La micro-finance tue en Inde : 56 suicides dans les deux derniers mois liés aux pratiques usurières des « micro-financiers »

samedi 6 novembre 2010.
 

En 2006, Mohammed Yunus recevait le prix Nobel de la Paix pour « ses efforts pour promouvoir le développement économique et social à partir de la base », concrètement pour la mise en place depuis les années 1970 d’un système de micro-crédit au Bangladesh avec sa « Grameen bank ».

Derrière les discours humanitaristes du « banquier des pauvres » se cache la face sombre de la micro-finance. Celle d’un système aujourd’hui au bord de l’effondrement victime de ses excès contenus dans les principes même de la micro-finance.

Durant ses deux derniers mois, cinquante-six petits paysans indiens de l’Etat de l’Andhra Prandesh – état du Sud-est de 75 millions d’habitants concentrant 1/3 de l’activité de la micro-finance indienne – se sont suicidés faute d’avoir pu honorés des prêts à des taux usuriers ruinant les emprunteurs et leurs familles, harcelés par la suite par les percepteurs des institutions de micro-finance

Depuis plusieurs années, les communistes expriment leurs doutes et leur opposition fondamentale aux principes de la micro-finance. Dans un article intitulé « L’étau de la micro-finance », le dirigeant communiste indien K.Veeriah rappelle leurs positions :

La micro-finance, dans son essence, est lié au projet de refondation néo-libérale mondiale.

Le principe de la micro-finance a été discuté pour la première fois par les économistes libéraux dans les années 1970 pour résoudre le problème du tarissement des débouchés pour le capital financier international. Des économistes libéraux, comme alors le jeune Joseph Stiglitz, pointent la nécessité d’ouvrir de nouveaux marchés, et d’inclure dans le marché du crédit l’immense masse des pauvres des pays émergents exclus des circuits du capital financier. A partir des expériences Bangladaises et Boliviennes, est avancée l’idée d’articuler un système de petites banques privées et de communautés locales, palliant à la question de la solvabilité par la mise en commun des ressources. La théorie de la micro-finance trouve alors un écho auprès des grandes organisations à la tête de la mondialisation capitaliste : le FMI, la Banque mondiale et l’OMC. Du sommet de Washington de 1997 organisé par la Banque mondiale à la Conférence internationale sur le financement pour le développement de Monterrey de 2002, la micro-finance et le micro-crédit sont promus comme un pilier essentiel de la mondialisation capitaliste.

La micro-finance : une industrie capitaliste qui ne connaît pas la crise.

Présenté comme un projet humanitaire et désintéressé, la micro-finance se révèle être une poule aux œufs d’or. Avec des taux d’intérêts dépassant largement les 30%, le profit est assuré pour les banques du secteur, en particulier pour le leader en Inde, SKS. Le taux de rendement des capitaux propres des banques du secteur entre 2008 et 2009 en Inde est passé de 5,1% à 18,5% tandis que le taux de croissance annuelle des prêts accordés est de 105%. Les banques spécialisées dans le micro-crédit gèrent en 2010 des actifs d’une valeur de 55 milliards de dollars, et celles-ci reçoivent non seulement des financements de banques commerciales privées mais aussi des financements d’organisations internationales comme la Banque mondiale pour développer leur industrie. Le mythe d’un système reposant sur des ONG à but lucratif ne résiste pas à la réalité. Valorisées par le FMI et la Banque mondiale comme « ONG » pour lutter contre l’État interventionniste indien, elles sont devenues tant par la fonction économique qu’elles remplissaient que par les financements directs ou indirects de la finance mondiale, des entreprises à but lucratif comme les autres, des banques commerciales dans un créneau pas comme les autres.

La micro-finance privée occupe la place laissée vide par l’Etat dévelopementaliste indien.

Comme le rappelait le PC d’Inde Marxiste à son congrès de 2005 : « Conceptuellement, le projet du gouvernement et de la Banque mondiale de micro-finance et de groupes d’entre-aides servent d’alternative au crédit rural qui a chuté fortement après la libéralisation. Les groupes d’entre-aide ne peuvent pas être un substitut au crédit rural institutionnel. Nous devons nous opposer à une telle approche ».

Face au désengagement de l’État indien et la privatisation du secteur bancaire, le micro-finance occupe – avec profit – la place laissée vacante. Comme le rappellent les communistes, dans les années 1970, les banques nationalisées indiennes avaient un quota de crédits accordés aux zones rurales, aux très petites entreprises et exploitations, et aux couches les plus défavorisées de la société : 40% du volume total des crédits dont 25% à ces derniers. A partir de la fin des années 1980, ce Programme de développement rural intégré (IRDP) est abandonné et la libéralisation du secteur bancaire et financier ouvre la porte aux intermédiaires privés qui subordonnent l’accès au crédit des plus pauvres à l’entrée dans le marché privé du crédit.

Pendant que l’état d’Andhra Pradesh lance la chasse aux « micro-financiers »... le système de la « micro-finance » au bord de l’effondrement Ce constat lucide des communistes est désormais entendu même par une partie de la classe dirigeante Indienne.

L’état d’Andhra Pradesh, pourtant dirigé par un Parti du Congrès qui a plus que laissé faire le développement de la micro-finance à l’échelle nationale, a désormais décidé de lancer la chasse aux « micro-financiers ».

Le responsable pour le développement rural de l’Etat, R.Subrahmanyan, a d’ores et déjà décidé de l’ouverture d’une enquête sur la vague de suicides touchant l’état indien. L’état a par ailleurs émis une ordonnance d’urgence qui contraint les entreprises du secteur à s’inscrire auprès de l’état et qui les interdit désormais de vendre leurs services au domicile des ménages indiens.

La violation de ces règles serait désormais punie de peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 100 000 roupies d’amendes.

Les banques commerciales, qui fournissent de 80 à 85% des capitaux des institutions de micro-finance, commencent à refuser désormais de leur accorder de nouveaux prêts.

L’agitation politique et l’insubordination civile se sont répandues dans les communautés rurales pauvres. Les dirigeants politiques locaux poussent les emprunteurs à ne pas rembourser, et des villages entiers se sont rassemblés dans leur volonté de ne pas céder au chantage des « micro-financiers ».

Pour le président du consortium des institutions de la micro-finance, Vijay Mahajan, confrontés à la fois au refus des banques commerciales d’accorder des prêts au secteur et au refus des emprunteurs de rembourser leurs créances, le système « risque l’effondrement » et « l’industrie [de la micro-finance] telle que nous la connaissions a d’ores et déjà disparue ».

Article construit sur la base des articles du Morning Star (PC de Grande-Bretagne) et de People’s Democracy (PC d’Inde-Marxiste) ainsi que sur les dépêches AFP et AP


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