Religion, féminisme, laïcité, émancipation (message envoyé en forum sur notre site par Zuzu, NPA 65)

samedi 25 décembre 2010.
 

Introduction au débat par Ingrid Hayes le 28 août 2010, lors de l’Université d’été du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) à Port Leucate

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Je ne suis pas venue ici pourfendre la religion en général ou l’islam en particulier. L’islam, ce n’est pas mon problème en tant que tel.

S’il existait des courants musulmans organisés progressistes, à l’image de la théologie de la libération, pas de problème pour faire des alliances. Les croyances religieuses ne sont pas un obstacle aux combats communs, y compris évidemment dans un parti commun.

Mais on a à rediscuter de l’oppression et des oppressions croisées.

1. Le contexte, le parti et les oppressions croisées

Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le cas particulier mais le cas général, qu’il faut resituer dans son contexte, un contexte de crise où les classes dominantes font feu de tout bois pour diviser les opprimé.e.s, les exploité.e.s. Contexte marqué en particulier par deux offensives

une vaste offensive raciste qui stigmatise les immigrés, en particulier les musulmans et aujourd’hui les roms.

une vaste offensive contre les droits des femmes, portée notamment par les courants religieux les plus réactioonnaires, qui sont en nette progression, offensive qui vise à mettre en pièces tous les acquis du féminisme, et le mouvement féministe en général

Dans ce contexte, on est en permanence en présence d’au moins deux oppressions différentes. On peut se dire qu’il faut définir des priorités, mais en réalité si l’on en choisit une, on oublie l’autre. Si on met de côté l’oppression que subissent les femmes, dans la société sexiste et machiste telle qu’elle est, ça conduit à l’oublier, à oublier qu’un jeune des quartiers populaires sur deux est une femme, de même que dans les luttes ouvrières, accepter de mettre de côté les questions spécifiques posées par les ouvrières conduisait à oublier qu’une proportion croissante puis la moitié des ouvriers sont des femmes.

Le problème de l’articulation des oppressions est un problème permanent, on doit en permanence tenir les deux bouts, même si c’est difficile.

Notre fonction en tant que parti est d’unifier tous les opprimé.e.s et les exploité.e.s, de prendre en charge l’ensemble des oppressions en même temps, pas de constituer une somme d’expériences juxtaposées

Dès lors, on ne met pas le doigt dans la logique de l’ennemi principal, qui conduit à diviser au lieu d’unifier, on est à tout moment et en même temps anticapitaliste, antiraciste, féministe.

La logique de l’ennemi principal, c’est le pendant de celle de l’ennemi intérieur, que déploie le gouvernement raciste, qui s’attaque aux plus faibles d’entre nous, et dont on voit bien aujourd’hui avec les attaques contre les roms qu’il peut changer de cible à tout moment.

2. Le foulard islamique, symbole et pratiques, la représentation publique du parti

Le foulard islamique n’est pas un vêtement comme un autre. Les vêtements ne sont évidemment pas neutres. Ils peuvent être utilisés comme un mode d’affirmation politique, sac Che Guevara plutôt que US army, cheveux longs plutôt que courts, hippies, black is beautiful, etc.

Dans le cas des femmes, cela se double d’une volonté de contrôle du corps : bataille sur taille de la jupe, jupe qui cache et entrave (cf playmobils, un playmo avec une jupe, on ne peut pas le mettre sur le cheval …), mais aussi instrument d’une autre nature, degré de coercition bien supérieur (les pieds des chinoises, les femmes girafes, et … toutes les formes d’envoilement)

Et le foulard islamique a un sens politique, largement reconnu comme tel, celui que lui donnent ceux qui en ont fait une injonction en islam (et les autres monothéismes avant lui) : les femmes doivent se couvrir pour éviter de susciter le désir des hommes. Cela renvoie à une vision patriarcale de la place des genres dans la société, vision antagonique à celle que nous défendons.

Il peut y avoir des motivations très diverses pour les femmes qui le portent, mais ces aspects individuels, qu’il faut reconnaître et prendre au sérieux, n’annulent jamais le sens général.

