », à argumenter, ou, à tout le moins, considérer des programmes ;à s’interroger à propos de laïcité, de salaire maximum, de redistribution, d’Europe, du FMI dans la crise, du démantèlement des services publics dans l’Etat sarkozien, ou que sais-je… A travailler, quoi, en se demandant pourquoi le NPA de Besancenot, autre diable ponctuel promu en son temps « idiot utile du sarkozysme », est silencieux ; pourquoi, à la candidature déclarée au Front de gauche, la direction du PCF ne laisse s’opposer que celles, sauvages, d’André Gerin, alias « Dédé la Burqa », et de ce vieux stalinien de Maxime Gremetz ; pourquoi, au sein même du PS, il est des voix, et non des moindres, qui se refusent à réclamer pour le Front de gauche un trop précoce pilori…

Conscients des incertitudes planant sur leurs aléatoires « primaires », ces silencieux préfèrent laisser les crieurs publics « insulter l’avenir » dans d’imprudents jappements. La présidentielle, c’est dans quinze mois.

PS. Cesare Battisti… A tous ceux, nombreux, qui veulent sa peau, suggérons de méditer sur la censure des livres de ses défenseurs dans les bibliothèques de Vénétie (Libération des 22 et 23 janvier), et sur la très instructive tribune qu’a donnée Fred Vargas au Monde de jeudi."


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