Front de Gauche, syndicats et associations pour une perspective à gauche (Dumas, Aschieri, Sire-Marin, LDH)

lundi 15 novembre 2010.
 

1) Alternative à gauche. Le déploiement d’engagements libres Par Maryse Dumas, responsable syndicale

Comme beaucoup d’autres, je cherche à contribuer à ce que les choses changent fondamentalement, non seulement dans notre pays, mais aussi en Europe et dans le monde, car tout est de plus en plus corrélé.

Je réponds à l’invitation du Conseil national du PCF à dire comment je vois « la construction commune d’un pacte d’alternative à gauche » dans une démarche constructive et ouverte. Ces réflexions n’engagent que moi, pas la confédération à laquelle je suis syndiquée.

Les orientations de la CGT sont claires, et je les partage  : elle ne participera pas à une co-­élaboration d’un programme politique quel qu’il soit. Cela ne signifie ni indifférence ni neutralité à l’égard du politique mais juste appréciation de ce qui relève du rôle des partis politiques d’une part, du syndicalisme d’autre part. Ce dernier a beaucoup travaillé sur la spécificité de la démarche syndicale. Il serait bien que les partis de gauche y réfléchissent également car ils restent habités par une vision « subalterne » du rôle du syndicalisme  : faire monter les mécontentements quand la gauche est dans l’opposition, calmer le jeu quand elle est au pouvoir. Pour réussir à transformer fondamentalement la société, ils ont pourtant besoin d’un syndicalisme indépendant, capable de mobiliser sur les revendications, pour affronter les résistances politiques et économiques aux changements.

Le pacte est-il une fin ou un moyen  ? Pour moi, la fin c’est de créer les conditions d’un processus de transformation fondamentale, les différentes échéances politiques devant être pensées comme des moyens, des étapes pour en réaliser les conditions. Or j’ai quelquefois le sentiment que les échéances de 2012 (dont je comprends par ailleurs l’importance) deviennent l’objectif en soi. Cette question mérite d’être éclaircie car elle en conditionne beaucoup d’autres.

Les lieux de décision véritables échappent de plus en plus à la seule échelle nationale, voire même au seul pouvoir politique. Le pouvoir économique est aussi un enjeu. Identifier où sont les lieux réels de pouvoir et de décision, à l’échelle nationale ou internationale, et définir une stratégie de conquêtes progressistes de ces différents niveaux, me paraît incontournable. Il en va de la crédibilité de propositions politiques visant à faire reculer, à l’échelle d’un seul pays, la domination du capitalisme financier.

La démarche d’élaboration démocratique est aussi importante que le contenu des programmes. Bien sûr il faut des programmes en rupture véritable avec les politiques libérales, mais ils ne seront convaincants que s’ils sont élaborés avec les gens eux-mêmes, en s’appuyant sur les rapports de forces, la multiplicité et la diversité des constructions de terrain.

Le débat, la façon de le conduire et de le traduire sont essentiels. Il suppose un état d’esprit de respect des différences d’approche, d’efforts de compréhension, de ce qui motive les uns et les autres, sans jamais ni figer ni caricaturer les désaccords qui peuvent survenir. Chacun doit pouvoir apporter sa pierre sur ce qui l’intéresse et le motive sans être obligé d’adhérer à tout. Un pacte signifie engagement à réaliser un projet mais aussi à ne pas le dépasser. Ce dernier point me pose problème car les revendications et les luttes sont le moteur de l’histoire. Il ne peut être question de les encadrer. Un changement fondamental de société ne se fera que par déploiement d’engagements libres. Enfin le rassemblement doit viser large sans s’en tenir à ceux et celles qui sont déjà proches.

2) Alternative à gauche. Échange, confrontation et débat Par Gérard Aschieri, syndicaliste enseignant

Dans ce que j’ai entendu, il y a un mot qui me plaît particulièrement, c’est celui de « débat ». Je pense en effet depuis longtemps que l’élaboration de réponses alternatives aux questions de fond de l’avenir de notre société nécessite l’échange, la confrontation et le débat, parce que personne n’a de solution clé en main.

Il importe de croiser les approches et les apports de chacun dans le respect de la spécificité des divers points de vue. Cela vaut pour le politique et pour le syndical, et plus largement pour les diverses composantes de ce qu’on appelle le mouvement social.

