Quel réalisme pour la gauche ?

mercredi 2 février 2011.
 

1) « Souvent, le problème de la gauche est d’être trop réaliste »

Par Alain Garrigou, professeur de sciences politiques à l’université Paris-X.

Le réalisme, un piège pour la gauche ?

Un récent sondage (Harris, pour l’Humanité Dimanche du 4 au 9 novembre) montre qu’en majorité les Français se retrouvent dans les grandes thématiques de gauche (redistribution des richesses, développement des services publics, etc.), mais n’accordent que peu de confiance aux différents partis de gauche. Comment expliquez-vous ce phénomène  ?

Alain Garrigou. On n’a pas besoin de sondages pour savoir que les Français sont majoritairement attachés à l’État providence. L’État providence, c’est un ensemble de choses concrètes associées à leur vie quotidienne. Ce sont des acquis sociaux. C’est, par exemple, la Carte vitale que l’on sort à la pharmacie, le remboursement des frais médicaux, les allocations familiales, etc. Le système de Sécurité sociale, les gens y sont attachés parce qu’ils sentent bien que si on le change, ce sera pour les faire payer davantage. Pourquoi cet attachement à ces acquis ne se traduit-il pas en confiance pour les partis de gauche  ? Là aussi, nul besoin de sondages. Que voient les Français des partis de gauche  ? Ils voient que ces partis se disputent par sondages et presse interposés. L’actualité est faite de cela, en partie à cause de la vie des partis elle-même, mais aussi à cause de ce que les médias en retiennent. En tout cas, comment voulez-vous que les gens retrouvent leur vie quotidienne dans ce Dallas, ce sitcom politique  ?

Les citoyens sont-ils davantage en demande, aujourd’hui, de propositions chiffrées  ? Sont-ils devenus plus exigeants sur la crédibilité 
des programmes  ?

Alain Garrigou. La plupart des gens ne lisent pas les programmes politiques. Bien sûr, certaines catégories sociales sont davantage en attente de chiffres. Si vous prenez les professions intellectuelles, elles seront sans doute plus sensibles aux chiffres que ceux qui vivent dans la difficulté. Ceux-là attendent simplement du concret  ! Ils ont compris que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. C’est ce qu’on a appelé en sociologie le « cynisme populaire ». En gros, c’est  : « On ne me la fait pas  ! » Il y a une attitude très distanciée à l’égard des promesses, chiffrées ou pas.

Comment expliquez-vous l’abstention électorale dans les classes populaires  ?

Alain Garrigou. Les milieux populaires ne croient plus à la politique, qui n’apporte rien à leur vie quotidienne. Précisons que la montée de l’abstention s’observe partout, dans toutes les catégories sociales. Cela dit, les quartiers bourgeois ont toujours plus voté que les quartiers populaires. Sauf à l’époque où le Parti communiste était puissant et représentait un fort encadrement social. Que signifie cet écart de participation  ? Il montre que l’unité nationale, au sens d’un sentiment d’appartenance à un pays commun est en train de s’éroder. Nous n’appartenons plus à une nation. Nous n’avons pas besoin de statistiques pour voir que beaucoup de gens sont arrivés en dessous du seuil de pauvreté. Benjamin Disraeli, qui fut premier ministre de 1874 à 1880 en Grande-Bretagne, conservateur mais attaché à la question sociale, utilisait déjà cette formule des deux nations pour caractériser l’écart entre l’aristocratie britannique et le prolétariat. Aujourd’hui, en France, il y a également deux nations.

Pour reconquérir le pouvoir, la gauche doit-elle donner des gages de réalisme, comme semblent 
le considérer certains ténors socialistes  ? 
Que vous inspirent, par exemple, les propos récents 
de Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI, 
en faveur d’une gauche « qui dit la vérité »  ?

Alain Garrigou. Quand Strauss-Kahn parle de vérité, c’est de sa vérité à lui qu’il s’agit. Nous sommes face à des luttes internes. Ce n’est pas une nouveauté  : dans le Parti socialiste, il y a des personnalités qui devraient prendre leur carte à l’UMP. Il y a une guerre des idées qui consiste à amener l’autre sur son propre terrain. La droite continue de nous abreuver avec le « marché autorégulé ». Est-ce réaliste, alors même que les catastrophes s’enchaînent  ? Le « marché autorégulé », c’est une utopie qui nous a amenés, en 2008, à la crise. Le système actuel ne marche pas. Regardez la situation de l’Irlande  ! Et pourtant, les tenants du « marché autorégulé » continuent. Ces gens-là sont des croyants. Les millénaristes expliquent que, si la fin du monde qu’ils annoncent n’est pas encore advenue, c’est juste qu’ils se sont trompés sur la date. Là, c’est un peu pareil. On nous explique que ce n’est pas le système qui est en cause, mais le comportement de quelques acteurs. Il suffirait d’un peu de déontologie. Certains vont même jusqu’à expliquer qu’en fait, la crise est la conséquence d’un « trop d’État ».

Que serait aujourd’hui un réalisme authentiquement de gauche  ?

Alain Garrigou. Je trouve que, souvent, le problème de la gauche est d’être trop réaliste, c’est-à-dire de trop se plier aux arguments de ceux qui croient être réalistes et qui ne sont en fait que des croyants. Son problème, c’est davantage de manquer d’imagination, d’utopies. On se plie trop aux pseudo-raisons des comptables et du profit. Ceux qui sont partie prenante de la crise actuelle sont ceux qui nous parlent de réalisme depuis plusieurs dizaines d’années. Et on voudrait nous convertir à leur réalisme  ?

