Défendre Mélenchon, l’affaire de toute la gauche (Mediapart)

dimanche 21 novembre 2010.
 

« N’acceptons pas les menaces de ceux qui veulent tuer le débat en affirmant qu’il n’y pas d’autre politique possible, et qui humilient ceux qui veulent d’abord exprimer la colère qui monte dans notre pays », plaide Alexis Corbière, conseiller de Paris, secrétaire national du Parti de Gauche.

Dans son roman « Le Voleur », paru en 1897, Georges Darien fait dire à son personnage éponyme : « Je fais un sale boulot, mais j’ai une excuse : je le fais salement. » Depuis quelques jours, il est une poignée d’hommes politiques, classés à gauche, qui font un sale boulot. Mais eux, ont-ils une excuse parce qu’ils le font salement ? Non.

Cette poignée d’homme regroupe Jean-Paul Huchon, Manuel Valls ou récemment Daniel Cohn-Bendit. Leur sale boulot consiste à gêner la progression du Front de gauche, pour empêcher coûte que coûte que la gauche, et seulement la gauche, puisse se rassembler sur un réel contenu politique de transformation sociale et non sur une pâle adaptation au libéralisme. Le projet de ce trio est connu, il veut que la gauche s’allie avec le centre-droit, et par conséquence, adopte une orientation qui permette cette alliance.

Dans ce funeste projet, qui a échoué partout dans le monde, Jean-Luc Mélenchon et son audience grandissante allant de pair avec celle du Front de gauche depuis la rentrée, sont un obstacle qu’il faut détruire coûte que coûte. Alors, ils y vont salement, sans nuance, comme des brutes.

Il faut pourtant garder la tête froide, et répondre. L’outrance de leurs propos n’est pas une erreur politique, elle est l’expression d’une orientation cohérente. Qu’importe à leurs yeux les dégâts irresponsables que cela pourrait produire. Dépourvu de réels arguments qu’ils osent assumer, l’injure vulgaire qu’ils répètent en boucle est la suivante : les discours de Jean-Luc Mélenchon et du Parti de gauche sont comparables à celui du FN. « Pire que Le Pen », précise même Jean-Paul Huchon.

Ces trois irresponsables ont-ils mesuré la banalisation de l’extrême droite qu’entraîne de telles déclarations ? Mais, si l’extrême droite est partout, alors elle est nulle part, et il devient impossible d’en combattre ses idées. Ouvrons les yeux. Ce trio connaît-il le programme du Front national ? Manifestement, non. Comment peut-on comparer ceux qui luttent contre la remise en cause de la retraite à 60 ans avec ceux qui, comme le FN, ont fait campagne en 2007 pour la retraite à 65 ans ? Comment peut-on comparer ceux qui veulent davantage de droits sociaux et défendent les services publics, avec ceux qui veulent détruire le code du travail et appellent à plus de privatisations ? Comment peut-on comparer ceux qui défendent tous les travailleurs présents sur le territoire, y compris les travailleurs sans papiers, avec ceux qui demandent l’expulsion immédiate de ces derniers ? On pourrait continuer cette liste. Elle est sans fin.

J’attends que l’on vienne me dire en quoi, sur un point, ce que propose le PG est comparable au programme du FN. Parce que nous sommes opposés à l’Europe libérale ? Parce que nous avons appelé à voter non au TCE en mai 2005 ? Mais, qui ne voit pas le caractère odieux, et profondément antidémocratique, de ce discours méprisant, visant à assimiler à l’extrême droite tous ceux qui ne seraient pas d’accord avec l’orientation actuelle de l’UE ?

C’est d’ailleurs cet antagonisme total entre le PG et le FN qui entraîne qu’actuellement, Jean-Luc Mélenchon est également la cible de nombreuses attaques sur des sites d’extrême droites. « Supercherie », « petit politicien franc-maçon », ami des « syndicats collabos », « internationalistes pour l’effacement des frontières », le « juif Mélenchon » vendu aux médias, etc. toutes les figures traditionnelles de l’extrême droite ressurgissent contre lui. Eux, ils savent que nous sommes leurs adversaires irréductibles.

