La caste des patrons d’État

dimanche 30 janvier 2011.
 

Dans les Grands Patrons en France  : du capitalisme d’État à la financiarisation, François-Xavier Dudouet et Éric Grémont dressent le portrait d’une oligarchie qui a bénéficié des grandes privatisations des années 1980.

« Nous sommes face à une élite qui, pour survivre et continuer de s’étendre, a quitté l’État afin de gagner la seule entité où elle puisse continuer son expansion, l’entreprise mondialisée. » Auteurs d’une étude sur les spécificités du patronat français (1), le sociologue François-Xavier Dudouet et l’économiste Éric Grémont participaient, mardi soir, dans le cadre feutré d’un café « histoire » organisé par l’association Thucydide dans un bistrot proche de la Bastille. Membres de l’Observatoire politico-économique des structures du capitalisme (Opesc), les deux chercheurs corroborent en tout point le témoignage d’Éric Verhaeghe…

L’ancien directeur des affaires sociales de la FFSA, représentant du Medef dans diverses institutions paritaires, dénonce le sport le plus répandu dans les couloirs du patronat  : « Pour y être reconnu, il faut sacrifier à la litanie de l’État incapable, des fonctionnaires fainéants et incompétents, des impôts toujours trop élevés, et de cette manie française de mettre l’administration partout. (…) En réalité, les liens entre l’État et la sphère économique sont étroits, et le discours hostile à la fonction publique est souvent le fait de fonctionnaires qui cherchent à éclipser leurs origines professionnelles. Mais le rejet de l’État chez les fonctionnaires transfuges dissimule une autre vérité  : l’affirmation pure et dure de la subordination nécessaire de l’État aux intérêts privés. L’État en France n’est accepté que dans la mesure où il est à la disposition des intérêts particuliers des puissants. »

Rappelant que 45% des entreprises du CAC 40 sont dirigées par d’anciens hauts fonctionnaires, énarques passés par l’inspection générale des finances – le corps le plus prestigieux de l’État –, François-Xavier Dudouet évoque la répulsion que suscite le qualificatif de « patrons d’État » chez ceux qu’il désigne pourtant avec perfection. Et de citer Henri de Castries, PDG d’Axa, ou Jean-Marie Messier, ex-patron de Vivendi… « Dans les années 1980, on a privatisé la France, et les banques en particulier, et ceux qui ont organisé le retrait de l’État ont bien souvent été portés à la tête des entreprises privatisées, pointe le sociologue. Aujourd’hui, à l’exception d’une minorité, les grands patrons ne sont plus détenteurs du capital. Ce sont des salariés comme tout un chacun, mais eux s’enrichissent massivement  ! C’est cette situation qui fait scandale lorsque l’on parle des rémunérations… » Éric Grémont démonte l’opération de mystification qui inspire les grandes décisions économiques. « On a des castes dominantes qui sont bien installées, qui invoquent le libéralisme  : “Ah, il faut réduire les coûts  !” Mais, derrière, le système maintient le système de l’accès réservé à la monnaie et des faillites interdites pour les grandes banques… » En appui, François-Xavier Dudouet pointe une « minorité qui a réussi à s’émanciper du contrôle démocratique pour pouvoir bénéficier des largesses de l’État. On le voit à travers les aides aux entreprises et surtout à travers la création monétaire… La monnaie n’étant plus sous le contrôle de l’État, ces élites émettent elles-mêmes de la monnaie  ! »

(1) Les Grands Patrons en France  : du capitalisme d’État à la financiarisation, de François-Xavier Dudouet et Éric Grémont. Éditions Lignes de repères, 2010, 18euros.

T. L.


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