En effet, si les points d’où chacun parle ne doivent pas être confondus, s’il faut veiller à n’instrumentaliser personne dans quelque sens que ce soit, je ne crois pas à des domaines réservés, étanches. Au contraire, l’actualité montre l’inverse. Lorsque les organisations syndicales se battent pour la défense de notre système de retraite et qu’elles font des propositions alternatives aux « réformes » régressives du gouvernement, elles touchent à des questions « politiques » au sens le plus noble du terme  : la conception des solidarités dans la société, la répartition des richesses, la fiscalité... C’est dans le prolongement logique de leurs revendications.

Et nous avons des exemples récents où partis politiques, élus, syndicats, associations se sont retrouvés pour mener ensemble la bataille et le débat d’idées sur des questions centrales  : je pense par exemple à ce qui s’est passé avec la votation citoyenne sur la privatisation de La Poste où aux états généraux pour les services publics aujourd’hui en construction.

Oui, donc au débat et à l’échange dans le respect de la spécificité de chacun.

Dans le cadre de ce débat, je souhaite apporter deux idées qui sont bien sûr liées à mon expérience particulière.

D’une part la question de l’école est une question centrale pour l’avenir de notre société  ; c’est une question politique majeure et elle doit occuper une place déterminante dans les propositions d’une alternative  ; mais il s’agit de le faire en se mettant d’accord sur l’enjeu fondamental qui est celui extrêmement ambitieux d’une lutte résolue contre les inégalités et pour la réussite de tous.

D’autre part il importe de faire des services publics, de leur défense et de leur rénovation un des axes d’une nouvelle politique et de la conception même de la société que nous voulons  : ce ne peut pas être simplement un élément parmi d’autres d’un programme mais un des moteurs de la transformation.

Je ne fais qu’esquisser ces idées mais elles me semblent caractéristiques de ce qui peut être à creuser dans un tel débat.

3) Alternative à gauche. Construire des passerelles Par Évelyne Sire-Marin, magistrate, membre de la Ligue des droits de l’homme et de la Fondation Copernic

En même temps que le populisme pénal désintègre la justice comme institution protectrice des libertés, il détruit le service public judiciaire en supprimant 300 tribunaux sur 1 100.

Des juridictions qui existaient depuis deux cents ans sont effacées d’un trait de plume, obligeant les personnes à faire parfois 100 ou 150 kilomètres pour un divorce, une affaire aux prud’hommes, ou devant un juge d’instruction.

La justice, notamment pénale, est de plus en plus symbolisée par le glaive que tient la déesse Thémis, tandis que la balance, symbole de l’équité, s’estompe. Car l’État pénal remplace aujourd’hui l’État social et les 19 lois sécuritaires votées depuis sept ans ont pour effet de pénaliser la misère, l’immigration, la maladie mentale et les difficultés sociales de pans entiers de la population.

Toujours inquiet de l’indépendance des juges, le gouvernement voulait l’année dernière supprimer le juge d’instruction, qui est un empêcheur d’étouffer en rond les affaires économiques et financières. L’affaire Bettencourt démontre d’ailleurs que tous les moyens sont bons (même les poursuites contre le juge lui-même) pour éviter qu’une juge indépendante ne s’intéresse à cette détestable collusion du monde de l’argent et de la politique.

Cependant les États généraux de la justice pénale, mouvement collectif d’avocats, de magistrats et de juristes, ont réussi à empêcher la suppression du juge d’instruction et c’est une victoire parmi les nombreuses défaites du droit de ces dernières années.

D’autres mouvements, comme les collectifs anti-Edvige (sur le fichage des élèves), Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans (contre la recherche dès l’enfance des futurs délinquants) ou Pas de bébés à la consigne (contre la déprofessionnalisation des personnels de la petite enfance) ont arraché des reculs à ce gouvernement sur ses projets de loi de stigmatisation et de surveillance de la jeunesse.

Toutes ces dynamiques, je l’ai constaté, ont rassemblé bien au-delà des militants habituels, attirant des jeunes ou des professionnels très impliqués dans ces combats. Mais ceux-ci n’envisagent pas pour autant d’adhérer à un parti, tout en comprenant pourtant combien la question sociale est liée à la question politique.

Ayant participé à ces dynamiques, il me semble que le pacte populaire autour du programme partagé du Front de gauche devrait se construire lui aussi comme une passerelle, un pont lancé entre les partis politiques appartenant au Front de gauche et les autres forces sociales, syndicats, associations et simples citoyens.

