Collectif National 29MAI - Canevas de débat pour une Charte antilibérale

mercredi 6 décembre 2006.
 

La déclaration finale de la réunion des collectifs des 3 et 4 décembre dernier a proposé d’élaborer une Charte antilibérale qui devrait voir le jour en mai prochain, lors des assises nationales des collectifs. La rédaction s’appuiera sur le débat de contenu qui se va se déployer au travers de forums ouverts au plus grand nombre. Pour faciliter ce travail, la demande est venue d’un document présentant une première trame de thèmes communs, afin de simplifier et de rendre plus cohérent le travail collectif. C’est cette trame qui est ici proposée.

On rappellera simplement qu’il ne s’agit pas, en quelques mois, de construire “ LE ” projet alternatif au capitalisme, clefs en main. Il s’agit plutôt d’aboutir à quelques principes et mesures phares, que nous pouvons porter unitairement et qui marqueraient une rupture nette avec la forme actuelle du capitalisme mondialisée qu’est le libéralisme. Ces mesures valent moins par leur détail ou leur accumulation que par leur cohérence d’ensemble : on sait que la gauche au pouvoir a particulièrement péché dans ce domaine, alors que les libéraux jouent depuis longtemps le mariage de la cohérence d’un projet global de long terme et de la souplesse d’action immédiate.

Ce document n’est pas exhaustif : il s’organise autour des principaux axes de l’offensive libérale qui appellent des ruptures et des alternatives. Il reprend surtout les questions qui reviennent souvent dans les débats et qui semblent pouvoir aboutir entre nous d’ici le mois de mai. Ce document n’est pas une synthèse : elle sera le résultat de nos travaux. Il est un court état des lieux et une première ébauche de ce que pourraient être les têtes de chapitre autour desquelles organiser le débat pour bâtir nos propositions communes.

• Les politiques néo-libérales se développent depuis plus de vingt ans à l’échelle de la planète, d’ “ ajustement structurel ” dans les pays du Sud en “ déréglementation ” généralisée partout. Mettant à profit la dégradation des rapports de forces sociaux inhérents au chômage de masse et le désarroi idéologique découlant des échecs des tentatives passées de transformation sociale, le néo-libéralisme a entrepris une remise en cause systématique des conquêtes de plus de deux siècles de luttes sociales et démocratiques, orchestrant un véritable “ recul de civilisation ” selon l’expression de Pierre Bourdieu.

• Cette offensive tous azimuts vise au premier chef à modifier substanciellement le partage des richesses au bénéfice des profits et des détenteurs de capitaux, à élargir la sphère du marché, de la concurrence et de l’appropriation privé, à désarmer les capacités d’action publique et d’intervention de la volonté démocratique dans l’économie.

• Tous les pays industriels développés ont été dominés par ce dogme libéral : trop de contraintes, pas assez de fluidité, trop d’État et trop de réglementations sociales... Pourquoi ce dogme s’est-il imposé ? Pour augmenter la “ profitabilité ” des investissements privés en répartissant d’une autre manière les richesses disponibles. Les profits se sont donc envolés, tandis que la part des salaires dans la richesse générale a baissé de 10 points en vingt ans. C’est cette situation de déséquilibre qu’il faut changer. Cela suppose de contester le dogme libéral et de lui opposer d’autres finalités et d’autres méthodes.

Riposter à l’offensive libérale

Pour maximiser les profits du capital, les libéraux ont imposé partout les mêmes règles et les mêmes méthodes.

• Ils ont fait baisser le “ coût du travail ”, en maintenant un haut niveau de chômage, en développant la précarité, en démantelant le Code du travail, en cassant la méthode des conventions collectives, en réduisant les droits des assuré sociaux et en multipliant les réformes régressives des retraites, de l’assurance-maladie, de l’assurance chômage. Ils ont accentué le désengagement des entreprises du financement de la protection sociale (exonération de cotisations...) et entrepris une baisse généralisée de la fiscalité sur le capital. Pour aller plus loin, ils mettent en concurrence les systèmes sociaux à l’échelle de la planète (ex : OMC/AGCS) ou dans le cadre de l’Union Européenne (ex : directives de libéralisation) amplifiant le dumping social, fiscal, environnemental, etc.

• Ils ont fait partout reculer, au nom de la nécessaire “ fluidité ” ou “ flexibilité ”, l’essentiel des droits collectifs et des mécanismes de solidarité que les luttes ouvrières et démocratiques avaient obtenu jusqu’aux années 1960. Ils espèrent que l’insécurité sociale aggravée qu’ils instaurent amplifiera les replis individualistes plutôt que les résistances collectives. Après quelque deux siècles de progrès collectifs, c’est une logique de régression absolue qui a commencé de s’installer. A rebours de toute l’histoire des progrès de l’Humanité, s’installe l’idée que les générations futures vivront plus mal que les générations actuelles.

