Comment favoriser l’implication populaire ? (article national PG)

mercredi 3 novembre 2010.
 

Avant tout, parce qu’il garantit l’égalité stricte entre les citoyens, le vote est la première arme du peuple en démocratie. Or, force est de constater qu’une part croissante de la société y renonce. Lors des élections régionales de 2010, 53,6% des inscrits se sont abstenus au premier tour et 48,9% au second. Ajoutés à ces chiffres les 10% d’électeurs potentiels qui ne se sont pas inscrits sur les listes, c’est donc quasiment deux tiers des citoyens qui ne prennent pas part au vote. Parmi eux figurent une grande majorité de personnes issues de la classe ouvrière puisque 69% des ouvriers et 64% des employés s’abstiennent.

Cette situation n’est pas une découverte, et pourtant, elle semble empirer, la corrélation entre abstention et appartenance à une classe sociale inférieure se renforçant, année après année. Dans le cadre de l’élaboration de son programme partagé, le Front de gauche se doit de proposer les conditions d’une implication populaire massive et régulière. Le Parti de gauche a donc sollicité trois chercheurs en sciences sociales pour tenter de comprendre la dépossession démocratique des classes populaires et tracer quelques pistes de solutions. Ce premier atelier du programme, intitulé « Comment permettre l’implication populaire, condition de la révolution citoyenne ? » s’est tenu à l’Assemblée nationale samedi 23 octobre 2010.

Luttes sociales et bataille politique

L’implication des classes populaires dans le système politique peut se faire de deux manières d’après Gérard Mauger, sociologue et chercheur au CNRS. D’une part elles se mobilisent dans les luttes sociales, d’autre part elles s’investissent -ou ne s’investissent pas- dans la bataille politique, notamment par le vote.

La plupart du temps, l’ordre établi n’est pas contesté. La lutte sociale et l’implication des classes populaires en son sein sont donc l’exception. Le système se protège de l’implication populaire par la coercition policière, la coercition économique du système capitaliste et l’utilisation d’un langage qui légitime l’ordre établi. Se protège-t-il également du vote des classes populaires ? Le régime politique actuel est-il responsable de la désaffection du vote et les solutions sont-elles d’abord institutionnelles ?

Oui, la professionnalisation de la politique et la codification des savoirs et des savoir-faire excluent ceux qui ne disposent pas des compétences techniques délivrées par les « écoles du pouvoir » (ENA, Sciences-Po...). Oui, l’offre politique est de plus en plus uniforme et conduit à une censure de l’impossible (parce que la mondialisation, parce que la Chine...) et de l’impensable (une révolution citoyenne ? Populisme !). Mais les institutions ne sont pas les seules responsables.

Formation populaire

Le système politique conduit donc à exclure les classes populaires de la représentation nationale (90 % des députés aujourd’hui appartiennent aux catégories socioprofessionnelles supérieures, dont font partie 12 % des français), mais les partis politiques portent également leur part de responsabilité dans cette situation. Bernard Pudal, professeur de science politique et spécialiste du PCF a montré l’importance de l’organisation militante pour favoriser l’implication populaire. D’abord, le parti communiste a permis au cours du vingtième siècle à des ouvriers d’accéder aux responsabilités d’élus par l’intermédiaire des écoles du parti. L’éducation populaire est donc indispensable pour que la classe ouvrière se sente en capacité d’intervenir dans le débat politique. En l’absence de ce travail collectif, elle s’auto-exclut, se sentant dépossédée par des discours qu’elle ne comprend pas, des préoccupations qui lui semblent bien trop éloignées de son quotidien et des représentants dans lesquels elle ne se reconnaît pas. Par ailleurs, le parti communiste avait mis en place des relais (délégués d’atelier, responsables de cellule, associations, journal...) entre les luttes sociales et la prise de position politique qui ont permis d’amener les ouvriers au vote en sa faveur.

La politisation des classes populaires n’est pas immédiatement tournée vers le vote ou les luttes sociales et elle est, de ce fait, difficile à saisir. Pour autant, il ne s’agit pas d’un désintérêt pour la politique, au contraire, et le réinvestissement du champ politique par la classe ouvrière peut être rapide.

Des représentations plus claires, des élus plus représentatifs

Le renoncement des classes populaires à utiliser le vote, ou à s’impliquer dans le système politique, est alimenté par le sentiment que rien ne change, quelque soit le parti politique au pouvoir ; le chômage augmente, le coût de la vie augmente. Daniel Gaxie, professeur de science politique et auteur notamment du livre Le cens caché, a expliqué que la méfiance massive envers la politique et les élus ne signifiaient pas une indifférence. Au contraire, l’appréciation de l’action politique est souvent teintée de jugement moral et témoigne donc d’une croyance forte en le pouvoir des dirigeants politiques à changer la situation. Dans leur rapport à l’Europe par exemple, le jugement des classes populaires s’arrête surtout sur l’euro, et les incidences que la monnaie unique peut avoir sur le coût de la vie. Mais le système en lui même n’est pas condamné. C’est la mauvaise volonté des politiques qui l’est. Ils ne font rien pour améliorer leur situation afin de protéger leurs intérêts et l’ordre établi. Il se pourrait donc qu’un nouveau leader, utilisant un langage commun -et non un langage technique voire technocratique- et donnant à voir de façon claire les rapports de force dans la société, emporte l’adhésion de la classe ouvrière. L’importance du vocabulaire, des mots et des représentations de la société qu’ils véhiculent a été soulignée. Les partis politiques de gauche se doivent de continuer à parler de la lutte des classes qui oppose le capital et le travail, ce qui permet de donner « une vision de la division du monde » selon les termes de Bourdieu. La classe ouvrière peut alors avoir conscience d’elle même, s’orienter sur l’échiquier politique et ne pas être attirée vers d’autres visions de la division du monde comme celle de l’extrême droite pour qui la division fondamentale est entre la France et l’étranger ou celui venu de l’étranger.

Enfin, l’uniformité des représentants politiques, dans lesquels ne se reconnaissent pas une grande partie de la population, peut en partie expliquer l’abstention. Il est donc important de favoriser l’élection de représentants issus des classes populaires, pour que ces dernières se sentent représentées dans leurs préoccupations et de ce fait, légitimes à donner leur avis. C’est le rôle des partis politiques, mais également, peut être, du système institutionnel. Daniel Gaxie proposait en effet de s’interroger sur les possibilités de mesures analogues à celles prises en faveur de la parité pour garantir la représentation des classes populaires.


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