Jean-Pierre Havrin : « La police est devenue un outil de promotion du pouvoir »

jeudi 25 novembre 2010.
 

Cet ex-commissaire, devenu adjoint à la sécurité à la mairie de Toulouse, vilipende la politique de sécurité du chef de l’État 
dans un livre intitulé  : Il a détruit la police 
de proximité.

Jean-Pierre Havrin a contribué à créer la police de proximité au cabinet de Jean-Pierre Chevènement. Il était à la tête de la section de Toulouse, moquée devant les caméras par Nicolas Sarkozy en 2003 pour avoir organisé des matchs de rugby avec la population – un événement dont il raconte les coulisses. Aujourd’hui adjoint au maire de Toulouse en charge de la sécurité, il fustige la politique gouvernementale en la matière dans un livre intitulé  : Il a détruit la police de proximité (Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 250 pages, 18 euros).

Quelle était la philosophie de la police de proximité  ?

Jean-Pierre Havrin. Une police au service des citoyens et non du pouvoir. Tout au long de ma carrière, j’avais remarqué que les gens n’aiment pas trop les flics de façon générale. Mais ils aiment bien leurs flics, ceux de leur quartier. L’idée était donc de mettre des policiers sur un territoire précis, toujours les mêmes, qui soient là pour s’approprier les lieux, et pour que les gens se les approprient. Au Mirail, à Toulouse, les gens s’étaient mis à leur parler et, au bout d’un an, ils pouvaient patrouiller à pied, ce qui n’était pas gagné au départ. Cerise sur le gâteau, on arrivait même à organiser des matchs de rugby avec les policiers contre les jeunes du quartier.

C’est justement la raison pour laquelle, en février 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait mis un terme à l’expérience…

Jean-Pierre Havrin. Quelques jours avant sa visite et son intervention en direct à la télévision, une de ses conseillères était venue préparer le terrain. Je n’étais pas là ce jour-là. Mes gars lui avaient expliqué comment la délinquance avait baissé au Mirail, qu’ils avaient arrêté plein de voyous… Elle leur avait répondu  : « Le ministre doit équilibrer sa communication, jusqu’ici il a beaucoup insisté sur la répression, il vient à Toulouse pour insister sur le volet prévention. Qu’est-ce que vous faites dans ce domaine  ? » Et voilà comment ils avaient convenu d’insister sur ces matchs entre les jeunes et les flics, pour nous symbole de réussite. Le jour J, le gars récite ce qu’on lui avait demandé, évacue tout le reste, le volet répressif, comme on le lui avait demandé. Il n’a pas pu finir son speech, il s’est fait moucher  : « Vous n’êtes pas des travailleurs sociaux… » Comme si on ne le savait pas. En plus, les mecs faisaient ça sur leur temps de repos, ce qui prouve leur implication. Voilà comment a eu lieu, face caméra, la mise à mort de la police de proximité. Même les pro-Sarko ont été choqués par la forme. D’ailleurs, la plupart des maires, même de droite, étaient pour. Y compris Dominique Baudis, à Toulouse.

Est-ce que les unités territoriales 
de quartier (Uteq), transformées 
l’été dernier en brigades spéciales 
de terrain (BST), sont des polices 
de proximité  ?

Jean-Pierre Havrin. On enlève le mot proximité parce qu’il est banni, mais on peut tourner les choses comme on veut, une police coupée de la population, ça ne marchera jamais. Dans l’Uteq, l’idée de proximité, c’était le rattachement à un quartier. Mais elles étaient équipées comme des porte-avions, et passaient en voiture très rapidement sans chercher à s’intégrer à la population. Les BST, elles, ne seront plus du quartier mais d’un territoire plus grand encore. On ne sent pas cette envie de recréer le lien. Pourtant, on y sera obligés. Les fonctionnaires de police eux-mêmes le réclament – à part Alliance qui est une courroie de transmission complètement dévouée à son chef. Ils pâtissent de ces politiques puisqu’ils se retrouvent en position d’ennemis de la population. Aujourd’hui, Sarkozy parle de « faire la guerre aux voyous ». Mais en parlant de guerre, nos adversaires montent d’un cran, et répondent désormais avec des armes de guerre. Les flics sont au bord de l’explosion. On leur file des objectifs de plus en plus inatteignables, qu’ils ne comprennent pas. On a dévoyé complètement la fonction policière. Aujourd’hui, c’est devenu un outil de promotion du pouvoir. Pourtant, les statistiques, on s’en fout  : si les gens ont le sentiment inverse de ce que montrent les chiffres, non seulement ça ne sert à rien, mais ça alimente un sentiment de suspicion à l’égard du pouvoir. Ce qui est important, c’est de connaître le taux de satisfaction de la population  : est-ce que ça va mieux, est-ce que vous vivez mieux  ? Si un cinéma, une épicerie ont rouvert, si les voitures brûlent moins, s’ils dorment mieux la nuit… Depuis l’abandon de la police de proximité à Toulouse, il y a cinq fois plus de voitures brûlées. Ce n’est pas rien.

Jusqu’où va le malaise policier  ?

Jean-Pierre Havrin. Je suis syndicaliste et je peux vous dire que ce n’est pas la première fois que les policiers se sentent maltraités. Mais à ce point-là, c’est la première fois. On ne les écoute pas, on les met dans des positions infernales, on en fait des cibles par rapport à certaines populations. Entre le début de ma carrière de commissaire et la fin, la sécurité est devenue un enjeu politique très fort. Les flics se sont retrouvés dans un système où on leur passe des commandes. Avant, on était des techniciens, on connaissait les recettes, plus ou moins bonnes, et l’idée, c’était que ça marche. On n’était pas obligés de fournir des résultats. Maintenant, si Sarkozy intervient, on veut un résultat dans les quarante-huit heures. Or, en matière de sécurité, les bonnes solutions sont celles qui demandent du temps.

N’y a-t-il pas, de plus, un décalage entre le discours sécuritaire et les compressions d’effectifs ?

Jean-Pierre Havrin. Quand Sarkozy était ministre de l’Intérieur, les flics étaient plutôt sensibles à son discours. Mais ce sont des gens pragmatiques. Très rapidement, ils ont perçu la différence entre le discours volontariste et gesticulateur, et la réalité. Quand il y a un problème quelque part, il se pointe, parle de faire la guerre aux voyous mais, dans les mois qui suivent, il n’y a pas un mec en plus sur le terrain. Quand il y a un problème avec les personnes âgées, il crée une brigade spéciale personnes âgées, mais sur les effectifs existants. S’il y a une agression dans un bus, il crée la brigade des bus, etc. C’est infernal, les flics ne s’y retrouvent plus et sont complètement déstabilisés.

Entretien réalisé par Anne Roy


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