Mais, cela, nos trois calomniateurs s’en moquent. Nous serions « populistes », disent-ils. Qu’est-ce à dire exactement ? J’attends aussi que l’on me définisse ce que signifie réellement ce mot fourre-tout, « une notion à écran total », lourde d’un dangereux contresens, comme dirait l’universitaire Annie Collovald. Utilisé comme une injure depuis quelques décennies, nous pensons que ce mot, d’une rare fainéantise intellectuelle, ne signifie rien de très précis et qu’en conséquence, il doit être abandonné du vocabulaire politique.

Qu’on en juge. Selon les différents commentateurs qui emploient ce mot, on devrait ranger dans la catégorie des « populistes » des gens comme Le Pen, mais aussi De Gaulle, Péron, Mussolini, Khadafi, Castro, le sous-commandant Marcos, Chavez, Moralès et maintenant Mélenchon, bref tout et son contraire. Le 15 juillet 2010, Dominique Reynié, le chercheur du Cevipof, déclarait avec sérieux dans Libération : « Même Ségolène Royal tient un discours populiste, tout comme Marine Le Pen ». L’ancienne candidate socialiste avait eu le tort, selon ce drôle de chercheur, de dénoncer les liens entre l’UMP et les puissances d’argent. Lundi 8 novembre, à l’émission « Mots croisées » sur France 2, l’homme d’affaires Charles Beigbeder et Nadine Morano l’utilisaient cette fois-ci contre Eva Joly, qui les avait agacés en demandant que le capital soit taxé davantage. Depuis, je n’ai d’ailleurs pas entendu M. Cohn-Bendit prendre la défense de celle qu’il soutient comme candidate d’Europe Ecologie, quand elle est ainsi attaquée... par les mêmes mots que ceux qu’il utilise. Tiens, au fait « Dany », dans la catégorie du populisme, sans doute y ranges-tu le système Berlusconi, tu sais, ce système où se mélangent les hommes politiques avec celui du foot roi ? Qu’en penses-tu, toi, qui va passer bientôt à la TV, un coup pour parler politique, et la fois suivante pour commenter des matchs ? Mais, stop, je m’égare et j’arrête là mon ironie.

La réalité est donc que ce néant conceptuel ne signifie qu’une chose dans la bouche des puissants : le mépris du peuple. Si vous voulez défendre la grande majorité de la population, le « peuple populaire », alors vous êtes un démagogue, un « populiste ». Vous pensez qu’il y a trop d’inégalité sociale ? Populiste. Vous pensez que les partis politiques doivent proposer des orientations claires, susceptibles d’entraîner un réel changement ? Populiste. Vous voulez « changer la vie » vraiment ? Populiste.

C’est à cette arrogance, qui dévaste le débat politique, que Jean-Luc Mélenchon entend répondre. Lisez son livre « Qu’ils s’en aillent tous ! Vite la révolution citoyenne » (Editions Flammarion). Dès son introduction, il affirme que ceux qui s’indigneront de ses propositions peuvent « brandir leur dérisoire carton rouge : "Populiste" ». Cela lui importe peu. Il assume le contenu de son ouvrage malgré les insultes.

Je conclus. Chacun est en droit de ne pas partager les opinions et les propositions de Jean-Luc Mélenchon et du Parti de gauche. Normal. Logique. Elles n’ont pas la prétention de faire l’unanimité, car cette dernière n’existe pas. Notre société est traversée par des conflits d’intérêts, des contradictions de classes. Je dirais même que nous critiquer, ainsi que tous les autres partis, est un devoir civique. Discutons. Confrontons nos opinions. Il n’y a pas de société démocratique sans contradictions. Il n’y a pas de République sans républicains, sans citoyens éclairés qui font des choix en conscience. Mais, n’acceptons pas les menaces de ceux qui veulent tuer le débat en affirmant qu’il n’y pas d’autre politique possible, et qui humilient ceux qui veulent d’abord exprimer la colère qui monte dans notre pays.

A gauche, il est temps de réagir. Déjà plusieurs personnalités des Verts ou du Parti communiste se sont fait entendre pour dénoncer ces amalgames. Ils ont eu le courage de refuser le sectarisme qui fait fermer les bouches et assèche les cœurs. Qu’ils soient ici remerciés. Nous attendons des réactions des autres partis. En défendant Jean-Luc Mélenchon, ce n’est pas seulement l’honneur d’un homme et d’un courant de pensée qui est en jeu, c’est aussi la possibilité d’une alternative politique à gauche. Afin qu’en 2012, nous puissions battre la droite et sa politique, vraiment.

13 Novembre 2010

Edition : Les invités de Mediapart


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