Raisons de la création du Parti communiste en France au Congrès de Tours.

samedi 1er janvier 2011.
 

Très peu de partis communistes sont nés d’une scission majoritaire au sein de la social-démocratie et aucun, en dehors de la France, n’y est parvenu à l’intérieur des citadelles du capital. En Angleterre, aux États-Unis et dans la plupart des pays européens, les PC ont été voués à la portion congrue.

On sait, en gros, les raisons de ce succès. Il existe en France une sensibilité politique qui se caractérise à la fois par son caractère plébéien et par sa propension démocratique et révolutionnaire. Chez nous, la révolution fut bourgeoise, de part en part, mais elle ne triompha sur l’ordre ancien que par l’impulsion des catégories populaires, urbaines comme rurales. Au final, le mouvement populaire fut tenu à l’écart, mais il ne fut pas écrasé  ; ce faisant, il ne fut pas politiquement marginalisé.

La Révolution française nous a légué deux traits caractéristiques de la vie politique. Depuis cette date, elle fonctionne sur la base d’une double polarité  : celle qui tourne autour de la justice, et qui oppose la gauche attachée aux valeurs révolutionnaires de la liberté et de l’égalité et la droite qui préfère l’ordre et l’efficacité  ; celle qui, à l’intérieur de la gauche, distingue les conceptions du chemin qui mène vers « l’égaliberté ». Pour l’atteindre, on peut considérer que l’on peut avancer à l’intérieur du système, en l’ajustant à ses marges ou, au contraire, qu’il faut le dépasser radicalement pour aller vers la justice. Adaptation ou rupture  : le dilemme est aussi vieux que la Révolution  ; en France, il se trouve que les tenants de la rupture n’ont pas été étouffés.

Voilà la raison fondamentale de l’empreinte exceptionnelle que le communisme a laissée sur la société française. Bien sûr, de 1920 jusqu’aux années 1960, les communistes français ne manquèrent pas d’effets de conjoncture, qui ont rendue possible leur implantation de masse. Les déchirements de la Première Guerre mondiale et les déboires du mouvement ouvrier et socialiste, entre 1914 et 1920  ; la crise économique des années trente, le sursaut antifasciste, puis l’élan populaire de la Résistance nationale  ; le triomphe du gaullisme en 1958 et l’urgence d’un sursaut de la gauche française. Chaque fois, ces conjonctures exceptionnelles ont permis au PCF de rebondir et d’être majoritaires au sein de la gauche française.

Disons-le autrement. L’évolution sociopolitique de la France a permis au PCF d’assumer une triple fonction dans la société française. Sa fonction sociale lui a permis, dès les années 1920, d’exprimer les attentes du monde industriel et urbain et de contribuer à la politisation des catégories populaires, avant tout ouvrières. Sa fonction projective (ou « utopique ») lui a permis, via le mythe soviétique, de stimuler la lutte sociale par le vieux rêve de la « Sociale », celui d’une société débarrassée de l’exploitation et de l’aliénation. Enfin, à partir de 1934, le PCF a assumé une fonction ouvertement politique  : au travers de grandes formules de rassemblement (front populaire, résistance nationale, union de la gauche), il a donné corps à l’idée selon laquelle la gauche ne peut l’emporter durablement sur la droite que si elle se rassemble bien à gauche, autour d’une perspective de transformation sociale radicale.

En assumant simultanément ces trois fonctions, de 1934 jusqu’au début des années 1970, le PCF a été utile, à la fois à la classe et à la gauche. Il n’y avait pourtant aucune fatalité à ce qu’il les assume, avec cette constance et cette efficacité. Il y parvint parce que, à plusieurs reprises, ses dirigeants ont su avoir l’audace de la créativité politique. Malheureusement, la capacité d’innovation ne se décrète pas. Le PCF, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, était parvenu à un remarquable équilibre entre sa façon d’être et d’agir et la réalité de la société française.

Mais quand la société française, à partir des années 1950, se mit à changer, à marches forcées, les communistes s’effrayèrent de ce mouvement qui perturbait leurs bases d’implantation. Ils nièrent les changements, puis en minimisèrent la portée. Au final, ils considérèrent qu’ils n’avaient pas besoin de remettre en question le modèle particulier de parti communiste (le parti de souche bolchevique) qu’ils avaient choisi en 1920. Or il n’y avait pas qu’un seul type de parti communiste possible. En se fixant sur une forme unique, en privilégiant la structure (l’organisation) sur la triple fonctionnalité qui lui donne sens, les communistes ne furent plus perçus comme aussi utiles qu’ils l’avaient été. Concurrencés sur leur droite (le PS) puis sur leur gauche (l’extrême gauche trotskisante), leur force s’est étiolée.

Le problème est que, à ce jour, aucune force politique n’est capable d’assumer les fonctions qui furent celles du PCF au XXe siècle. Le courant révolutionnaire n’a pas disparu  ; les forces critiques ont gagné en ampleur. Le parti pris du communisme politique reste plus moderne que jamais. Reste à dire sous quelle forme il peut marquer l’espace politique. Sous la forme d’un parti communiste séparé  ? À l’intérieur d’une vaste force politique à la gauche de la gauche  ?

Ce n’est pas à l’historien de répondre à cette question. En 1920, les socialistes sacrifièrent la forme politique (le parti socialiste) auxquels ils tenaient, pour que vive l’idée révolutionnaire. J’ai l’impression que les communistes d’aujourd’hui doivent faire preuve de la même audace. C’est un pari, qui se gagne ou qui se perd. L’urgence politique pousse à s’y risquer.

Roger Martelli


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