La leçon (quel bilan du mouvement de l’automne 2010 ?)

samedi 27 novembre 2010.
 

Leçon 1

Pour la nième fois depuis des années, après une lutte dure, une détermination sans faille, nous rentrons vaincus, la tête basse, laissant sur le champ de bataille, à l’appétit vorace des vautours de la finance, une des plus glorieuses conquêtes des générations de salariés qui nous ont précédé : la retraite à 60 ans.

Demain nous aurons des comptes à rendre à nos enfants, à nos petits enfants, aux générations futures.

Trompés par des politiciens parasites et démagogues, des organisations syndicales bureaucratisées, obsolètes, à la fois suivistes et liquidatrices, notre défaite est totale. Nos adversaires ne sont pas les seuls responsables,… sachons tirer aussi les leçons de nos incapacités, de notre naïveté et de notre indétermination stratégique.

UNE DÉFAITE CUISANTE

Ne tournons pas autour du pot,… Ne nous donnons pas de fausses illusions,…et ce ne sont pas les trépignements facticement enthousiastes de quelques uns d’entre nous qui veulent vivre encore dans le mythe du « Tous ensembles, tous ensembles,… » qui changera quoique ce soit à la situation. Pas plus que les « îlots de résistance » éparpillés et volontaristes qui changeront quoi que ce soit à la situation. Un fait est incontestable : nous avons été vaincus.

Certes, les organisations syndicales vont essayer d’amortir le choc… elles ont d’ailleurs déjà commencé en proclamant hautement que « rien n’est terminé », « la lutte continue sous d’autres formes » ( ?), et autres truismes ridicules… A les entendre c’est quasiment une victoire ( ?) Il ne faut surtout pas, dans leur esprit et pour leurs intérêts, décourager les salariés pour qu’ils reprennent le boulot et continuent à faire confiance à leurs organisations syndicales… Mais qu’a-t-on réellement obtenu ?. Rien. Pour certains plus d’un mois de grève pour quel résultat ? Néant !

Les politiciens quant à eux nous ont amusé sur d’autres terrains,…

D’abord les manœuvres parlementaires. On « allait voir ce qu’on allait voir », à l’Assemblée Nationale, puis au Sénat,… avec la cerise sur le gâteau : le Conseil Constitutionnel…. Du pipi de chat, un vrai désastre !

Ensuite et surtout, ils vont tout miser sur les élections. Ce qu’ils attendent, tout le monde le sait, tout le monde le voit,… comme sur les lépreux, les croûtes et pustules,… ce sont les prochaines échéances électorales,… et uniquement cela. Chacun va essayer de tirer à soit les dépouilles fumantes du mouvement social, va essayer de l’intégrer dans son discours, dans sa stratégie… mais le but, ce sont les urnes.

Au delà de ces considérations ridicules et démagogiques, il n’en reste pas moins qu’il faut tirer la leçon d’un tel désastre.

LA MISE EN SCENE DE LA CONTESTATION

Lutter contre la contre-réforme libérale des retraites était/est juste,… mais comment a été menée cette lutte ? Comme toutes les luttes sociales depuis cent cinquante ans :… manifestations, grèves.

Le seul problème, et la démonstration est aujourd’hui, une fois encore, explicite, c’est que cette méthode ne marche pas, ou plutôt, ne marche plus.

Pourquoi ?

Parce que nous ne sommes plus dans une situation où :

- un rapport de force déterminant pouvait être établi entre le Capital et le Travail,… le Capital étant obligé de négocier, du fait qu’il n’avait aucune solution de rechange… La mondialisation lui a ouvert des perspectives – le rapport des forces s’est inversé ;

- les syndicats, pouvaient contraindre à la négociation et aux compromis. Instruments de ce nouveau rapport de forces ils sont logiquement devenus obsolètes,… leurs pratiques étant en décalage par rapports aux enjeux ;

Le Capital, ses exigences et ses contraintes, ont aujourd’hui de nouvelles dimensions, son pouvoir s’est mondialisé. Les syndicats eux, sont restés ceux qu’ils étaient… leur champs d’action s’est rétrécit, leur pouvoir de contrainte s’est réduit comme peau de chagrin.