Des ateliers thématiques sur la santé, la police, l’éducation, les libertés démocratiques, la sécurité sociale et professionnelle, la justice, etc., pourraient être l’occasion d’enrichir la réflexion politique du Front de gauche des multiples propositions de changement que font constamment les associations et les syndicats.

Car il est temps de réinterroger la question de l’adhésion à un programme politique  ; cela ne passe plus nécessairement aujourd’hui par la signature d’une adhésion, par une carte de membre, mais aussi par l’engagement dans une dynamique plus large, par l’inscription sur des listes de discussion, par la participation à des forums.

J’espère que le Front de gauche s’ouvrira à ces nouvelles formes d’engagement car, de la même manière qu’on peut vivre ensemble sans signer un contrat de mariage, je crois qu’on peut faire ensemble de la politique, sans signer une carte d’adhérent aux partis du Front de gauche.

4) Alternative à gauche. Un carrefour civique pour les droits Par Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme

La LDH a lancé en 2009 une campagne « Urgence pour les libertés  ! Urgence pour les droits  ! » sur la base de constats que l’actualité a validés toujours plus spectaculairement.

Une politique de la peur, de la stigmatisation et de la fragmentation sociale défigure la République et met en danger l’effectivité de l’ensemble des droits et libertés.

C’est l’installation d’une société de surveillance, les caméras de vidéosurveillance à chaque coin de rue, les nouveaux fichiers que l’on découvre chaque jour. C’est la justice mise au pas, dont l’état du tribunal de Nanterre face à l’affaire Woerth-Bettencourt donne la mesure  ; la multiplication des gardes à vue sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme et par la justice française  ; les rapports dégradés entre la police et les citoyens, qui se sentent plus menacés que protégés quand on en vient à viser des têtes de lycéens avec des Flash-Ball  ; l’état des prisons « honte de la République ».

Ce sont les droits des étrangers précarisés, les sans-papiers surexploités et traqués, les Roms et les gens du voyage cloués au pilori, une véritable xénophobie d’État qui a choqué le monde entier cet été.

C’est un monarque républicain qui concentre tous les pouvoirs réels entre ses mains  : ce n’est pas au Parlement qu’a été supprimée la retraite à 60 ans… Quand l’indépendance de la justice est méconnue, les autorités indépendantes supprimées ou privées de moyens suffisants, les droits sont à la merci de l’arbitraire. Faut-il ajouter, alors que la « contre-réforme » des retraites est refusée par 70 % des Français, qu’un véritable rouleau compresseur s’abat sur les droits sociaux, augmentant inégalités, discriminations et précarité  ? À l’unisson des agences de notation et de la finance internationale, le dirigeant du Medef Denis Kessler exigeait qu’on en finisse avec le programme du Conseil national de la Résistance. Nous y sommes.

Le mécontentement devant cette démolition est largement partagé dans la société. Mais si aucune alternative ne paraissait crédible, il peut cohabiter avec le défaitisme. C’est pourquoi, sur la base de notre campagne « Urgence », nous avons proposé à nos partenaires associatifs et syndicaux un pacte pour les droits et la citoyenneté, pour s’adresser ensemble aux forces politiques, aux élus et aux candidats et faire connaître leurs réponses aux citoyens. Un site Internet va publier ces réponses, diffuser les mobilisations, être un véritable carrefour civique de la défense des droits.

Ce pacte a été signé par plus de 45 organisations qui couvrent l’ensemble des champs de défense des droits  : CGT, FSU, Solidaires, mais aussi Unef, Union nationale lycéenne, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France, Confédération paysanne, Syndicat des journalistes CGT  ; Confédération syndicale des familles, Droit au logement, la FCPE, France Terre d’asile, Gisti, Ligue de l’enseignement, Mrap, Observatoire international des prisons, Planning familial et Collectif national pour les droits des femmes, etc.

Nous ne sommes pas des partis politiques, nous n’avons pas vocation à écrire des programmes ou à passer des alliances. Mais nous sommes légitimes à proposer des alternatives à ce que subissent les victimes des violations des droits et des libertés. La puissance des mobilisations récentes le montre, le rôle de la société civile est essentiel dans la période qui s’ouvre. Rien n’est joué d’avance. L’avenir est entre nos mains.


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