• Ils ont élargi constamment la sphère du marché, en libérant les échanges (dans le cadre du GATT puis de l’OMC) et en transformant en marchandise tout ce qui ne relevait pas encore de la sphère du marché. L’éducation, la culture, l’information, la santé et le corps humain lui-même sont devenus de simples marchandises. Ils ont massivement “ ouvert le capital ” et privatisé des entreprises industrielles et des services publics, niant l’utilité des biens publics au service de l’intérêt général. Dans la course à la rentabilité, la masse salariale a été sollicitée directement, sous la forme de l’extension des normes assurantielles ou des logiques du type “ fonds de pension ” au détriment des systèmes de protection sociale solidaires. Ils ont mis au cœur de la dynamique économique la spéculation sur des marchés financiers internationalisés, au détriment des investissements matériels et des dépenses sociales.

• Ils ont transformé l’action de l’État, en le débarrassant de toutes ses fonctions de régulation et de répartition tout en renforçant ses instruments de coercition et de contrainte sur les “ classes dangereuses ” et les individus. Au nom du caractère décrété “ incontournable ” de la mondialisation libérale, de la prétendue supériorité de la régulation par le marché, définissant ainsi “ une seule politique possible ”, ils ont entrepris de désarmer les capacités d’intervention publique dans la sphère économique. L’État a ainsi renoncé à agir volontairement sur l’activité économique par sa fiscalité, ses instruments de crédit ou son secteur public. Dans cet esprit, ils ont cherché partout, à remplacer l’exigence démocratique par des règles dites de “ bonne gouvernance ”. À l’échelle planétaire comme dans chaque pays, toutes les instances de concertation et de décision démocratiques ont reculé, au profit des décisions prises par une poignée de “ décideurs ” publics ou privés, d’ “ experts ” ou d’instances dites “ indépendantes ” (Banque Centrale Européenne, autorités de régulation...), détenteurs supposés de la compétence et du sens de l’intérêt général.

Les résultats de ces choix, suivis obstinément depuis plus de vingt ans, dans le cadre de pouvoirs de droite “ néolibéraux ” ou de pouvoirs de gauche “ sociaux-libéraux ”, ont abouti à des effets désastreux.

• Le chômage et la précarité sont devenus le cœur de l’organisation du travail, afin de peser sur la masse salariale et de nourrir la résignation.

• Le recul de l’action publique et l’autoritarisme ont alimenté un doute massif sur la chose publique, ont stimulé les crispations, ont élargi le désengagement civique dans tous les pays.

• La spirale inégalitaire a repris inexorablement sa marche, après avoir été atténuée dans les trente années précédentes. La pauvreté s’est étendue et s’est aggravée, à l’échelle du monde comme à celle des pays riches eux-mêmes. Pauvreté et précarité ont déchiré les tissus sociaux, exacerbé les discriminations, incrusté les mécanismes dangereux et violents de “ l’exclusion ”.

• L’environnement s’est un peu plus dégradé, les ressources naturelles ont été gaspillées, au détriment des pays et des régions les plus fragiles. Le modèle de développement libéral tourne le dos aux exigences écologistes.

• Le monde de l’information et celui de la pensée ont été affaiblis par la domination des idées libérales, formant la trame d’une sorte de “ pensée unique ” reposant sur l’idée que le capitalisme et sa “ concurrence libre et non faussée ” étaient devenus l’alpha et l’oméga de toute organisation sociale ; certains décrétant même la “ fin de l’Histoire ”.

Depuis plus de vingt ans, nous avons pu mesurer les effets de choix collectifs qui ne relevaient pas d’une logique technique mais d’un véritable projet de société, faisant des indications des marchés financiers la norme et le critère de toute rationalité, publique ou privée. Nous avons pu mesurer la négativité de ces choix quand ils étaient mis en œuvre par des gouvernements de droite, en osmose avec les institutions patronales. Mais nous avons pu voir aussi combien étaient inefficaces toutes les politiques de gauche qui, d’une façon ou d’une autre, partaient du postulat qu’il fallait bien s’accommoder de ces normes libérales.

Construire une alternative

Nous savons donc aujourd’hui que le réalisme suppose de retrouver collectivement le chemin de la justice. Ce n’est pas la maximisation du profit et la croissance ininterrompue de la marchandisation qui sont la source d’une amélioration de l’état du monde, mais la volonté de voir s’élargir les capacités de chaque personne humaine.