Ce problème stratégique n’est pas spécifique à la seule question des retraites,… tous les conflits sociaux, aujourd’hui, se heurtent à l’obsolescence d’une telle stratégie.

Toute la stratégie syndicale est aujourd’hui, essentiellement fondée sur le « spectacle de la résistance ». On peut se demander si tout n’a pas été affaire de « mise en scène ». Il s’agissait en effet de donner l’impression de la radicalité (qui était réelle dans tous les esprits), de la détermination (qui était limitée au spectacle donné), du nombre (invérifiable, manipulable et donc objet de multiples et ridicules interprétations et polémiques entre pouvoir et syndicats).

Les syndicats n’ont en fait plus de stratégie de luttes mais seulement des tactiques de communication et de démonstration.

Prenons un exemple : le blocage des raffineries, moment important et déterminant de la mobilisation. Un des rares lieux, avec les transports, qui, aujourd’hui peuvent entraîner un blocage de l’économie et donc constituer un moyen de pression considérable sur le gouvernement. Ce blocage mené de « main de maître » s’est terminé dans un désastreux fiasco.

Quand on déclare : « Nous bloquons jusqu’à satisfaction des revendications, … mais nous cèderons devant le recours à la force,… », on envoie explicitement un message à l’adversaire qui lui donne toute latitude pour gagner. Et c’est exactement ce qu’il s’est passé. La « résistance » a été purement symbolique.

Fallait-il résister physiquement, autrement dit aller jusqu’à l’affrontement ? La réponse est négative pour une raison simple. Dans le rapport de force spécifique à cette situation, le pouvoir était « militairement » vainqueur. Il dispose de troupes de mercenaires surarmées (CRS - Gardes Mobiles) et d’un appareil judiciaire répressif qui lui donne tous les avantages.

Alors,… que fallait-il faire ?

2 cas :

- dans ce type de mobilisation où seul le spectacle, la posture, le symbole comptent, pousser le rapport de force à une telle extrémité c’est montrer sa faiblesse, son impuissance, puisque l’on sait que l’on n’ira pas jusqu’au bout ;… mieux vaut ne pas s’engager dans cette voie qui une impasse ;

- dans une situation autre, caractérisée par une mobilisation sociale mettant en place, dans différents domaines, des structures court-circuitant les circuits officiels, alors une telle posture peut être un élément important de mobilisation, voire de re-mobilisation du mouvement, voire encore de démultiplication des initiatives et des actions.

Or, c’est le 1er cas que nous avons vécu. L’impact politico-psychologique du « coup de force » policier a été pratiquement nul sur le reste du mouvement. Pire, il en a sonné le glas, à la grande satisfaction – inavouée – des syndicats qui ne savaient pas trop comment terminer ce mouvement.

Pour sauver les apparences, les syndicats ont évoqué une « victoire de l’opinion » ? Mais qu’est ce qu’une victoire de l’opinion ? Est-ce le fait d’amener les gens à penser que le « gouvernement est méchant » ? Ce n’est pas très sérieux !

Jouer simplement et seulement sur l’indignation, les pulsions affectives du plus grand nombre, ne fait absolument pas avancer le changement social,…au contraire, la lassitude, l’amertume et le repliement sur soi en sont les fruits amers.

Quant aux politiques, qui eux essayent d’engranger électoralement les restes de ce mouvement,… ils applaudissent – discrètement - des deux mains devant un tel fiasco.

Ainsi, celles et ceux qui veulent un autre monde et dénoncent régulièrement cette « société du spectacle » en son réduit à la reproduire dans leurs actions. L’hystérie compulsive des mobilisations bimensuelles a tourné au folklore et à … l’impasse. Les organisations syndicales, et politiques, incapables de se dégager de la gangue idéologique, et des pratiques dans lesquelles elles végètent depuis des décennies laissent sans perspectives le mouvement social.