Bien sûr on peut comprendre que dans le cadre de la stigmatisation des musulmans, qui s’exprime avec violence, certains musulmans souhaitent en réaction publiquement affirmer qu’ils le sont. C’est légitime. Mais on a un avis sur le symbole utilisé dans le cas d’espèce : on considère que ce n’est pas un bon choix de choisir un signe religieux qui symbolise et manifeste l’oppression des femmes. De même on ne suspend pas notre jugement : pas d’autocensure, on ne soumet notre pensée à aucun dogme ou vérité révélée, on affirme que le changement est le résultat de notre combat commun sur terre et on dénonce les oppressions que les religions véhiculent et mettent en pratique. Il ne peut pas y avoir de doute là dessus.

D’autant qu’il s’agit aussi de tout autre chose que d’un symbole, puisque, dans le cas général, il s’accompagne de pratiques qui vont dans le sens de la vision patriarcale évoquée plus haut.

Venons en au problème de la représentation publique.

Evidemment, tout le monde a les mêmes droits dans le NPA, mais le chois d’un(e) candidat(e) est toujours affaire d’opportunité politique (sinon, tirons au sort le/la futur(e) candidat(e) à la présidentielle …). On cherche les individus les mieux à même de représenter le projet, le programme du NPA. On ne peut pas représenter publiquement le NPA, anticapitaliste, écologiste, antiraciste et féministe en portant un signe religieux qui a une signification contradictoire avec notre programme féministe.

On ne peut pas … sauf si. Il n’est pas question d’interdire en tous temps et en tous lieux, et de reculer, en réaction au fait accompli et pour s’en prémunir à l’avenir, en deçà des acquis des années 70. Si une femme portant le foulard a dirigé une lutte importante, c’est à ce titre qu’elle sera connue et reconnue, ce qui contribuera à faire de son appartenance religieuse un aspect annexe.

Mais par rapport à la théologie de la libération des années 70, il y a une différence majeure, celles et ceux qui s’inscrivaient ds ce mouvement portaient une critique féroce à l’égard de leurs propres institutions et appareils religieux. Ce n’est pas le cas dans le cas particulier qui nous a été posé.

3. Le cas particulier d’Avignon, un choix politique qu’il faut prendre au sérieux et discuter

Revenons sur ce cas particulier, parce qu’il a éclairé débat sous un jour particulier. Il y avait là un choix politique qu’il faut prendre au sérieux et discuter. Si Ilham porte le foulard librement, sans être aucunement aliénée, alors elle fait en se présentant avec le foulard un choix politique conscient qu’il faut discuter comme tel, sinon c’est du paternalisme.

En fait, comme le dit Pierre Rousset [1], il y a eu 2 bombes avignonnaises.

la présentation sans discussion préalable d’Ilham, qui a brouillé la campagne et a exposé le NPA à une campagne hostile tous azimuts.

Le seconde bombe a révélé des pb de plus grande ampleur, en déclinant un choix politique avec lequel je suis en désaccord.

• On nous a dit vous voulez valoriser le port du foulard islamique. Nous disions non, Ilham est une candidate parmi d’autres. Mais le noyau avignonnais disait oui, s’était battu pour qu’elle soit tête de liste, la présentant comme telle, révélant qu’elle avait été choisie non malgré son foulard mais bien à cause de lui. Il faisait donc un choix politique, celui de faire du foulard un porte drapeau.

• On ns a dit vous prétendez représenter les quartiers populaires en privilégiant une identité religieuse. Nous disions non. Ilham et Abdel disaient oui.

• On nous a reproché d’abandonner le féminisme. Nous disons non. Mais Ilham et Abdel ont donné raison à nos contradicteurs en déclarant que la burqa ne posait aucun problème dès lors qu’elle était librement portée.

C’était donc l’affirmation d’un projet politique structuré par l’entrée religieuse, avec des implications majeures, qui viennent s’ajouter à la question du foulard islamique : il y a bien des militant.e.s avec lesquels je suis en désaccord sur le sens du foulard mais dont je partage à 100% l’intervention ds les quartiers populaires.

4. Différents niveaux de débat

Dès lors, il faut sérier les débats.

