Retraités « Des producteurs de lien social » par Serge Guérin, sociologue

mardi 9 novembre 2010.
 

Pour le sociologue Serge Guérin (*), la réforme Sarkozy montre que l’on n’a pas pris la mesure du nouvel âge de la vie que représente la retraite.

La réforme 
des retraites 
se résume à un plan financier, elle est dénuée de toute dimension sociétale. Quelle réaction cela vous inspire-t-il  ?

Serge Guérin. En effet, encore une fois, quand on parle des retraités, 
on ne les voit que sous l’angle 
du coût, de la charge pour la société. Globalement, le discours tenu revient à se demander si l’on peut 
se permettre d’avoir autant 
de bouches inutiles à nourrir… Vision détestable et totalement fausse. D’abord parce qu’on 
a le droit d’être inutile. 
Et deuxièmement, parce que, justement non, personne n’est inutile. On n’a pas compris –cette réforme en témoigne fortement– que vieillir, ce n’est pas comme 
hier  : il y a, pourrait-on dire, 
un rajeunissement de l’âge 
en quelque sorte, les personnes 
de 60, 65 ans aujourd’hui n’ont pas grand-chose à voir avec celles 
de 60, 65 ans d’il y a vingt, trente 
ou quarante ans. Les gens, 
en moyenne, sont plus en forme, 
plus actifs, et ils ont devant eux 
du temps de vie. Il y a eu des progrès de la médecine, de la prévention, 
et l’ensemble des lois sociales, 
y inclus celles sur la retraite, 
ont fait aussi qu’on vit mieux, 
plus longtemps.

Dans ce nouveau temps de vie, quel rôle jouent les retraités  ? Au demeurant, peut-on mesurer leur utilité sociale  ?

Serge Guérin. On peut se demander s’il est important de la mesurer. 
Moi, je dis que non  : il ne faut pas tout marchandiser. L’utilité sociale, 
c’est du qualitatif. Bien sûr, on peut 
faire des équivalents monétaires. 
On sait, par exemple, l’importance des aidants informels, les gens 
qui vont aider une autre personne, 
un parent vieillissant, un enfant atteint de maladie chronique… 
cela représente, d’après une étude, 
un équivalent de plus 
de 100 milliards d’euros. Bien plus que le déficit des retraites… Des retraités, on entend dire que ce sont des inactifs de plus de 60 ans. 
En réalité, ce sont des actifs sociaux, qu’on retrouve par exemple dans 
les associations. À tel point que 
si cette réforme marchait, cela poserait un problème au monde associatif. Les plus actifs dans 
ce monde-là, ce sont justement les gens entre 60 et 70 ans. Ils sont aussi engagés dans la vie politique. 32% des maires de nos communes sont des retraités. Sans ces fonctionnaires gratuits de la République, demain, beaucoup de petites communes s’arrêtent. On peut en dire autant des partis, des syndicats, dont plus du tiers des adhérents sont des retraités. Tous les secteurs sont innervés par la production 
de lien social par les seniors. Il faut ajouter à cela l’aide informelle, 
les solidarités de proximité, qui 
se développent partout. Les aidants, ces gens qui passent des heures et 
des heures à aider quelqu’un d’autre, 
un parent, un voisin, un ami…, 
sont 3 à 4 millions, et ce sont souvent des seniors.

Les retraités ont aussi, par leur pouvoir d’achat, un rôle économique, également occulté dans le débat…

Serge Guérin. Les retraités sont 
des consommateurs importants. 
Qui consomment pour eux, 
mais aussi pour les autres. 
Mais attention à ne pas laisser dire 
que les retraités sont des privilégiés. La retraite moyenne, c’est 1 300 euros. Leur présence redynamise certains territoires, génère une activité globale, 
des emplois de service, rajeunit l’activité en quelque sorte.

La retraite peut aussi être une occasion, un temps libre pour redonner du sens à sa vie, à un moment 
où le travail apparaît de plus en plus 
en crise…

Serge Guérin. Beaucoup de gens disent  : « Le boulot a été très dur, mais au moins on va pouvoir s’arrêter assez tôt et on pourra en profiter. » C’est triste, il faudrait aussi que le travail ait plus de sens. En tout cas, il est vrai que, pour beaucoup, la retraite est presque une soupape de sécurité  : « Je tiens le coup car je sais que je vais pouvoir m’arrêter assez tôt, et j’aurai du temps devant moi, je pourrai 
en profiter. » En profiter pour soi, mais aussi pour les autres. 
En sachant bien que « ce que 
je fais pour les autres, cela me fait d’abord plaisir ». C’est le moment où on choisit de faire ces choses bien. J’ai réalisé des entretiens avec des gens qui m’ont confié que, pour la première fois de leur vie, ils avaient un agenda  : tel jour, je fais de la gym, tel autre, je vais chercher les petits-enfants, tel autre, je suis dans telle association, je fais de l’alphabétisation… Alors que pendant tout le temps de leur vie active, ils ne décidaient jamais 
de leur temps.

La réforme vient donc bousculer 
un nouvel équilibre de la société qui s’installe avec ces retraités…

Serge Guérin. Les lois sociales, c’est ce qui permet aux personnes d’exercer leur solidarité  : c’est parce que j’ai un filet de sécurité, un revenu qui me permet de vivre, que je peux aller vers les autres, donner aux autres. 
Si je suis dans la misère, dans 
le combat pour trouver mon pain tous les jours, je n’ai pas le temps d’être solidaire. Cela vaut pour toutes les générations. S’agissant des retraités, le fait de réduire les niveaux de retraite et d’allonger le temps de travail, cela fera moins de temps, de disponibilité, à la fois physique et mentale, pour l’ensemble des activités de production de lien social.

(*) Il a publié, notamment, De l’État providence 
à l’État accompagnant, Michalon, 2010.

Entretien réalisé par Y.H., L’Humanité


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