Brésil : Dilma Rousseff Une femme de l’ombre en pleine lumière

vendredi 7 janvier 2011.
 

Élue en octobre dernier, Dilma Rousseff a pris ses fonctions samedi à Brasilia. La nouvelle présidente a bénéficié du soutien sans faille de Lula et se trouve à la tête d’une grande puissance en plein essor. Elle a promis la continuité, tout en cherchant à imposer sa différence. C’est son principal atout.

Il y a un an, les Brésiliens n’auraient pas misé un real sur les chances de succès de Dilma Rousseff à l’élection présidentielle d’octobre 2010. Peu connue, jamais confrontée au suffrage universel, elle se morfondait dans les sondages, à la traîne derrière José Serra, chef de file du PSDB, de centre droit, le parti de l’ancien président Fernando Henrique Cardoso. En quelques mois, non seulement Dilma Rousseff a comblé peu à peu son handicap, mais elle a fini par s’imposer dans un paysage politique dominé par les hommes, pour être la première femme élue au poste suprême au Brésil. Elle rejoint ainsi le cercle étroit des femmes présidentes, à commencer par Cristina Kirchner, sa voisine argentine.

Mieux, en chemin, elle a acquis la reconnaissance des siens  : on ne l’appelle plus désormais que par son prénom, Dilma. On la pare aussi de toutes les qualités, de sérieux, de courage – comme celui d’avoir surmonté un cancer lymphatique en 2009 – et de « beaucoup » de caractère  ; elle qui, pour les puissants médias de droite, semblait ne pas en avoir, ou n’était qu’une « dame de fer » austère – surnom hérité de son passage dans la résistance armée durant la dictature (1964-1985). Son image aussi a été modifiée pour les besoins du marketing politique  : fini les grosses lunettes, la chevelure épaisse et les kilos superflus, place aux lentilles de contact et au lifting. Elle est alors apparue tout sourire, les traits adoucis, aux côtés de Lula dont le charisme a été une incontestable arme de séduction.

Dilma rime avec Lula, qui après huit ans de mandat a sorti 28 millions de Brésiliens de la pauvreté et laisse une économie en plein essor grâce aux exportations et à la manne pétrolière découverte aux larges des côtes brésiliennes. Il quitte l’Alvorada, le palais présidentiel à Brasilia, au sommet de sa popularité avec des chiffres stellaires  : plus de 80%. Tel un Pygmalion, il a choisi celle qui devait lui succéder, l’a soutenue, propulsée sur le devant de la scène, et lui a insufflé son trop-plein de notoriété. Lula a tiré la carte Dilma de sa manche et la magie aurait opéré, dit-on, au-delà des propres mérites de sa protégée. Une appréciation dont se joue Dilma, qui récemment a lancé sur le ton de la plaisanterie à la presse  : « Je suis la seule femme méchante au Brésil entourée par des hommes gentils. »

Lula a plusieurs fois raconté avoir été impressionné par l’efficacité de cette gestionnaire, « avec son petit ordinateur », qui était alors en charge des mines et de l’énergie à Porto Alegre, berceau de la « démocratie participative ». Élu président en 2002, l’ancien métallo de São Bernardo lui offre le même poste au niveau fédéral, puis, en 2005, il lui confie la Casa Civil, le cabinet présidentiel, qui fait d’elle une super première ministre. Après l’éviction de plusieurs dirigeants historiques du Parti des travailleurs (PT), entre autres José Dirceu, ex-chef de la Casa Civil, et Antonio Palocci (qui devient le nouveau chef du cabinet présidentiel  !), impliqués dans des scandales de corruption, Lula, en panne de dauphin, est convaincu que Dilma est « la meilleure » candidate, il l’impose à son parti, alors qu’elle cumule le double handicap de n’avoir jamais disputé une élection et de ne pas être un membre historique du PT, formation qu’elle rejoint sur le tard, il y a dix ans à peine… Elle n’est pas pour autant une novice.

Dilma Rousseff, née en 1947 à Belo Horizonte dans le Minas Gerais, est la fille d’une institutrice brésilienne et d’un communiste bulgare qui dut émigrer en France en 1929 avant de s‘installer en Argentine puis au Brésil, où il devint entrepreneur. Le coup d’État militaire de 1964 fait basculer la lycéenne dans la résistance. Elle intègre Politica Operaria (Polop), groupe dissident du Parti socialiste brésilien, entreprend des études d’économie, et rejoint l’extrême gauche et la lutte armée d’abord avec Colina (commando de libération nationale) puis VAR-Palmares (avant-garde armée révolutionnaire) où elle rencontre un communiste, Carlos Araujo, qui deviendra son second mari. Elle est fichée par la police comme « terroriste assaillante de banques ». Le 16 janvier 1970, elle est arrêtée un pistolet sur elle, torturée pendant vingt-deux jours puis condamnée à six ans de prison. Elle est libérée trois ans plus tard, s’engage dans une nouvelle vie à Porto Alegre, où elle parachève ses études d’économie et entame une carrière administrative. Au début des années 1980, elle participe à la refondation du Parti démocratique travailliste (PDT) de Leonel Brizola, figure emblématique de la gauche dite populiste, gouverneur de l’État du Rio Grande do Sul puis de Rio, maître d’œuvre de projets d’urbanisation et d’éducation destinés aux favelas et aux plus pauvres. Avant d’être « luliste », Dilma a été « brizoliste », s’est rapprochée du PT et d’Olivio Dutra pour conquérir l’État du Rio Grande do Sul et se ralliera à ce parti en 2000, en désaccord avec sa propre organisation sur la stratégie des alliances lors de l’élection municipale de Porto Alegre.

Pour avoir marché dans les pas de Lula, Dilma serait condamnée à capter un héritage encombrant laissé à ce pays émergent qu’elle a pourtant contribué à façonner. Le désormais ex-chef de l’État la présente comme « la mère du PAC », le programme d’accélération de la croissance lancé en 2007, prévoyant d’énormes investissements dans les programmes sociaux (logement, services publics de base dans les favelas) et dans les infrastructures pour recevoir la Coupe du monde de football en 2014 et les jeux Olympiques en 2016. Dilma a promis la continuité dans la gestion rigoureuse de l’économie, prioritairement la maîtrise de l’inflation, l’éradication de l’extrême pauvreté, l’accentuation des programmes sociaux ou le multilatéralisme au plan international. Des chantiers restent en souffrance comme la réforme agraire, la remise en état de services publics délabrés (éducation et santé). Mais elle a aussi promis du changement en s’attaquant à la réforme politique (le système électoral en particulier) et à celle des impôts, où les riches et les secteurs financiers de la huitième puissance mondiale aux inégalités criantes seraient mis à contribution. Lula a esquivé cette réforme. Et si c’était ça, la marque de Dilma  !

dilma rousseff

Bernard Duraud


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