Vive la révolution citoyenne en Tunisie !

jeudi 20 janvier 2011.
 

Ce soir, comme beaucoup d’entre vous, j’ai navigué et regardé partout où il y avait à voir ou à entendre, le cœur battant, les rebondissements des évènements en Tunisie. J’avais dit mon pressentiment. Nul n’est plus légitime au pouvoir, quelles que soient ses difficultés, qui a fait tirer l’armée contre le peuple. L’usage de l’armée contre le peuple marque la ligne de partage dont aucun pouvoir ne revient sans s’être transformé en autre chose. Ben Ali le savait. Et comme il était irréel de l’entendre parler de cesser les tirs « à balle réelle », façon d’avouer qu’ils étaient autorisés auparavant et donc froidement délibérés. Comme elle était dérisoire cette tentative ensuite pour revenir en arrière, et gommer l’insigne stupidité des décisions prises, jusqu’à l’absurde décision criminelle de faire feu. Bien sur, je scrute comme homme qui a beaucoup décortiqué les processus révolutionnaires. J’ai l’appétit d’en comprendre les mécanismes intimes sous toutes les latitudes. Et même quand mes congénères d’alors pensaient que la révolution n’était plus qu’un fantasme du siècle passé. Je scrute les visages à la télé, je me gorge de ce qui se dit au téléphone et par internet. Je sais qu’il faut apprendre. D’urgence.

J’ai décidé de ne répondre à aucune sollicitation médiatique dès que j’ai vu le cirque des résistants français de la vingt cinquième heure se mettre en place. Tout d’un coup voici les tutunes de la jet set parisienne qui se rengorgent. Ben Ali a fui, eux sont toujours là. Ils ne se rendent pas compte que leur morgue de classe fait le même effet aux Français que le faisaient les précieuses personnes du pouvoir tunisien sur le petit peuple. Ben Ali, membre de l’internationale socialiste, hôte bienveillant d’innombrables éminences médiatiques et politiques « de droite et de gauche » selon l’expression consacrée est lâché en direct par ceux qu’il a si bien et si longtemps nourri. Passé l’écœurement que ces cours versatiles m’inspirent je reviens à l’analyse plus politique.

En Tunisie, le peuple populiste exige que ses dirigeants s’en aillent tous. Il a gagné la première manche. Le président est parti. Ce n’est qu’un début. Une révolution est commencée en Tunisie. Son contenu social est clair. Mais son préalable démocratique tout autant. Les tunisiens veulent des élections libres. Oui, des élections ! La révolution tunisienne en cours est une révolution citoyenne. La possibilité de choisir eux-mêmes sans contrainte ce qu’ils veulent. C’est ce que l’on nomme la souveraineté. La question de la démocratie est la forme que prend la question sociale. Pour pouvoir régler les problèmes concrets de leur vie quotidienne, les tunisiens pensent qu’ils sont capables de choisir comment faire puisque le pouvoir en place en est incapable. Incapable et accaparé par un petit nombre. Cette simple démarche met le feu aux poudres. Naturellement peu nombreux ici sont ceux qui ont l’air de comprendre que cette façon de faire pourrait bien un jour traverser la méditerranée. Cela se fera, n’en doutez pas.

La sidération et même l’effroi de l’oligarchie médiatico-politique française ne rabat pourtant pas leur morgue. Je m’amuse de voir ceux qui ont tant aimé les conférences tous frais payés et les « per diem » coquets en Tunisie se taire et regarder ailleurs. Ce soir j’entendais des médiacrates s’étonner du silence de la « classe politique ». Ce concept politique foireux a été inventé à la fin du dix neuvième siècle par un pré-fasciste italien et Antonio Gramsci a dit tout le mal qu’il fallait en penser. Cette façon de globaliser est la nouvelle façon de continuer le travail qui mine petit à petit tout le système sur lequel eux mêmes sont assis. Mais dans l’urgence, c’est une façon de passer la patate chaude. Eux ont tellement lutté « pour la démocratie et les droits de l’homme » en Tunisie ! C’est bien connu ! On sait quand : dès que Cuba et Chavez et le danger populiste leur laissaient cinq minutes d’indignation disponibles ! On se marre.

Lorsque Zinedine Ben Ali a sorti du pouvoir en douceur le père fondateur Habib Bourguiba, il a soulevé un immense espoir. Les premières années étaient convaincantes. Tous nos amis sont sortis de prison. De nombreux cadres de gauche ont rallié le nouveau régime. J’ai fréquenté de près maints membres du groupe « perspectives », qui sortaient enfin à l’époque dans la lumière du jour. Puis Mohamed Charfi, le brillant ministre de l’éducation qui avait envoyé au pilon touts les manuels scolaires qui faisaient des exemples sexistes ou religieux. Eux nous convainquaient qu’il fallait tenter l’expérience. Comment leur en vouloir après ce qu’ils avaient subi. Pourquoi s’interdire l’espoir ? On y a cru. Pas tous, mais beaucoup. Puis les choses se sont gâtées. Tout le monde n’en a pas croqué dans les résidences que le pouvoir mettait à la disposition de ses amis. Toute l’ambigüité des réactions de maints responsables politiques honnêtes à gauche est dans la valse hésitation entre le souvenir de ces années où la démocratie semblait commencée, leurs promesses, et la réalité chaque jour plus cruelle.

Bien des signaux d’alarme ont été tirés. Quand la lutte politique contre l’islamisme a tourné aux massacres privés et aux rafles générales incluant les communistes et les défenseurs des droits de l’homme, ils ont été nombreux ceux qui nous ont mis en garde. Ils n’ont pas été écoutés comme ils auraient du l’être ! L’Europe avait plus urgent. Les pitreries du dernier prix Sakharov en témoignent. Les opposants tunisiens n’avaient pas le bon gout d’être cubains ni d’être partisans des guerres américaines en Irak et en Afghanistan comme ce brave chinois du Nobel. Ils ont donc ouvert leur chemin tous seuls. C’est un exemple. Ils lancent une maladie contagieuse, le virus de l’Amérique du sud a franchi l’atlantique : « qu’ils s’en aillent tous ! » « Ben Ali dégage ! » criaient les manifestants à Tunis. Et des conseils de quartiers se sont mis en place. La révolution citoyenne c’est ce mécanisme là. Il va se traduire. La contagion est assurée. Dans le Maghreb et en Europe. Ce n’est pas une histoire exotique. Ce n’est pas une baston chez les sous développés. Je l’ai déjà dit : c’est une affaire de famille. Je sais donc que le virus a passé la méditerranée.


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