Réponse à Pierre sur "les nouveaux adhérents socialistes" et l’investiture de Ségolène Royal (Jacques Serieys)

lundi 11 décembre 2006.
 

Notre site a mis en ligne le 20 novembre une lettre ouverte de Nicolas Voisin (section de Montreuil) aux nouveaux adhérents du PS.

Peu de temps après, nous recevions un message signé répondant à cette lettre en forum. "Depuis le 16 novembre, de nombreux articles montrent du doigt les NOUVEAUX ADHERENTS en n’oubliant pas de préciser à 20 euros. Je suis un de ces nouveaux adhérents". Pierre explique être agacé par deux arguments :

- les nouveaux n’ont pas réfléchi

- les anciens (qui ont payé plus) subissent la loi des nouveaux

Je respecte l’honnêteté et la cohérence du message de Pierre L., de son point de vue, à savoir celui d’un nouvel adhérent engagé, qui a participé aux débats sur l’investiture socialiste pour les présidentielles et tient à faire respecter sa capacité de jugement et la sincérité de son engagement.

Je voudrais ici apporter quelques arguments de mon point de vue, celui d’un militant socialiste :

* qui craint la mort du PS comme parti utile aux couches populaires et aux progressistes de ce pays,

* qui essaie d’analyser la situation et de trouver les pistes pour sortir de cette impasse.

1) Les nouveaux adhérents

L’afflux des 93000 nouveaux adhérents représente une bouffée d’oxygène pour de nombreuses sections et fédérations socialistes qui s’étiolaient au fil des ans. Tel est le cas particulièrement en Aveyron où cela permet par exemple à la gauche de se reconstruire dans certains cantons après plus de 12 ans de disparition. Dans d’autres bourgs, la section végétait avec 5 à 6 adhérents et devient soudain un groupe nombreux et vivant, une force politique locale. Ce renfort va inévitablement peser positivement pour les prochaines élections et je m’en réjouis. Tout ce qui renforce la gauche face à la droite est bon à prendre.

La campagne d’adhésions du printemps 2006 participait aussi d’une tactique délibérée de l’appareil du parti pour s’assurer le vote d’investiture. Elle a réussi ; Laurent Fabius obtient 11000 voix de plus que lors du congrès mais voit son pourcentage baisser. Les pointages effectués en Aveyron, comme dans la plupart des fédérations prouvent un vote massif des nouveaux pour Ségolène Royal, sauf dans certaines fédérations où Dominique Strauss Kahn en bénéficie aussi.

Il est évident que les nouveaux ont adhéré pour renforcer la gauche et non pour participer à une manoeuvre d’appareil. Leur aspiration va-t-elle peser sur la direction du parti et sur l’orientation de Ségolène Royal ? Je compte, comme d’autres, trouver le moyen de nous faire comprendre par les nouveaux et aller dans ce sens. L’histoire réelle nous laissera peu de temps. Nous devons surtout éviter que beaucoup de nouveaux ne passent en 2 ou 3 ans du plébiscite au départ gronchon.

2) Les causes complexes de la victoire de Ségolène Royal

L’investiture de Ségolène Royal a revêtu l’aspect d’un raz de marée général, y compris dans des départements où le nombre de nouveaux adhérents était faible. On ne peut donc faire retomber sur les seuls nouveaux adhérents la responsabilité du vote socialiste interne en sa faveur. On ne peut non plus incriminer seulement le poids des médias et instituts de sondage en sa faveur, même si cela a pesé.

La défaite du 21 avril 2002 a généré parmi les militants et électeurs de gauche une soif de victoire en 2007, de renouvellement des idées, des personnalités et du rapport à l’électorat. Cette soif attendait la première occasion pour s’étancher ; ce fut la percée de Ségolène Royal, mieux identifiée à ces aspirations que les autres candidats socialistes.

La gauche du parti socialiste n’était pas en état de répondre à cette attente. Depuis le départ des chevènementistes, l’affaiblissement des poperénistes, l’explosion de la Gauche Socialiste (été 2002), cette gauche du parti socialiste était très affaiblie. Cela a laissé place à la motion "rénovatrice" NPS et à des personnalités ( Montebourg, Peillon, Emmanuelli...) dont le parcours a complètement désorienté des milliers de militants.

