La Pologne : lumières et ombres d’un grand peuple

mercredi 2 novembre 2022.
 

1) La Pologne de la Renaissance et Nicolas Copernic

Le 24 mai 1543, un chanoine inconnu de 70 ans rend l’âme à Frauenburg (aujourd’hui Frombork, en Pologne), une petite ville située à l’embouchure de la Bande, sur la mer Baltique. Publiée à sa mort seulement, son oeuvre va transformer le monde et la représentation que les hommes s’en font.

Un érudit de la Renaissance

De mère allemande et de père polonais, Nicolas Copernic naît en 1473 à Torún, ville de la Hanse sur la Vistule, qui, jusqu’en 1466, appartenait à l’ordre des Chevaliers Teutoniques, sous le nom de Thorn, avant d’être incorporée au royaume de Pologne. Celui-ci, sous la dynastie des Jagellon, est alors à son apogée et rivalise avec les États d’Europe occidentale.

Après des études dans la prestigieuse université de Cracovie, Copernic devient chanoine à Frauenburg, ce qui ne l’empêche pas de parcourir l’Europe.

En véritable érudit de la Renaissance, Copernic se montre ouvert à tous les domaines de la connaissance.

Il est à la fois théologien, médecin, mathématicien, économiste et bien sûr astronome (il a étudié cette science à Bologne, en Italie).

Il rédige un traité notable sur la monnaie et intervient dans les affaires politiques de son temps, notamment dans la lutte contre les Chevaliers teutoniques.

À la demande du pape, désireux de réformer le calendrier, il se lance dans l’étude des planètes et du soleil.

Copernic s’interroge sur la cosmologie de Claude Ptolémée, un astronome, mathématicien et géographe grec qui a vécu au IIe siècle de notre ère. L’Almageste, son traité fondamental, écrit vers l’an 141 de notre ère, passait jusqu’à la Renaissance pour la vérité établie. Il situait la Terre au centre de l’univers, le Soleil et les planètes décrivant de façon complexe différents cercles autour d’elle.

Le savant polonais découvre des incohérences dans la conception de Ptolémée et en conclut que le Soleil, et non la Terre, est au centre du système. « Après de longues recherches, je me suis enfin convaincu : que le Soleil est une étoile fixe entourée de planètes qui roulent autour d’elle et dont elle est le centre et le flambeau » écrit-il.

Plutôt bien vu... mais cette théorie le met en contradiction avec la doctrine traditionnelle de l’Église qui situe l’Homme, et donc la Terre, au centre de l’univers.

Craignant, à juste titre, les foudres de Rome et de Wittenberg, centre du luthérianisme alors en plein essor, Copernic attend l’approche de sa mort pour publier le fruit de ses travaux dans un traité écrit en latin, la langue internationale de la Renaissance, De revolutionibus orbium coelestium libri sex (Des révolutions des corps célestes). Il n’oublie pas une belle dédicace au pape Paul III pour revendiquer le droit à la liberté d’expression.

Quoique très imparfait sur le plan scientifique et dans sa conception d’un univers héliocentrique, organisé autour du Soleil, son traité s’impose très vite par son évidence. Nicolas Copernic libère les savants de leurs préjugés théologiques... À l’inverse, il conduit les théologiens à se méfier d’une interprétation trop littérale des textes sacrés.

La recherche scientifique s’émancipe de la théologie, l’une et l’autre se déployant désormais dans des champs distincts.

2) De l’union de Lublin (1569) à la paralysie administrative

Depuis l’union de Lublin de 1569, le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie forment la République des Deux Nations. C’est une monarchie élective et parlementaire ce qui signifie que le souverain est choisi par le Parlement (la Diète). Le roi est donc le serviteur des nobles, qui représentent 10% de la population.

L’« Âge d’or » de la Pologne se termine en 1572 avec l’extinction de la dynastie des Jagellons et l’accession au trône du fils de Catherine de Médicis, Henri de Valois. L’État polonais occupe la plus grande partie de l’immense espace que constitue l’isthme entre Baltique et mer Noire et sa population est supérieure à celle de l’Angleterre. Mais cette impression de puissance est illusoire car, deux siècles plus tard, le pays est englouti par ses puissants et gourmands voisins : la Russie, l’Autriche et la Prusse.

Comment expliquer la déliquescence de l’État souverain polonais et son démembrement par les puissances voisines ?

L’historien Louis Léger exprime bien la situation du pays à la fin du XVIème siècle : « Cet État qui, à ne considérer que la carte, apparaît au XVIIème siècle comme l’un des plus grands États de l’Europe, touche à de nombreux pays voisins mais n’a pas de places fortes. Il touche à la mer mais n’a pas de marins. Il a une noblesse vaillante mais il n’entretient qu’une faible armée... ». Autant dire que la Pologne n’apparaît pas comme une grande puissance européenne et cela ne va aller qu’en s’empirant.

