Françafrique : comment en finir ?

lundi 25 octobre 2010.
 

1) Rappel des faits

Cinquante ans après les indépendances, les forces de gauche, les sociétés civiles d’Afrique de l’Ouest sont en quête de nouvelles formes de développement.

Les 25 et 26 septembre, quinze formations politiques de dix pays se sont réunies à Bamako (Mali), à l’initiative des progressistes maliens de l’UM-RDA Faso Jigi et du Parti communiste français, autour d’un colloque dédié au cinquantenaire des indépendances. Intellectuels, acteurs des luttes de décolonisation, responsables politiques, militants altermondialistes sont revenus sur un passé commun de luttes anticoloniales, mais surtout sur les cinq décennies écoulées, sur les entraves infligées aux expériences émancipatrices dont les luttes d’indépendance furent la matrice. Un travail de mémoire et d’histoire pour mieux appréhender l’enjeu contemporain, celui d’une nouvelle libération de l’Afrique, pour lever la tutelle des institutions internationales, mettre fin au pillage néocolonial, conquérir une authentique indépendance contre les stratégies impérialistes des grandes puissances et des ex-métropoles sur le continent. Une telle visée, ont insisté la plupart des intervenants, implique une mise en cause radicale des logiques capitalistes en crise qui fondent l’actuelle mondialisation. Les participants se sont interrogés sur les conditions d’une refondation des rapports entre l’Afrique, la France et l’Union européenne, entre le Nord et le Sud, entre le centre capitaliste et la périphérie d’un tiers-monde sommé de privatiser, de libéraliser, de déréguler, tout en mettant en pratique les «  kits de développement  » qu’on lui livre. Tous ont souligné, en citant parfois les actuelles expériences latino-américaines, l’urgence d’un retour des peuples sur la scène politique. Processus démocratique qui ne saurait se résumer à la succession de processus électoraux à la transparence souvent douteuse et surtout destinés à préserver l’ordre existant.

Impossible, ici, de restituer fidèlement la richesse des échanges et des regards croisés auxquels ce colloque a donné lieu. Nous publions, simplement, les extraits de quatre interventions. Point de départ certain et indispensable d’un nouveau travail politique commun entre communistes français et progressistes africains, cette initiative fera l’objet, prochainement, d’une publication par les organisateurs.

Une soirée de restitution est organisée mercredi 20 octobre, au siège du PCF, place du Colonel-Fabien à Paris, en présence de Pierre Laurent.

Rosa Moussaoui

2) La décolonisation, une légende dorée (Par Alain Ruscio, historien)

3) Éradiquer aujourd’hui les logiques de domination et de pillage

Par Pierre Laurent, secrétaire national du PCF

Pour le Parti communiste français, les indépendances acquises, voici cinquante ans, qui constituent l’un des événements majeurs du XXe siècle, sont d’abord un acquis des luttes de libération des peuples colonisés. Des luttes qui plongent leurs racines dans des mouvements de résistance anciens et dans des combats toujours renouvelés contre l’asservissement et le pillage. Face à un pouvoir colonial dont la répression fut maintes fois inhumaine, jamais les peuples du continent ne se sont soumis. Rien, et certainement pas l’indépendance, n’a été « offert » aux peuples d’Afrique.

(…) Sans doute aucun, le « cinquantième » est l’anniversaire d’un tournant majeur de l’histoire de l’humanité. Nous le célébrons dans un autre moment majeur de cette histoire, un moment où le monde fait face à une crise historique, des processus de domination capitaliste sur la planète, un moment où il devient impératif d’ouvrir les voies d’un autre mode de développement humain (…).

Le combat anticolonial, ce passé de luttes communes, ne fut pas conjoncturel. Les communistes français s’honorent de l’avoir mené (…). Rien ne fut simple, pour personne. Nous regardons avec lucidité notre propre chemin. Mais la mémoire et l’histoire retiendront la force et la portée de notre engagement commun dans ce combat de civilisation (…).

L’actualité en souligne d’ailleurs cruellement (…) la brûlante actualité.

Cinquante ans après les indépendances, le passé colonial revient avec force dans le débat politique français. Le discours de Grenoble prononcé, cet été, par Nicolas Sarkozy, pour tenter d’assimiler une population étrangère, voire les « Français d’origine étrangère » à des populations collectivement suspectées de délinquance, réveille des heures sombres de notre histoire. Ce discours n’a malheureusement rien d’un accident. C’est un retour en grâce de la xénophobie volontairement orchestré, un choix politique et idéologique qui figurait déjà dans le discours du candidat Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle le 7 février 2007 à Toulon. Dans ce discours, il qualifiait les ambitions coloniales, je cite, de « rêve de civilisation », il fallait oser  ! « Un rêve de civilisation » qui fut une vaste et durable expédition impérialiste d’asservissement et d’exploitation (…).

Il faut (…) être très clair. Ce que nous demandons, c’est une reconnaissance officielle et digne de la responsabilité de la France pour les fautes historiques commises vis-à-vis des peuples colonisés (…). C’est la reconnaissance de la vérité. (…) Mais pour combattre aujourd’hui avec efficacité, en pleine crise, (…) les résurgences de la mentalité coloniale, il nous faut penser autrement le monde, la place de la France dans ce monde et nous reposer des questions essentielles, celle de la portée de nos valeurs – égalité, liberté, fraternité – à l’aune des nouvelles frontières de l’humanité mondialisée.

Repenser le monde, ouvrir les voies d’un nouveau type de développement humain, réellement solidaire et durable, est bien, plus que jamais, notre défi commun.