Novembre 2010

Patrick MIGNARD

Leçon 2

Le silence retombe peu à peu sur le mouvement de contestation de la réforme des retraites. Syndicats et partis politiques sont passés, comme ils disent « à autre chose ». Le combat mené n’aurait été qu’une péripétie secondaire sur la route qui mène à l’élection présidentielle de 2012.

Pourtant c’est à tout un bouleversement social auquel nous allons assister et faire les frais. Ne pas réagir aujourd’hui – et pas n’importe comment – c’est rouler vers l’abîme. Le spectre des années trente commence à effrayer – à juste titre - les plus conscients.

LA RECONQUETE

Avec sa mondialisation, le Capital est entré dans une phase de « reconquête ».

Reconquête d’un rapport de force idéologique.

L’effondrement de l’expérience lamentable du « socialisme » et le retour au capitalisme des états dits « ouvriers » lui assure une assise idéologique incontestable, depuis 1989. Aucune alternative n’apparaît pouvoir le remplacer.

Reconquête d’un rapport de force économique.

La dispersion du Capital à l’échelle mondiale, sa réorganisation sous forme de groupes, sociétés multinationales, transnationales, la libéralisation du commerce et des circuits financiers en fait un ensemble insaisissable pour ses victimes, nous.

Reconquête d’un rapport de force stratégique.

La lutte des salariés s’apparente à une partie de « colin maillard » ou celui qui a les yeux bandé n’arrive plus à trouver l’autre. Les vielles méthodes de luttes des salariés sont relativisées et facilement contournées dans le cadre d’une transnationalité.

Reconquête d’un rapport de force historique.

L’évolution de ces rapports de forces en faveur du Capital lui permet, aujourd’hui, dans les pays où il avait été obligé de « lâcher », de revenir sur les concessions faites aux salariés – autrement dit sur leurs acquis sociaux.

Stabilité de l’emploi, protection des salariés, hygiène et sécurité dans l’entreprise, salaire garanti, congés payés, protection sociale, retraites, services publics… tout est soumis à révision. Rien n’est épargné et rien ne sera épargné,… et les salariés, en position de faiblesse ne pourront que voir filer un à un ces acquis si chèrement acquis.

Depuis des années nous assistons à une attaque en règle contre les services publics, démantelés, aussi bien par la droite que par la gauche. Attaque contre la santé de plus en plus marchandisée : remboursement des médicaments, démantèlement de l’hôpital,…

L’attaque contre les retraites n’est qu’un épisode de cette logique, il y a fort à parier que la prochaine grosse étape va être le démantèlement de la Sécurité Sociale.

« Ils n’oseront pas » disent certains. C’est être bien naïf que de le croire… Et que va-t-on faire ? Comment allons nous nous y opposer ? En manifestant ? En pétitionnant ?... Comme pour les retraites ?

Peut-on faire une fois encore confiance aux syndicats ?

Peut-on faire confiance aux partis politiques qui trépignent d’impatience à la veille des élections ? Pensez vous sérieusement que l’on puisse faire la moindre confiance à celles et ceux qui s’apprêtent à aller au pouvoir ?

La réponse est évidente.

Est-ce à dire qu’il n’y a plus rien à faire, sinon à se laisser déposséder, et que le Capital a définitivement gagné la partie ?

En réagissant comme on l’a fait pour les retraites, on aura implicitement répondu positivement à cette question.

Reconnaître que l’on est battu – comme pour les retraites - est indicible. De même qu’est indicible le fait que l’on ne sait pas/plus quoi faire, comment s’y prendre, quelles actions entreprendre.

Syndicats et partis politiques refusent de poser le problème en ces termes,… et pour cause. Ils n’ont aucune alternative et n’en veulent aucune. Ils se satisfont de la situation présente.

AGIR, MAIS COMMENT ?