La noblesse se renferme sur elle-même, pratique une intolérance religieuse exacerbée par le sarmatisme. Ce courant, qui irrigue les mentalités de l’aristocratie polonaise (la Szlachta) depuis le début du XVIème siècle, valorise les origines sarmates de la noblesse polonaise. Elle descendrait de ce peuple antique dont elle aurait hérité du courage, de la vaillance et du goût de la liberté.

Au même moment, elle s’englue dans ce qu’on appelle « la liberté dorée » : défense des privilèges, abus sociaux, tyrannie locale et concurrence entre seigneuries.

.Au cours du XVIIème siècle, la diète polonaise (« Sejm ») dilate ses compétences en octroyant des droits de plus en plus étendus à ses membres. C’est ce qu’illustre le liberum veto, mis en place en 1652. Cette expression latine signifie « j’interdis librement » est un principe constitutionnel inventé par la Diète selon lequel toute décision doit être prise à l’unanimité.

En usage entre 1652 et 1791, il permet à n’importe quel membre de la Diète de se lever et de crier « Nie Pozwalam » (« je n’autorise pas »). Sous prétexte que tous les nobles sont absolument égaux entre eux, la diète, qui prétend exercer la plus haute autorité, se réduit ainsi elle-même à l’impuissance en décidant que tous ses décrets doivent être pris à l’unanimité. Ainsi, un seul député provoque la dissolution de la Diète et le report des mesures envisagées à une nouvelle Diète.

Mais le plus gros problème posé par le liberum veto est l’intervention continuelle des ambassadeurs étrangers dans les affaires polonaises. Il est évidemment facile de s’assurer, au besoin à prix d’argent, la voix d’un seul député pour faire échouer telle ou telle mesure contraire à l’intérêt d’une puissance.

Pour l’historien Michel Mourre, « le plus extraordinaire est que avec une disposition constitutionnelle aussi absurde, l’État polonais ait encore réussi à survivre pendant plus d’un siècle. » Mais s’il survit, c’est sous perfusion de ses voisins. Aussi un proverbe voit-il le jour au siècle suivant : « Polzka Nierzadem Stoi » (« La Pologne ne tient que par son anarchie »).

par Charlotte Chaulin

Source : https://www.herodote.net/histoire/s...

2) Le 18 novembre 1738, le traité de Vienne met fin à la guerre de la Succession de Pologne

La Pologne déchirée

Cinq ans plus tôt, Stanislas Leszczynski a été élu pour la deuxième fois roi de Pologne.

Mais avec une monarchie élective devenue insensée depuis le « Liberum veto » de 1652, le trône polonais s’estt mis à la merci des querelles nobiliaires et les souverains des États voisins ne se font pas faute de s’immiscer dans ces querelles pour en tirer parti.

C’est ainsi que, désavouant le choix de la Diète polonaise en faveur de Stanislas, la tsarine de Russie Anna Ivanovna et l’empereur d’Allemagne Charles VI de Habsbourg envoient des troupes contre le roi élu.

Stanislas a un allié de choix en la personne de son gendre, rien moins que le roi de France Louis XV, qui a épousé sa fille Marie. La guerre se prolonge plus que de raison et, pour en finir, le cardinal Fleury, Premier ministre de Louis XV, impose sagement à Stanislas de renoncer à la Pologne.

Chaises musicales

On assiste alors à un curieux jeu de chaises musicales comme les diplomates de l’Ancien Régime en ont le secret :

– En échange du trône polonais, Stanislas obtient le duché de Bar et de Lorraine que la France convoitait depuis plusieurs décennies.

– En compensation de la cession de son duché à Stanislas, François de Lorraine, le gendre de l’empereur, reçoit le grand-duché de Toscane, dont le dernier titulaire, Jean-Gaston de Médicis, est mort sans héritier direct.

– L’infant don Carlos d’Espagne, qui revendiquait des droits sur le grand-duché de Toscane, obtient la Sicile et Naples, qui vont former le royaume des Deux-Siciles.

– Enfin, le roi de France reconnaît - mais du bout des lèvres - la Pragmatique sanction de l’empereur d’Allemagne Charles VI de Habsbourg. Celui-ci, qui n’a pas de fils, prévoit par cette ordonnance de transmettre le patrimoine des Habsbourg et le titre impérial à sa fille Marie-Thérèse.

Un malheureux concours de circonstances va néanmoins entraîner l’Europe dans une nouvelle guerre de Succession, d’Autriche celle-là. De son côté, Stanislas a à coeur d’embellir sa nouvelle capitale, Nancy, et à sa mort, en 1766, ses duchés de Bar et de Lorraine sont annexés par la France, comme prévu.

Source : https://www.herodote.net/histoire/e...