Ce qu’il faut rechercher, c’est le développement humain. Cela suppose de répartir et d’utiliser autrement les richesses disponibles, d’instaurer un socle ambitieux de droits collectifs et individuels, de restaurer des politiques publiques actives, d’élargir l’appropriation sociale et les services publics, d’instaurer une autre manière de décider de notre avenir commun, de concevoir autrement la croissance et le développement, de réorienter la construction de l’Europe et du Monde.

Alors que les libéraux prônent le retrait de la volonté collective devant les forces obscures du marché, nous affirmons que l’utilisation des ressources disponibles relève de choix. Il faut donc donner à chaque collectivité humaine les moyens nécessaires pour réaliser les objectifs qu’elle s’est démocratiquement fixés. 1. Mettre au centre de la vie économique les dépenses pour la satisfaction des besoins humains

Les libéraux veulent économiser sur les hommes pour maximiser les profits. Nous estimons qu’il faut faire l’inverse. Cela suppose de débattre des différentes propositions permettant notamment :

• D’accroître fortement le pouvoir d’achat, en particulier celui des plus démunis (RMI, SMIC), et de relever les taux d’indemnisation du chômage. • D’assurer le droit effectif à certains besoins sociaux (éducation, logement, santé, transports) en allant jusqu’à la gratuité dans certains domaines. • D’agir résolument contre le chômage par la création d’emplois publics répondant prioritairement aux besoins sociaux, par le développement de l’activité économique utile et la réduction du temps de travail. 2. Installer un socle de droits collectifs et individuels

Un haut niveau de protection sociale et une sécurisation de l’emploi et des parcours de vie ne doivent pas être tenus pour des coûts à comprimer mais comme des composantes à part entière d’une nouvelle efficacité économique, sociale et environnementale. Cela suppose notamment de débattre des propositions permettant :

• D’abroger les lois qui, en démantelant la protection sociale, mettent en cause directement les droits les plus fondamentaux de la personne humaine. • De faire de l’extension et de l’exercice des droits une obligation constitutionnelle, en considérant que l’engagement de l’État pour y parvenir relève d’une obligation. • De développer notamment les droits à l’emploi, à la santé, au logement et à la ville, l’égalité entre les hommes et les femmes, les droits des migrants et la lutte contre toutes les discriminations, le droit à l’éducation, à la culture et à l’information. • De considérer que la sécurisation de l’emploi et des parcours de vie doit devenir la norme et non la précarisation qui tend aujourd’hui à être la règle commune. • D’améliorer dans cet esprit le droit du travail contre la précarité • De mettre en place des dispositifs en cas de licenciements collectifs, pour suspendre les mesures et examiner les propositions alternatives. • D’élargir les droits et les pouvoirs des salariés dans les entreprises

3. La dimension transversale de l’objectif d’égalité hommes/femmes

La réalisation de l’égalité entre les sexes a un caractère transversal qui doit être pris en compte dans chacune de nos propositions pour une politique alternative (lutte contre le chômage et la précarité, développement de services publics de la petite enfance et d’aide aux personnes dépendantes, etc) ; mais cela ne suffit pas. Nous devons mettre la réalisation de l’égalité entre femmes et hommes au rang de nos priorités et proposer une politique volontariste et cohérente en la matière. Le débat devrait notamment approfondir :

• L’intégration dans tous les domaines (éducation, formation, marché du travail, administrations, etc) de la lutte contre les stéréotypes sexistes qui enferment hommes et femmes dans des rôles sociaux spécifiques. • La répartition équitable entre les hommes et les femmes du travail rémunéré (travail professionnel), du travail non rémunéré (travail domestique et parental), ainsi que des revenus (application réelle de l’égalité salariale, reconnaissance des qualifications des emplois féminins...). • La représentation équilibrée des femmes et des hommes (parité) dans la vie démocratique, à tous les niveaux de décision. • La lutte contre les violences subies par les femmes. 4. Une nouvelle appropriation sociale et une refondation des services publics

La puissance publique ne peut pas faire face à ses missions et à ses engagements si persiste la logique de privatisation qui a occupé ces vingt dernières années. Pour la contredire, le débat devrait approfondir les pistes qui pourraient être suivies :

• Stopper sans attendre les privatisations en cours ou programmées. • Engager une politique de reconquête des services publics, dans les domaines où leur existence est nécessaire à l’exercice des droits (énergie, transports, télécoms, poste, santé, école). • Élargir la notion de biens communs dans les secteurs les plus vitaux (eaux, traitement des déchets, culture, médicaments, logement, etc.) • Protéger les services publics des règles de la concurrence : sortie de l’AGCS et refus des directives européennes de libéralisation des services. • Démocratiser le secteur public, en étendant les pouvoirs de décision et de contrôle des salariés et des usagers. 5. Engager des politiques publiques actives, avec des moyens correspondants