Il y a un débat avec celles et ceux qui ont, à des degrés divers, le projet de construire un courant musulman ds le NPA. Il faut aborder la question sans les fantasmes produits par l’ambiance de stigmatisation des musulmans. Il n’existe pas de mouvement musulman autonome (comme le Bund ou le mouvement noir), dès lors il est logique que des militants radicaux et musulmans cherchent un débouché politique, et qu’il y ait une réfraction de cette recherche dans le NPA. C’est compréhensible et en soi légitime, mais ça ne peut être dans le NPA, ça n’est pas notre projet commun.

Il y a une discussion avec celles et ceux qui ne voient pas le problème, après tout, si elle a envie, et si c’est sa culture … Avec elles/eux, il y a au moins deux discussions :

• Il y a un pb sur la théorie du libre choix, qui est la traduction du progrès du libéralisme ds les esprits. D’où vient cette idée que les déterminations, aliénations, oppressions, ne pèsent que dans l’injonction directe ? Les individus sont-ils désormais suffisamment forts pour imposer leur libre arbitre pur, abstrait des dominations qu’ils subissent ? Nous serait-il interdit d’identifier ces dominations et d’expliquer en quoi elles s’imposent à toutes et tous ? Quel sens prendrait un processus d’émancipation s’il n’y a plus que des individus libres qui règlent eux-mêmes leur comportement ? par exemples, des femmes qui choisissent librement de rester à la maison, on en reste là, on a rien à dire des phénomènes d’assignation qu’elle intériorise, au delà de ses motivations individuelles ?

• Il y a un pb avec la tentation du relativisme culturel. Que l’on puisse concevoir que l’oppression des femmes prend des formes différentes ds l’histoire et dans l’espace n’empêche pas que l’oppression des femmes est universelle ainsi que ses formes principales. Le relativisme culturel mène de proche en proche à nier qu’il puisse exister, par delà les formes historiques et sociales qu’elles se donnent, des oppressions ayant un caractère universel. C’est donc mettre en danger la possibilité même d’un combat commun émancipateur.

Il y a enfin une discussion avec celles et ceux qui, issus de l’histoire anticléricale, semblent trouver très bien que les femmes portent le foulard, bien que, comme injonction, ce soit une prescription des courants les plus réacs de l’islam. Il semble aussi que les mêmes posent les problèmes de manière extrême, en laissant entendre que la burqa n’est pas un problème, en développant une orientation campiste caricaturale qui conduit à soutenir les Talibans. C’est sans doute très réduit, voire inexistant dans le NPA, mais ça existe dans les débats de la gauche radicale européenne. Ce sont des sujets dont je préférerais ne pas avoir à débattre dans mon parti, mais les choses doivent être extrêmement claires, parce que l’idée de la prise en charge de toutes les oppressions s’incarne ici avec force : on combat la burqa même si ce n’est pas par la loi, on ne soutient pas les Talibans même si l’on combat l’occupation impérialiste. Ajoutons, après déclarations inquiétantes imputées à Abdel dans un article de Mediapart (article 14851, « Comment le NPA veut s’implanter dans les banlieues »), sur le fait qu’il ne « croit pas à Darwin », que la science n’est pas affaire de croyance.

Pour en terminer :

On ne confond pas le parti et la société : il y a des tas de choses qu’on a le droit d’être et de faire dans la société, pas ds le parti. Il y a beaucoup de droits qu’on défend dans la société, mais sans équivalent dans le parti.

L’essentiel : notre fonction comme parti, c’est la prise en charge de l’ensemble des oppressions croisée, donc on ne s’allie pas au gouvernement au nom du féminisme, ni aux fondamentalistes religieux au nom de l’antiracisme. On mesure systématiquement les implications concrètes de nos prises de position.

L’issue, c’est la prise en compte du faisceau d’oppressions subies par les femmes et travailler le point de jonction. Les femmes musulmanes des quartiers populaires ne sont pas d’abord opprimées en tant que femmes ou d’abord en tant que musulmanes mais conjointement comme femmes, musulmanes, immigrées et prolétaires.

Ingrid Hayes


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