3) 17 février 1772 : Premier partage de la Pologne

Le 17 février 1772, la Pologne se voit amputer d’un tiers de son territoire par la Prusse de Frédéric II, l’Autriche de Marie-Thérèse et la Russie de Catherine II. C’est le premier des trois partages qui aboutiront en 1795 à sa disparition en tant qu’État.

La Pologne, cible des ingérences de ses puissants voisins Depuis plus d’un siècle, le vaste royaume de Pologne est l’objet de convoitises et le théâtre d’une lutte d’influence entre ses voisins.

Ses ennuis sont dûs à ce qu’en 1652 a été adopté le Liberum veto, une règle selon laquelle l’élection de son souverain doit se faire à l’unanimité des membres de la Diète, l’assemblée des nobles. Cette disposition condamne la Diète à l’impuissance, et constitue une invitation à intervenir dans les élections pour les puissances voisines. Dès lors, la succession d’un roi polonais dépend des tractations et compromis que la Suède, l’Autriche, la Prusse et la Russie négocient entre elles. C’est ainsi qu’au XVIIe siècle, Stanislas Lezczynski, soutenu par la Suède, alterne sur le trône avec Auguste II, qui bénéficie de l’appui de l’Autriche. Les deux sont définitivement écartés par la Russie, au profit d’Auguste III. À la mort de ce dernier, Russes et Prussiens s’entendent pour faire élire Stanislas II Auguste. Le nouveau souverain tente bien de mettre fin au Liberum veto, mais se heurte aux Russes et Prussiens qui l’empêchent.

Le premier partage et le chemin vers la fin de la Pologne

Ces influences étrangères privent la Pologne de son indépendance. Au tournant des années 1760 et 1770, elle devient un simple enjeu territorial entre la Prusse, la Russie et l’Autriche. Sur une suggestion de Frédéric II, roi de Prusse, les trois puissances annexent le 17 février 1772 un tiers du territoire de la Pologne, comptant 4 millions d’habitants (sur 12).

L’immoralité de ce dépeçage, complètement contraire aux us et coutumes de la diplomatie de l’époque, ne dérange pas le moins du monde les souverains. Ils confirment le partage le 5 août suivant, avec le traité de Saint-Pétersbourg.

La réaction est forte en Pologne, où les élites cherchent à moderniser les institutions politiques, avec le soutien de Stanislas II. En 1788, la Diète vote même une constitution libérale. Mais les voisins de la Pologne ne veulent pas de ce redressement national qui gêne leurs ambitions.

En 1792, à nouveau, d’un commun accord, ils annexent chacun une partie du royaume de Stanislas II. En 1795, ils répartissent entre eux ce qu’il en reste, faisant disparaître l’État polonais pour presque 130 ans.

Cette disposition réduit l’assemblée à l’impuissance et offre aux voisins des prétextes à intervenir à tout va...

4) 3 mai 1791 La Constitution polonaise dans l’élan de la Révolution française

Le 3 mai 1791, les réformateurs polonais font adopter par la Grande Diète une Constitution inspirée des principes libéraux de la Révolution française :

- elle abroge le liberum veto : ce principe vieux de 150 ans permettait à tout participant à la Diète de faire annuler une loi et paralysait de ce fait la vie politique du pays,

- elle déclare également la monarchie héréditaire et non plus élective,

- elle accorde aussi des libertés communales aux villes et place les paysans sous la protection du roi.

D’un partage à l’autre La nouvelle Constitution est soutenue par le roi de Pologne, Stanislas II Auguste Poniatowski. Mais les monarques voisins ne tolèrent pas la rénovation politique de la Pologne...

En 1772, déjà, la Prusse, l’Autriche et la Russie s’étaient partagé d’autorité une partie de ce vaste pays.

En 1793, la Prusse et la Russie récidivent. A l’appel des grands propriétaires de Pologne, les magnats, qu’inquiète le volet social de la Constitution, les troupes des deux pays envahissent le pays.

Un deuxième partage a lieu le 23 septembre 1793 malgré la résistance héroïque des paysans et des bourgeois guidés par un héros de la guerre d’Indépendance américaine, Tadeusz Kosciuszko.

Un troisième et dernier partage auquel participera l’Autriche effacera la Pologne de la carte le 24 octobre 1795, la plus grande partie du peuple passant sous la domination tsariste.

Malgré une tradition d’amitié qui remonte au mariage de Louis XV et au-delà, la France, empêtrée dans la Révolution, ne sera pas en mesure d’aider la Pologne. Napoléon s’y essaiera en créant un éphémère Grand-duché de Varsovie qui lui vaudra le soutien passionné de la noblesse polonaise. Mais sa défaite anéantira les espoirs de la Pologne et il faudra rien moins qu’une première guerre mondiale pour qu’elle recouvre une fragile indépendance... loin du lustre d’antan.

On en viendra à oublier que ce pays, qui donna le jour à Copernic, fut sous la Renaissance l’un des plus avancés d’Europe.


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