Ne peut-on pas considérer que, la situation actuelle appelant un changement de système, 
la gauche sera d’autant plus réaliste qu’elle sera révolutionnaire  ?

Alain Garrigou. À condition de ne pas oublier qu’être révolutionnaire, ce n’est pas qu’une question de programme politique  ; c’est, plus fondamentalement, être capable de remettre le monde à l’endroit.

Alain Garrigou est notamment l’auteur des Secrets de l’isoloir. Éditions Thierry Magnier, Paris, 2008.

Entretien réalisé par 
Laurent Etre

Source : http://humanite.fr/26_11_2010-%C2%A...

2) Chercher les voies d’une revitalisation du mouvement par en bas

Par Denis Collin

Certains ont encore en mémoire ce slogan de mai 68 : « soyez réalistes, exigez l’impossible ». Le réalisme d’aujourd’hui nous convie à demander moins que le possible, pour avoir une petite chance d’obtenir une partie de cette revendication au rabais. N’incriminons pas seulement l’évolution des sommets des principaux partis politiques. Il y a, chez la grande majorité des citoyens, une méfiance à l’égard des solutions radicales. En dépit des errements du PS, jamais une alternative radicale « anticapitaliste » n’a réussi à s’imposer : 10% à 15% des électeurs, tous candidats confondus, dans les « hautes eaux ». Rappelons que Marchais dépassait les 15% en 1981 (LO et le PSU obtenaient encore 3 ,5%). Et c’était pour le candidat du PCF un mauvais résultat, face à un candidat du PS lui-même sur des positions très « à gauche » : à cette époque le PS promettait « la rupture avec le capitalisme » ! Rien de moins.

L’évolution des esprits a été profonde. Et si le communisme est bien « le mouvement réel » comme le disait Marx, il faut partir non des dogmes qu’on voudrait imposer mais du mouvement réel. Dans les partis qui se situent à gauche du PS comme dans l’aile gauche du PS, on répète volontiers que pour gagner contre la droite, il faut des positions « vraiment à gauche ». Mais ce n’est pas certain : même quand le « vote utile » ne joue pas, comme lors des récentes élections régionales ou européennes, le PS a raflé la mise s’affirmant comme le principal parti d’opposition. Abstraitement parlant, on peut dire, à raison, que la crise dans laquelle nous sommes ne peut être vaincue sans mesures qui mettent en cause, sérieusement, la domination du mode de production capitaliste. Notre société est malade de la loi de l’accumulation du capital ! C’est facile à montrer dans tous les détails, y compris quand on parle de crise environnementale. Au-delà de ce constat, pourtant, manque la confiance dans une autre perspective. Plus personne ne croit au socialisme collectiviste d’antan, non pas à cause de la propagande des « ennemis de classe », mais en raison de l’expérience historique. Tout le monde sait ou sent qu’on ne reviendra pas à la période des « trente glorieuses » et aux compromis keynésiens. La jeunesse est en profonde rupture avec le monde des vieux partis du mouvement ouvrier, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit dépolitisée ou égoïste comme on le dit ici et là : elle est simplement sceptique sur la pertinence de discours et de politiques vieux d’un siècle et plus et qui ont soit montré leur échec soit sont devenus obsolètes. Enfin, il est facile de comprendre qu’une gauche divisée, sans projet commun, une gauche dans laquelle chacun cherche surtout à s’affirmer contre les concurrents du même camp, a peu de chance de conduire à des ruptures que la situation appelle objectivement. D’où le paradoxe : faute de solutions alternatives jugées accessibles et applicables, le vote contre une droite dévastatrice se porte de façon assez conservatrice vers le PS, sans illusion sur la possibilité d’inverser ainsi le cours des évènements.

Le réalisme commande de chercher les voies et les moyens d’une revitalisation du mouvement « par en bas ». Et cela demande non des analyses savantes sur la crise du capitalisme, mais l’action en faveur de tout ce qui va dans le sens de l’auto-organisation. Permettre aux citoyens de s’emparer de leurs propres affaires pour les conduire, les mener comme ils peuvent en débattre et le décider. Qu’il s’agisse des mouvements associatifs, de l’éducation populaire, des organisations de défense contre la dégradation de l’environnement, des mouvements de défense des services publics, des mouvements paysans ou encore des coopératives. Bref de tout ce qui pratiquement ouvre une voie non-capitaliste. L’action politique pourrait alors être conçue non comme la proposition et la mise en œuvre par en haut, par décrets, d’un programme anticapitaliste, mais plutôt comme la réalisation des conditions politiques qui permettent à ce genre de mouvements d’en bas de vivre et se développer : réforme de la constitution, défense des libertés démocratiques, de l’autonomie des communes – donc contre la « réforme » des collectivités locales – et des services publics conçus comme des moyens qui permettent à tous de développer les initiatives pratiques. Cela exigerait aussi un protectionnisme raisonnable, dont l’idée est maintenant assez largement partagée à gauche. Bref un large bloc social et politique qui contribuerait grandement à régénérer la vie politique dans notre pays. Mais ces propositions modestes ne sont peut-être pas « réalistes » dans l’ambiance putride créée par l’élection présidentielle plébiscitaire inventée il y a un demi-siècle.

Source : http://la-sociale.viabloga.com/news...

Denis COLLIN

3) Contre toute naturalisation de l’ordre économique, il faut repolitiser le réel


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message