Je suis en campagne... Bordeaux

jeudi 10 février 2011.
 

C’est une sorte de marathon de passer dans trois départements comme je viens d’y séjourner de jeudi à samedi. Il faut surtout d’abord bien faire ce pourquoi on est venu : prendre la parole de façon adaptée à la circonstance. C’est le plus simple. Il suffit d’avoir révisé avant quand c’est un sujet technique ou d’avoir fait un petit plan à mémoriser si la circonstance est plus informelle. D’autres fois l‘inspiration du moment fait son œuvre. D’une prise de parole il est attendu un effet de synthèse et d’information quand il s’agit d’un thème. Dans le cas où il s’agit d’un évènement local il faut donner à voir ce qu’il signifie dans un angle et une portée plus large. Sans oublier la mission qui consiste à dire tout haut et clairement ce que chacun connait bien mais ne sait si bien dire. C’est, au sens strict, la mission de « porte parole ».

La parole est un moment spécial de la vie de l’esprit. On se souvient d’une prise de parole qui vous marque autant que d’une chanson ou d’un texte. J’en témoigne. Un discours de Robert Badinter à propos d’une lettre d’amour en pleine campagne des municipales chante encore dans mon souvenir. Encore ne s’agit-il ici que d’une musique car le détail s’est évaporé. Mais j’ai des sons bien plus nets venant d’un discours de François Mitterrand, à propos du « bonheur », au Kursaal de Besançon. Je prends donc au sérieux cet exercice davantage qu’on l’imagine ! En fait c’est à quoi je crois qu’est voué pour l’essentiel mon travail. Il s’agit, d’une prise de parole à l’autre, de répandre des étincelles qui mettront, un jour ou l’autre, le feu à la plaine. Je n’ai jamais quitté de l’œil, comme intellectuel, cette idée de Marx selon laquelle « pour que les idées deviennent des forces matérielles il faut que les masses s’en emparent ».

C’est sans doute cette idée qui m’a écarté d’un certain quiétisme à la façon des hommes du début des « Lumières » pour qui penser juste était suffisant. Montaigne distinguant le privé du public pour ce qui est de l’expression des idées ne vaut, sur ce point, que pour son époque si cruelle. Car que rapporta enfin cette prudence et réserve à se contenter de penser en secret et en bonne compagnie seulement ? A Toulouse, l’homme de bien, philosophe libertin, pourtant entouré de mille précautions, Lucilio Vanini, fut condamné le 9 février 1619 pour blasphème, impiété, athéisme, sorcellerie et corruption de mœurs, à avoir la langue coupée, à être étranglé puis brûlé. Le hurlement de Vanini fut le plus horrible de cette séance si l’on s’en tient à ce qu’en dirent les témoins. De là je déduis qu’il vaut mieux crier à l’assaut qu’au bucher. C’est une morale de vie qui aide à n’avoir peur du combat que raisonnablement, c’est-à-dire courageusement, étant entendu que ceux qui n’ont jamais peur ne sont pas courageux mais seulement inconscients.

Je me suis écarté de mon carnet de campagne pour y revenir dans une meilleure ambiance qui dira tout ce qui se passe pour moi tandis que je vais et viens. A Bordeaux je retrouvais mes amis avant de tenir une séance de questions réponses avec mon ami l’avocat Gérard Boulanger. Il m’avait d’abord permis une sieste entre le repas et la librairie dans son logement du Bordeaux centre ville où se vit une ambiance bohème qui fait écho à mon très cher dixième arrondissement parisien. A la librairie il vint cent personnes écouter ce que j’avais à dire de mon livre sur lequel Gérard m’interrogeait. Je signais peu de livres car l’horaire se tenait de trop près. Bref passage à France Trois où le journaliste déclare à l’antenne qu’il vient juste de réaliser que je suis député de sa circonscription aux européennes tant il me voit peu dans le département. Cette fine remarque ne fait que souligner qu’il n’a pas suivi la campagne électorale, ni mes trois précédentes visites à Bordeaux dont lui-même ne sort jamais. Après avoir subi cela, qui passionna j’en suis certain les téléspectateurs, on me conduisit ensuite au lieu du débat du programme partagé contre « le capitalisme vert ».

J’y retrouvais André Chassaigne et quelques caméras venues dans l’espoir de nous voir nous tirer les cheveux. Il y avait aussi là six ou sept cents personnes venues, elles, entendre et observer. Il est vrai qu’il est extrêmement difficile d’impliquer un tel nombre dans un débat réel. Mais du moins fit-on leur part à quelques prises de parole après celles de la tribune. De tous ceux qui intervinrent pour cadrer le sujet je ne dirai rien pour ne pas laisser voir ma préférence pour Corinne Morel Darleux qui en un temps record de dix minutes déclina tranquillement les principaux axes sur lesquels construire du programme concret qui ne perd rien en route de son contenu radical. Mais la palme de l’éducation populaire revient à Maxime Vivas qui fit, avec le sourire, un exercice chirurgical et hilarant de démolition des fumées du « capitalisme vert » et de l’écologie de culpabilisation populaire.

On me reconduit à l’hôtel l’estomac pratiquement vide, détail qui m’échappa sur le moment tout absorbé que j’étais alors à décrypter ce que j’avais entendu. Car outre le sujet, il y avait un non dit, évidemment, celui de notre mutuelle candidature pour représenter le Front de Gauche, André et moi. Et à la faveur de quelques échanges j’ai pu mesurer que rien n’est vrai de ce qu’on lit ici ou là sur le caractère parait-il déjà convenu et accepté de ma candidature. C’est bien le contraire. Ici personne ne m’encouragea ni ne me soutint de quelque façon que ce soit parmi les dirigeants communistes présents. Plusieurs même, à l’inverse, m’expliquèrent différentes raisons, parfois contradictoires, pour eux de ne pas vouloir de ma candidature. Peut-être ma vision est-elle faussée par le fait que seuls s’expriment des voix qui y sont opposées. Peut-être. Mais peut-être que non. Le fait est que seules les voix contre s’expriment et que les autres ou bien n’y sont pas ou restent tétanisées. Et comme je n’ai jamais vu qu’une bataille soit gagnée sans être menée, je me demande comment tout cela se finira. Placé sous les feux de ceux qui s’opposent à ma candidature au Front de Gauche, ceux qui comme Olivier Besancenot ne se donnent même pas vingt quatre heures pour me rejeter, ceux qui comme Hamon font du zèle d’agression pour contenir la débandade de ses affiliés vers moi, plus les Plantu, et autres glaireux, j’ai besoin d’un ciré bien huilé pour marcher mon chemin sur le bord du toit. J’ai. Le Parti de Gauche est un ensemble effervescent, brownien à souhait, présent partout. Et une multitude anonyme m’accompagne de partout sur la toile comme dans la vie. J’avance. Quoiqu’il en soit, je suis en campagne.


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