Pour contredire la logique de la main libre aux marchés financiers, la puissance publique doit agir avec détermination. Afin qu’elle puisse le faire, plusieurs types d’interventions et de moyens peuvent être combinées dont il convient de débattre :

• L’ objectif de relancer d’authentiques politiques industrielles et de services, dans les domaines qui conditionnent la satisfaction la plus large des besoins sociaux, doit être précisé. • Les ressources budgétaires nécessaires doivent pouvoir être mobilisées, ce qui suppose de mettre fin aux logiques du Pacte de stabilité qui limitent la dépense publique. • La fiscalité devrait être réformée afin d’accroître les ressources et de les orienter vers les dépenses utiles et non vers les placements financiers. • Les dispositifs bancaires, à l’échelle, à l’échelle nationale et supranationale, devraient être placés sous contrôle démocratique et mis au service des objectifs démocratiquement décidés. • Le crédit doit être réorienté, sous une forme publique et dans une logique ouvertement publique de développement humain et durable. 6. Un renouveau démocratique

Dans la reconstruction que nous opposons à la logique des libéraux de tout poil, la dynamique démocratique n’est pas un supplément d’âme. C’est une démocratisation en profondeur de tout le tissu social et des institutions que nous entendons promouvoir. Cela suppose notamment de débattre des propositions permettant d’atteindre des objectifs comme :

• Une démocratie sociale devrait établir en tout domaine la possibilité d’intervention des salariés, de leurs institutions et de leurs organisations. • L’exercice de la citoyenneté serait étendu et les pouvoirs directs des citoyens se trouveraient considérablement élargis, avec des droits d’initiative et de contrôle ; la démocratie participative viendrait compléter la démocratie représentative. • La souveraineté populaire serait renforcée par la parité, ainsi que par le non-cumul et le raccourcissement des mandats. • La représentation serait améliorée par l’extension de la proportionnelle et le renforcement des pouvoirs de l’Assemblée nationale. • La “ monarchie présidentielle ” devrait être remise en cause. • Le tout pourrait déboucher sur la mise en place d’une Sixième République, ouvertement sociale et participative. Elle ne doit pas être décidée “ par en haut ” : son architecture devrait faire l’objet d’un vaste débat national, suivi de l’élection au suffrage universel d’une Constituante, puis d’un vote par référendum. 7. Un nouveau type de développement

La logique du libéralisme est par nature gaspilleuse et prédatrice. À sa place, il convient de mettre en œuvre une conception radicalement différente du développement : économe en ressources naturelles, respectueux de l’environnement, centrée sur le développement des capacités humaines. Cela suppose notamment de débattre des propositions permettant :

• L’objectif de la vie économique ne devrait pas être la croissance pour elle-même mais l’utilité sociale des activités et des productions. • Une logique publique de réduction des pollutions doit guider une politique des transports visant à réduire nettement le transport routier de marchandises, à développer les transports publics de voyageurs. • En matière énergétique, devront primer des choix permettant d’aller vers une diversification des sources d’énergie et la promotion des énergies renouvelables. • La France devrait s’engager, de façon active à l’échelle internationale, pour l’application des accords de Kyoto et l’ouverture de perspectives ambitieuses pour l’après-Kyoto. 8. Une nouvelle organisation de l’Union européenne et du Monde

Les objectifs qui sont les nôtres ne sont pleinement atteignables que si l’on remet en cause en même temps la logique de l’actuelle mondialisation capitaliste et celle de l’Union européenne. Pour cela, il faut réfléchir notamment autour de :

À l’échelle du continent européen, les possibilités existent pour une réorientation sociale et démocratique de l’Union. Elle suppose, entre autres : la réorientation des missions et des statuts de la Banque Centrale Européenne ; l’abrogation des directives sur la libéralisation des services publics ; la reconnaissance des droits fondamentaux et acquis sociaux sur la base de la non-régression ; l’institution d’une citoyenneté de résidence élargie aux migrants extra-communautaires ; la réforme des institutions européennes sur la base du respect des principes de souveraineté populaire et de subsidiarité démocratique en donnant plus de pouvoir aux parlements nationaux et européen ; l’indépendance vis-à-vis de l’OTAN.

À l’échelle planétaire, la logique de la solidarité devrait supplanter l’inégalité croissante qui résulte de la libéralisation effrénée. Cela suppose de contredire partout les normes édictées par les multinationales, le G8 et les institutions financières internationales. Cela pourrait impliquer, entre autres : de réinsérer la Banque mondiale et le Fonds monétaire international dans le cadre de l’ONU ; de remettre en cause la logique et le mode de fonctionnement de l’OMC ; d’établir les relations Nord-Sud sur la logique du co-développement ; d’annuler la dette ; de démocratiser franchement les institutions internationales.

Projet au 21 janvier 2006


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