Lutter contre cette « reconquête », c’est repenser les choses autrement, envisager une stratégie de lutte autre que celle qui a été utilisée jusqu’à aujourd’hui et qui n’a plus aucun effet sur le système. Pour cela, inutile de faire la moindre confiance aux partis et syndicats qui se satisfont parfaitement de la situation actuelle.

S’affronter directement à celui-ci est suicidaire. L’histoire des 19 et 20e siècle nous a montré qu’il était capable de tout, et du pire, pour se tirer d’affaire. Il a institutionnellement tout verrouillé, y compris, et surtout, le système politique qu’il présente comme démocratique et qui ne sert qu’à le pérenniser.

L’affronter directement peut paraître héroïque, mais parfaitement vain et irréaliste. De même que déclencher une grève générale est parfaitement aléatoire, aussi bien dans les conditions de son déclenchement – il ne suffit pas de dire pour que ça se fasse – que dans ses prolongements – combien de temps et que fait-on après ?

Le seul accès que nous ayons se situe dans ses parties faibles,… celles où il ne nous attend pas, celles qui constitue l’essence même de son existence : les rapports sociaux de production et de distribution.

On n’attaque pas le char du capitalisme avec le lance pierre des élections ou même de la grève (même générale), mais en minant le pont sur lequel il va passer autrement dit en construisant un pratique et une stratégie collective une alternative asséchant, peu à peu, ses circuits de distribution.

La décadence même de ce système nous montre la voie. Face à la crise généralisée, des structures se mettent en place, des initiatives fleurissent, des expériences sont tentées.

Dispersées géographiquement, ignorées par les politiciens et les médias, elles n’en constituent pas moins des « amorces de solutions » locales, des situations pour recréer du « lien social », du sens à la vie collective, autre que les rapports mortifères générés par le système marchand.

Développées, généralisées et fédérées, ces pratiques peuvent constituer le creuset dans lequel émergeront les rapports sociaux solidaires que nous appelons de nos vœux.

Comparées aux grands circuits économiques du capitalisme mondial elles peuvent paraître, à son échelle, dérisoires… Pourtant elles peuvent exister, elles existent encore timidement, elles se développent, elles peuvent, et doivent, devenir même une stratégie politique de construction d’un monde nouveau.

Nous pouvons dès à présent soustraire des pans conséquents de l’économie des griffes du capitalisme marchand et financier. Nous ne pouvons certes pas investir tous les secteurs en même temps… Commençons par là où nous le pouvons : l’agriculture par exemple,… et faisons preuve d’invention et d’initiative sur les autres secteurs… Lors de liquidation d’entreprises par exemple (prenons l’exemple des Argentins).

Tout ne se fera pas tout de suite, spontanément. Tout ne réussira pas du « premier coup ».

Avec cette nouvelle stratégie nous pouvons créer un nouveau rapport de force avec les formes marchandes du Capital… Une telle stratégie peut être le socle social et politique à partir duquel mener des combats comme celui sur les retraites, l’intégration et la Sécurité Sociale. Les gestionnaire du Capital ne nous prendrons plus alors pour de simples contestataires incapables de mener leurs actions jusqu’au bout.

Ne forçons pas nos syndicats et organisations de « gauche » à mener ce combat,… c’est perdre notre temps. Changeons de terrain de lutte, allons sur un terrain qui leur est totalement étranger et autrement plus déterminant que leurs petites et grandes manœuvres politiciennes.

Le temps nous est compté et les expériences du 20e siècle doivent nous éclairer. Le capitalisme nous conduit une fois encore au désastre. En l’absence d’une stratégie, cette fois efficace, les dégâts, à tous les niveaux sociaux économiques, politiques, écologiques, moraux risquent d’être sans commune mesure avec ceux du siècle passé. Les problèmes qui se posent à nous sont, pour la première fois dans l’Histoire de l’humanité, non plus locaux, mais globaux, à l’échelle de la planète.

La barbarie nous guette.

Décembre 2010 Patrick MIGNARD


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