Osez le féminisme ! Ces féministes qui rêvent de conquérir la politique

mardi 21 décembre 2010.
 

Paris - Début décembre, « Planning familial » du XIe arrondissement sous la neige. A l’intérieur, environ 70 personnes, en écrasante majorité des filles, la plupart la trentaine, travaillant dans la culture, les médias, comme attachées parlementaires ou encore infirmières, participent à l’assemblée générale mensuelle d’Osez le féminisme ! (OLF). Une association créée l’an dernier et qui a depuis le vent en poupe, revendiquant plus de 400 membres, essentiellement à Paris mais aussi dans une dizaine d’antennes régionales.

La discussion est à bâtons rompus, mais organisée à l’ancienne, avec ordre du jour, tour de parole et présidence de séance. Il est question de la campagne récemment lancée contre le viol ou du sommaire du prochain numéro de leur journal consacré à « femmes et sport ». Elles fourmillent d’idées : écrire aux députés, faire un concours de clips sur Youtube, un « die-in » sur le Champ-de-Mars, coller des affiches chez les médecins. Un homme dit même : « Je peux en mettre une chez mon gynéco, enfin chez le gynéco de mes filles... »

L’enthousiasme est palpable, la plupart n’ont jamais milité, certain-e-s cherchaient depuis longtemps un cadre où s’investir. Elles sont le symbole d’une nouvelle génération féministe, qui s’exprime également dans d’autres collectifs plus confidentiels comme la Barbe ou les Tumultueuses.

Une nouvelle génération qui émerge à intervalles réguliers sur la scène médiatique, comme, par le passé, Mix-Cité et ses opérations contre les vitrines des grands magasins ou Ni Putes ni soumises.

Cette fois, le positionnement est un brin différent : investie dans le mouvement contre la réforme des retraites à la rentrée, OLF insiste sur la question sociale et fait notamment des inégalités au travail un de ses axes prioritaires. OLF, rien que par son nom, assume aussi totalement le mot « féminisme » et un lignage total avec les « anciennes du mouvement », selon Caroline De Haas, 30 ans, médiatique e t énergique porte-parole. « On s’inscrit dans la continuité des années 1970, mais aussi des suffragettes et d’Olympe de Gouges. La différence, c’est Facebook », d’après elle.

Ultra-active sur le net, OLF s’est en effet beaucoup développée grâce aux réseaux sociaux. Exemple : la création de l’antenne de Toulouse. « J’ai rencontré Caroline sur Facebook, elle était amie d’une amie. On s’est vues à Toulouse puis j’ai monté l’antenne locale », raconte tout naturellement Nataly Breda, journaliste et féministe. Depuis, elles sont une vingtaine dans la ville rose. A l’occasion de la campagne contre le viol, OLF a mis en place un formulaire d’inscription sur Internet pour distribuer des tracts ou coller des affiches. Résultat : 500 personnes motivées, selon l’association.

Cet activisme revendiqué s’appuie sur un savoir-faire acquis par les piliers de l’association, dont beaucoup sont passés par le syndicalisme étudiant, en l’occurrence l’Unef.

Caroline De Haas a ainsi été pendant plusieurs années sa secrétaire générale. Elle a appris à gérer les listings de contacts, à organiser les rappels pour une réunion, à envoyer très vite des paquets de tracts en province. OLF organise aussi pour ses militantes des « cycles de formation, avec l’apprentissage de la prise de parole en public, dans les médias, du coaching pour savoir gérer une réunion, faire attention à ce que les plus timides parlent, savoir s’appuyer sur une intervention précédente dans un débat pour ensuite avancer ses idées », raconte la jeune femme.

« Se décomplexer totalement »

Mais l’originalité d’OLF se niche surtout dans son rapport au politique.

D’abord parce qu’elle a été créée par un noyau dur de militantes socialistes, autour de Caroline De Haas, depuis devenue la collaboratrice du porte-parole du PS, Benoît Hamon. « Au début, c’est mon réseau, je l’assume. Mais, aujourd’hui sur les 350 militantes à Paris, 250 n’ont leur carte nulle part », explique-t-elle. Surtout, poursuit-elle, « c’est une vraie stratégie qu’on assume, construire un mouvement qui rassemble toutes les sensibilités de la gauche et s’adresser aux politiques ».

