Débattre en philosophes des valeurs de l’État

mardi 18 janvier 2011.
 

L’épreuve d’oral « Agir en fonctionnaire et de façon éthique et responsable » doit être retirée des nouveaux concours de recrutement des enseignants.

Ce coup d’éclat, aussi surréaliste que la grève de nos footballeurs millionnaires, a de quoi surprendre. Pourquoi cette épreuve, qui n’est pas nouvelle et ne posait jusque-là de problème à personne, soulève-t-elle soudainement tant de passion  ?

L’argument principal invoqué est que cette épreuve se réduirait à « un certificat de bonne moralité », visant principalement le « contrôle des consciences » des futurs enseignants. Effectivement, dans le contexte actuel de politique sécuritaire et autoritaire du gouvernement, on ne peut qu’adhérer à un tel argument. Mais cet argument, très séduisant au premier abord, ne tient pas la route lorsqu’on lit attentivement le programme de l’épreuve donné en annexe de l’arrêté du 19.12. 2006.

On peut difficilement imaginer que les membres du jury de l’agrégation, habitués par leur métier à lire et interpréter les textes, n’aient pas connaissance du contenu de cet arrêté. Il n’est nullement question de « bonne moralité », le texte énumère les attitudes et les valeurs que doit servir l’enseignant fonctionnaire  : le respect de la dignité de tout homme, la liberté d’opinion, l’objectivité et la neutralité, la laïcité… L’épreuve exige ensuite que l’enseignant connaisse les droits et les obligations attachés à son statut de fonctionnaire. C’est peut-être sur ce point que le bât blesse. Jusqu’à présent, l’épreuve pratique de fin de stage se contentait d’évaluer la connaissance « du terrain », le règlement et la vie d’un établissement scolaire.

En effet, l’autre argument invoqué pour rejeter l’épreuve est l’incompétence des membres du jury en cette matière. Qui peut être compétent pour évaluer une telle épreuve « aux contours opaques et flous »  ? Voilà le problème  : le statut du fonctionnaire est devenu si « opaque et flou » qu’il n’a plus de sens jusque dans les rangs des serviteurs de l’État. Faut-il à ce point devoir oublier le passé pour se construire un avenir  ?

Le statut du fonctionnaire, tel qu’il a été élaboré en 1946, est un statut protecteur, qui garantit des droits au fonctionnaire tels que la liberté d’opinion et la liberté de conscience tant réclamées par les signataires de la pétition « Non aux contrôles de moralité des futurs enseignants », pétition qui circule actuellement dans le sillage des membres du jury de l’agrégation de philosophie. Le rapport de septembre 2009 de l’Internationale de l’éducation insiste sur l’importance de préserver et de développer dans le monde un tel statut, garantissant à l’enseignant une liberté académique et une autonomie professionnelle. Il souligne que le recours croissant à des personnels contractuels, la plupart du temps peu qualifiés, mal payés et sans droits, constitue une réelle menace pour la qualité de l’éducation.

Aussi, contrairement à ce que sous-entendent les détracteurs de l’épreuve « Agir en fonctionnaire », le fonctionnaire français n’est pas un petit soldat servile, loyal et obéissant, au service du gouvernement, tel que le voudrait Nicolas Sarkozy (1), il est au contraire un « fonctionnaire citoyen » qui exerce son jugement au service de l’intérêt commun et qui, par son action, contribue à construire cet intérêt commun.

Une telle conception du rôle de l’État, très libérale sur le fond, n’est pas anodine et sans arrière-pensées. Elle trouve son origine dans le repli disciplinaire qui caractérise aujourd’hui le monde enseignant, ainsi que dans le retour de pratiques pédagogiques fondées sur le respect de l’autorité et de la tradition. Même s’ils semblent invoquer les mêmes arguments, la rébellion des membres du jury de l’agrégation est aux antipodes du positionnement des Désobéisseurs.

Que des enseignants fonctionnaires ayant en charge la formation des citoyens de demain soutiennent de telles positions doit nous interroger. Elles expriment de façon inquiétante la dévalorisation du politique et la perte du sens commun qui caractérisent nos sociétés. Même si nous avons pu en rire récemment, le règne de l’événement, l’exhibition permanente des ego, le retour à l’ordre moral sont les symptômes du malaise d’une civilisation amnésique qui ne comprend plus son passé et qui doit alors se demander si elle a encore un avenir.

Par Aline Louangvannasy, professeure de philosophie, syndicaliste CGT

(1) Discours à l’institut régional d’administration de Nantes, 17 septembre 2007.


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