Exclusion : La fée électricité n’illumine pas tous les foyers

samedi 15 janvier 2011.
 

Accidents de la vie, maladies longue durée, licenciements, chômage  : chaque hiver, des millions de personnes se retrouvent dépourvues d’électricité, d’eau chaude et de chauffage. L’impossibilité de payer les factures se solde souvent par des coupures d’électricité non négociables avec EDF. Témoignages.

C’était en octobre. Et ça a duré quatre jours. « On m’a coupé l’électricité sans me prévenir. Les agents EDF sont venus jusque sur le palier, où se trouve le compteur, et n’ont même pas sonné à ma porte pour me le dire. » Au début, cette maman célibataire de trente-deux ans a cru à une coupure générale dans le HLM qu’elle habite à Sarcelles (Val-d’Oise). Elle a mis quelques heures à comprendre qu’il n’y avait qu’elle. Pourtant ce n’est pas la première fois que Laëtitia Vatel doit faire face à des menaces d’expulsion locative et à des coupures d’électricité. « J’ai reçu des lettres à cause des impayés mais je ne pouvais pas payer. Je n’avais pas d’argent. » La dette de Laëtitia auprès d’EDF s’élève à 1 000 euros.

plus que 202 euros pour vivre

Fonctionnaire de mairie à mi-temps, elle est gardienne du cimetière de Sarcelles. Mais son mi-temps, elle ne l’a pas choisi. C’est une conséquence de sa maladie. Elle est épileptique. Après deux à trois crises par semaine, plusieurs séjours à l’hôpital et des arrêts maladie de longue durée, elle a été forcée de prendre un mi-temps. Un mi-temps signifie une moitié de salaire, soit 800 euros mensuels. Elle a à sa charge sa fille, âgée de quatorze ans, qui a subi il y a deux ans une opération du cœur. Lorsqu’elle fait un rapide calcul, son salaire ne suffit pas à régler tous les frais. Malgré les aides au logement et un loyer modéré (311 euros par mois), tout est englouti par la mutuelle (63 euros), les frais de cantine (54 euros), l’électricité (64 euros), le gaz (plus de 100 euros)… Il lui reste 202 euros pour vivre. Laëtitia frôle et parfois plonge dans un découvert bancaire qui lui est pourtant interdit. Il y a un mois, elle a fait appel à l’assistante sociale du personnel de la mairie pour monter un dossier de surendettement. Le moratoire court sur vingt-quatre mois. La jeune femme a bien essayé de demander le RSA. Refusé. Elle a aussi demandé la prime de Noël. Refusée aussi.

En France, en 2009, on comptait 3,4millions de foyers en état de précarité énergétique. Seuls 900 000 d’entre eux bénéficient du tarif de première nécessité du gaz ou de l’électricité. Ainsi, explique Laurent Langlard, responsable du secteur gaz de la CGT énergie, « une personne handicapée qui touche 650euros par mois d’indemnités ne peut pas y prétendre ».

sans chauffage et sans électricité depuis 3 mois

C’est le cas de Simon, handicapé et séropositif. L’homme âgé de quarante-six ans vit dans un studio de 25 mètres carrés à Limoges, sans chauffage et sans électricité depuis trois mois. Simon perçoit l’allocation adulte handicapé de 200 euros. Son loyer s’élève 280 euros. Il ne paye que 30 euros de sa poche mais doit débourser en revanche 500 euros de médicaments non remboursés pour se soigner. Lorsqu’il a emménagé dans l’appartement, il y a un peu plus d’un an, l’électricité marchait. Il est resté ainsi sans payer pendant un an. Aujourd’hui EDF lui réclame 1 700 euros. « L’immeuble est pourri. Il a été occupé par des gens venus de l’Est européen qui ont fracturé les compteurs EDF. C’est pour ça qu’il y avait de l’électricité. »

Simon a demandé un échéancier pour répartir les remboursements. Il attend la réponse d’EDF. « J’ai le sentiment qu’ils jouent la carte du pourrissement. Ils attendent que je craque avec le froid. » Trois mois sans chauffage, sans eau chaude, sans électricité… Simon se débrouille comme il peut. Il prend ses repas et ses douches à l’extérieur, dans des « trucs associatifs ». « La nuit, je me couvre avec des tonnes de duvets et de pulls pour garder un minimum de chaleur. » Simon a contracté le sida et l’hépatite C au début des années 1980. Aujourd’hui, il milite à Aides pour témoigner et faire de la prévention auprès des plus jeunes.

Face à une telle détresse sociale, certains agents EDF refusent de couper l’électricité, faisant valoir leur droit de retrait. D’autres choisissent de la rétablir incognito. Cette désobéissance s’est organisée voilà une dizaine d’années autour de l’opération « Robins des Bois ». Ces agents, syndiqués à la CGT, ont choisi de ne pas appliquer les consignes de coupure par conscience citoyenne. « Ils gardent leur faculté d’indignation », poursuit Laurent Langlard. Couper l’électricité, c’est priver encore un peu plus de dignité jusque dans l’intimité du foyer ceux qui, à l’extérieur, sont déjà pointés du doigt.

Ixchel Delaporte


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message