2010 2011 Une spirale mortifère s’est mise en route

lundi 3 janvier 2011.
 

Parce que les salaires ont baissé au niveau mondial et que la richesse a continué de se concentrer, les revenus des ménages et le financement des entreprises ont été partiellement remplacés par des crédits. En 2008, le château de cartes du crédit s’est écroulé. Les États se sont surendettés pour renflouer les banques, leurs rentrées ont baissé du fait de la récession, le taux exigé sur leur dette par le marché des capitaux a grimpé et la valeur de leurs 
emprunts a baissé parallèlement. Les banques se sont affaiblies parce que leur portefeuille était bourré d’emprunts d’État qui perdaient de leur valeur parce que les États s’étaient précisément affaiblis en venant à la rescousse des banques. Une spirale mortifère s’est mise en route.

Aux États-Unis, en raison des saisies des logements d’emprunteurs incapables de payer leurs traites, il faudrait près de neuf ans pour écouler le stock d’habitations vacantes. Le pays tire sa dernière cartouche  : la planche à billets, une opportunité offerte par le statut de monnaie de référence et de réserve du dollar.

L’Europe de la zone euro accorde la priorité au règlement de la dette publique, quitte à sacrifier la relance, puisque l’austérité, freinant la consommation, entraîne nécessairement une contraction de l’économie. Depuis le début de la crise, l’Europe et les États-Unis ont choisi de sauver les investisseurs à tout prix. La première fausse note est récente  : la zone euro s’engage à partir de 2013 dans la voie inédite de la mise à contribution des investisseurs en cas de pépin. La prime de risque que les prêteurs intègrent dans le coupon réclamé sur la dette d’État deviendra alors pour de bon ce qu’ils ont toujours affirmé qu’elle était  : une « prime de risque » censée couvrir le risque de non-remboursement. La zone euro s’est engagée dans une voie sans issue où seize nations viennent en aide à celles d’entre elles qui font défaut sur leur dette, le nombre de celles-ci ne cesse de croître, et la taille du groupe des survivants diminue d’autant.

La Grèce a crié au secours la première. Puis l’Irlande, dont le secteur bancaire réclame un soutien abyssal  : pas moins de 32% du PIB de cette petite nation pour 2010. Dans les conversations entre l’Allemagne et la France, l’expression « restructuration de la dette » a cessé d’être taboue quand on évoque la dette de l’Irlande, de la Grèce, et des prochains dominos à tomber  : le Portugal et l’Espagne. Ce seront les détenteurs d’emprunts d’État – au premier rang desquels les banques – qui paieront en principe cette fois. Du moins si celles-ci peuvent encaisser une telle perte. Si elles figurent au palmarès des banques « too big to fail », trop grosses pour faire défaut sans que tout ne s’effondre, il faudra que les États les sauvent. Malgré le manque d’argent  ! Les nations émergentes, Brésil, Russie, Inde, Chine, Corée, Indonésie… luttent contre les capitaux spéculatifs venant rechercher sur leurs marchés des taux que les nations en déclin comme les nôtres ne peuvent plus offrir. La Chine tire son épingle du jeu, retrouvant un taux de croissance d’avant-crise. Elle cherche sa voie à tâtons entre les pesanteurs bureaucratiques du communisme d’antan et l’aventurisme du capitalisme qu’elle teste. 
 Le 6 mai, le passage en boucle sur les écrans des salles de marché du spectacle des émeutes en Grèce a provoqué aux États-Unis un « krach éclair », tandis que les familles dont le logement est menacé de saisie se 
rebiffent devant les tribunaux. Les Français ont manifesté et ont fait la grève en masse contre le report de l’âge de la retraite. Les Anglais manifestent eux aussi contre une suppression brutale de l’État providence. L’Europe des gouvernants s’est mise à trembler devant l’appel à la révolution par la panique bancaire lancé par Éric Cantona, rejoignant un autre 
Robin des bois moderne, 
Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, auteur, lui, d’une 
panique diplomatique en diffusant 250 000 messages échangés entre les ambassades américaines et leur département d’État, révélant que ce dernier se consacrait désormais tout entier à l’espionnage. S’étonnera-t-on que les peuples se rebellent  ?

Paul Jorion

Docteur en Sciences Sociales de l’Université Libre de Bruxelles


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