Parmi les choix funestes, le pire fut le refus par NPS d’une motion commune des Non pour le Congrès du Mans. Cette attitude préparait le ralliement de certains à la direction du parti ; en tout cas, elle reportait la confrontation politique au vote d’investiture pour les présidentielles. Or, ce vote d’investiture donne beaucoup plus de place à l’influence médiatique et à la personnalisation apolitique type 5ème république qu’au débat militant approfondi.

Laurent Fabius bénéficiait de peu d’atouts dans ce contexte. De plus, vu de l’Aveyron, un pourcentage significatif de la base ouvrière et syndicaliste du parti socialiste est réticente vis à vis de lui. J’ai plusieurs fois entendu lors de débats de section ou discussions personnelles l’argument : moi, je voterai bien si c’était possible pour la candidate Ségolène Royal et pour le programme de Fabius. Pierre dit à peu prés la même chose.

La synthèse du congrès du Mans puis sur le projet n’ont fait que nous conduire encore plus dans l’impasse.

L’appareil du parti a pesé de tout son poids en faveur de Ségolène Royal. Les meilleurs résultats départementaux proviennent de la Corrèze (n°1 du parti), de la Côte d’Or ( n° 2 du parti)... et de départements qui votent toujours avec la direction nationale comme les Bouches du Rhône, l’Hérault ou la Haute Vienne.

3) A nouveau sur la gauche du parti socialiste

Pierre a raison de refuser l’argumentation simpliste : "c’est la faute des nouveaux adhérents".

Un grand nombre de militants et cadres de la gauche du parti sont furieux aujourd’hui parce que celle-ci leur paraît affaiblie, sans perspective, à un point rarement atteint depuis 1905. 18% pour les fabiusiens, Trait d’Union (ex GS Mélenchon), Forces Militantes pour la démocratie et le Socialisme, les poperénistes, les chevènementistes revenus au PS ( JP Michel), Ambition socialiste ( Lienemann, Laignel), la majorité des cadres de NPS, de nombreux animateurs de Rénover maintenant, ce n’est pas une gifle : en langage médical, la gauche du parti est proche du coma.

Ce qui rend ce choc encore plus douloureux, c’est que tous les animateurs ou presque de la gauche du parti considèrent la victoire de Ségolène Royal comme la réussite d’un tournant social libéral qui risque d’être définitif vu l’ampleur du résultat et ses conséquences internes.

La principale question posée, c’est de savoir si la perspective de devenir majoritaire dans le parti ou au moins d’influer sur lui dans des dossiers majeurs est encore crédible. Même dans le cas d’un contexte difficile, la direction trouverait toujours un Montebourg pour capter temporairement des suffrages lors d’un congrès et maintenir la marginalité du courant socialiste et non social démocrate ou social libéral.

Conclusion :

L’ère ouverte par le congrès d’Epinay est terminée. La victoire de la gauche en 2007 peut en ouvrir une nouvelle. Dans l’histoire du socialisme, les victoires ont toujours renforcé les courants liés à la défense des intérêts des milieux populaires.

Une fois passées les présidentielles et législatives, nous trouverons le moyen d’une confluence avec une bonne partie des nouveaux adhérents et ouvrirons la porte du futur. A ce moment-là, plutôt que ces "nouveaux", je crains :

- d’une part le raidissement claniste de ceux qui ont cru réussir leur carrière en arrimant leur chaloupe au cargo "Ségolène Royal",

- d’autre part le ressentiment de militants populaires sincères qui avaient identifié leur espérance dans l’image médiatique de Ségolène Royal.

Amis et camarades nouveaux adhérents qui avaient rejoint le parti socialiste pour "changer la vie", parce que vous êtes de gauche, parce qu’un "un autre monde est possible" : Merci, même si vous venez de voter pour Ségolène Royal lors du vote d’investiture interne.

Qu’est-ce que le socialisme ? D’abord un mouvement réel face à l’ordre injuste des choses. En être partie prenante, commence par l’adhésion à un parti puis continue par le choix collectif des orientations. Pourquoi merci ? nous avons un débat à mener ensemble, mais un jour proche, nous nous retrouverons, j’en suis sûr.

Jacques Serieys


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