Nous le voyons avec les politiques française et européenne, ultrasélectives, discriminatoires et répressives, opposées aux pays d’émigration. C’est l’une des faces les plus brutales de l’offensive des forces capitalistes en crise (…).

Il en va de même avec la domination néocoloniale française, qui n’a cessé de s’appuyer en Afrique sur un système de contrôle, d’interventions et de bases militaires aujourd’hui en plein redéploiement. (…) Mais plus fondamentalement encore, c’est tout simplement le droit au développement des pays d’Afrique (…) qui est le grand défi pour le progrès et l’harmonie de la planète tout entière.

Le sommet de l’ONU vient à nouveau de le mettre en évidence. C’est le type actuel de mondialisation qui plonge des centaines de millions d’hommes, de femmes, d’enfants dans la misère et rend inaccessible les Objectifs du millénaire. Un milliard et demi de personnes vit avec 1,25 dollar par jour, un milliard souffre de la faim. Mais, dans le même temps, en dix-huit mois, les dirigeants capitalistes et les grandes institutions financières viennent de déverser 5 000 milliards de dollars dans les tuyaux (…) des marchés financiers pour sauver leur système en faillite. C’est de cet engrenage infernal qu’il faut sortir la planète d’urgence.

Éradiquer aujourd’hui les logiques de domination et de pillage, c’est agir ensemble pour structurer un nouvel internationalisme (…).

Pierre Laurent

4) Il n’y a pas de pays développé sans industrie développée

Par Amadou Seydou Traoré, écrivain

Le colonialisme et le néocolonialisme s’opposent de toutes leurs forces à l’industrialisation des pays qu’ils contrôlent. C’est naturel de la part de puissances qui ne sont préoccupées que de s’arroger des monopoles, quelle qu’en soit la manière. Toute implantation d’industrie dans de telles conditions vient compliquer la position des industries similaires de la métropole coloniale ou néocoloniale. C’est pourquoi les gouvernements impérialistes (…) diffusent et imposent les théories les plus éculées sur « la vocation agricole » de tel ou tel pays ou continent, sur la « non-rentabilité » de tel ou tel projet d’industrialisation (…). Si cela ne tenait qu’à eux, l’Afrique, l’Asie et l’Amérique 
latine seraient éternellement vouées à la production de matières premières à bon marché, cependant qu’elles demeureraient des débouchés pour les produits manufacturés d’Europe occidentale et d’Amé
rique du Nord. Comme si « labourage » et « pâturage », n’avaient pas été les « mamelles de la France » et comme si les « treize colonies » que furent les États-Unis ne furent pas les pourvoyeuses de la Grande-Bretagne en coton et canne à sucre  !

On a poussé la lutte contre l’industrialisation dans nos pays jusqu’à la limite. C’est ainsi que des thèses dites « agronomiques » ont été échafaudées pour empêcher jusqu’à l’essai de certaines cultures qui peuvent inspirer une industrialisation.

Il apparaît clairement que l’industrialisation des pays nouvellement indépendants est impossible tant qu’ils restent dans le giron impérialiste, enserrés dans le carcan de la mondialisation néolibérale. Une abondante littérature néocolonialiste et impérialiste a été publiée dans toutes les langues pour convaincre les pays sous-développés de se confiner à l’agriculture. On y met en exergue la classification des pays en « pays industriels » et en « pays non industrialisés ». On tente d’accréditer l’idée que les pays non industrialisés doivent seulement s’efforcer d’améliorer les termes de leurs rapports commerciaux avec le monde capitaliste sans envisager aucun changement structurel des rapports économiques. On refuse la décolonisation des structures économiques, la libération économique des pays, parce que, ce que l’on recherche par-dessus tout, ce sont de nouvelles formules pour perpétuer la domination et l’exploitation économiques des nouveaux États par le système capitaliste mondial.

C’est à dessein que l’attention est distraite des vrais problèmes  : la décolonisation des structures économiques et l’édification d’économies nationales indépendantes. Or, la simple logique veut que la libération politique soit tout naturellement suivie et complétée par la décolonisation économique, la renaissance culturelle et une transformation radicale, par une révolution sociale.

C’est à dessein que l’attention est braquée sur le faux problème de la «  détérioration des termes de l’échange  ». Car, en fait, les termes des échanges en question ne sont que du détail par rapport au cadre, aux principes et à la structure des échanges. Les termes découlent du cadre colonialiste, impérialiste  ; ils découlent des principes d’inégalité, de domination et de diktat qui régissent les rapports entre le néocolonialisme et les jeunes États nationaux (…). Il ne saurait y avoir détérioration quand le cadre des échanges deviendra la coopération entre les peuples  ; quand les principes directeurs seront la solidarité, le respect et l’avantage réciproques (…). Il faut, à l’instar des États-Unis, qui ont rejeté la domination anglaise et avec elle la « vocation agricole »  ; à l’instar de l’Allemagne et de l’Italie, qui ont remplacé leur économie à dominante agricole par une économie à dominante industrielle  ; à l’instar enfin de tous les pays développés du monde, rejeter « la vocation agricole » car c’est en définitive une vocation au retard, une vocation à la stagnation, une vocation à la subordination, une vocation à la misère.

En fin de compte, il n’y a pas de pays développé sans industrie développée, il n’y a pas de développement réel sans industrialisation, car c’est l’industrie qui est, dans tous les pays, le « facteur dominant » du développement, même si l’agriculture en constitue « la base » de départ.

Amadou Seydou Traoré


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