D’où là présence d’OLF aux universités d’été du PS, des Verts ou, plus récemment, au congrès du Parti de gauche, ou le fait de « proposer à chaque manif un badge de l’association à Olivier Besancenot », selon De Haas. « Je ne suis pas militante d’un parti, mais il faut s’adresser aux pouvoirs publics pour faire changer les lois. C’est important de ne pas juste être un groupe qui débat dans son coin », explique Julie Muret, la trésorière d’OLF. Nataly Breda, à Toulouse : « Le féminisme est un problème politique, il faut donc s’adresser aux politiques et c’est bien d’être représentées en tant que féministes dans des partis. Il faut se décomplexer complètement. »

Un discours qui tranche avec des pratiques relativement ancrées ces dernières années quand les associations faisaient tout pour s’afficher, du moins publiquement, indépendantes des parti s, voire apolitiques. Plus globalement, depuis les années 1980, le mouvement féministe, échaudé par le manque d’intérêt des partis de gauche, n’a eu de cesse de s’autonomiser, comme l’explique la chercheuse Laure Bereni dans un article paru en 2006 dans Politix sur les féministes du PS. « À partir du milieu des années 1980, les résistances croissantes manifestées par l’organisation les ont de plus en plus poussées à extérioriser leurs stratégies de protestation, à penser et à agir en dehors de leur parti », écrit-elle.

Cette fois, une nouvelle génération est à l’oeuvre, qui s’est d’abord mobilisée l’an dernier contre le projet du gouvernement de supprimer une grande partie des crédits au Planning familial, prenant brutalement conscience du rôle du législateur, et donc de l’importance de la politique. « L’histoire du Planning familial a fait un électrochoc dans la société, les jeunes ont compris que rien était acquis », estime Arlette Zilberg, ancienne responsable de la commission féminisme des Verts et militante d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV).

Pas question pour autant de parler « d’entrisme », selon Fatima-Ezzahra Benomar, membre du bureau d’OLF et militante au Parti de gauche (PG) : « C’est pour le bien du féminisme, pour essayer d’élever le niveau de féminisme dans les partis. Moi je suis assez proche de Jean-Luc Mélenchon, Caroline de Benoît Hamon. On arrive à avoir une certaine influence sur les partis. » Elle en veut pour preuve le dernier congrès du PG en novembre, qui a choisi une coprésidente avec Martine Billard et où Mélenchon « a même prononcé le mot de patriarcat dans son discours de clôture », s’enthousiasme la jeune femme.

En retour, certaines cadres d’OLF encouragent les féministes à prendre une carte. « Quand on a une discussion sur la politique avec la moindre militante, je lui dis de s’engager », dit Caroline De Haas. De quoi tenter Nataly Breda à Toulouse : « L’engagement féministe amène à se poser la question de l’engagement politique. Cela fonctionne dans les deux sens. Moi, c’est vraiment le cas, j’étais apartisane. Là, la question se pose. »

La tentation de la récupération

Mais la démarche est à double tranchant : rendus méfiants par les précédents de SOS Racisme ou de Ni Putes ni soumises, dont la présidente, Fadela Amara, est finalement entrée au gouvernement de François Fillon, certains militants craignent l’instrumentalisation au profit du PS. « Je suis ravie de voir qu’une nouvelle vague féministe émerge. Mais la question est de savoir dans quelle mesure elles peuvent être manipulées. Parce que les partis sont souvent tentés de récupérer ou de manipuler le féminisme à leur profit. J’espère qu’elles auront assez de forces pour se battre », met en garde Arlette Zilberg, des Verts.

Une autre dit, sous couvert d’anonymat, que « ce qui est compliqué c’est la place de Caroline De Haas dans l’organisation du PS. Certains disent que ça va durer jusqu’en 2012 et puis c’est tout. Elle paie des pratiques passées du PS ». Un discours également entendu auprès de membres du Collectif national de défense des droits des femmes (CNDF), qui chapeaute de nombreuses initiatives féministes en France et où De Haas s’est longtemps investie.

« Caroline se sert de son carnet d’adresses, certains réunions ont lieu au siège de l’Unef. Mais c’est au profit du féminisme, intervient Emmanuelle Latour, sociologue et secrétaire générale de l’Observatoire de la parité de 2004 à 2010. On ne peut pas reprocher aux militantes d’être dans des organisations... surtout quand celles-ci ne leur laissent pas d’espace. On ne peut pas être en minorité à l’intérieur et stigmatisée à l’extérieur... C’est castrateur ! » Parce que, ironise Julie Muret, la trésorière non cartée, « si le PS trouvait que le féminisme est un bon moyen pour attirer les jeunes, ce serait très bien, mais c’est très loin d’être le cas » ! Et la jeune femme de rappeler qu’OLF est uniquement financée par les abonnements à son journal et ne reçoit aucune subvention du PS.

« On sait très bien que tu perds en crédibilité quand tu es lié à un parti. Si tel avait été le cas, on aurait été 30 au lieu de 300 », explique aussi Caroline De Haas, consciente de l’ambiguïté de sa double casquette. Mais, lâche-t-elle en souriant : « Alors ça voudrait dire qu’on réduit une femme à son activité professionnelle et qu’elle se fait forcément donner des ordres par un homme, en l’occurrence Benoît Hamon ?... » Argument féministe imparable.

Lénaïg Bredoux


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