Aubry, le PS et les retraites : pour ne pas revivre une quatrième désillusion lors de l’élection présidentielle de 2012 (par Pascal Cherki, maire socialiste du 14ème arrondissement de Paris)

samedi 23 octobre 2010.
 

En prenant connaissance du contenu de l’intervention de notre Première Secrétaire lors de son passage à l’émission « À vous de juger » j’ai eu un doute. Comment Martine Aubry a-t-elle pu, alors que nous sommes en pleine mobilisation contre le projet profondément injuste de remise en cause des retraites par répartition, affirmer son accord avec l’allongement de la durée légale des cotisations ? Et comme, par sa parole, notre Première Secrétaire nous engage tous, je me demande si nous prenons bien la mesure de ce qui est en train de se passer dans notre pays actuellement : à savoir une colère de plus en plus explicite et de plus en plus importante contre un sentiment de profonde injustice qui règne depuis de nombreuses années dans notre pays. J’avoue que je ne comprends toujours pas les motivations qui ont conduit notre Première Secrétaire à faire cette déclaration devant des millions de téléspectateurs. Qu’aurions-nous dit si, en plein mouvement contre le projet de réforme de Devaquet en 1986 François Mitterrand avait manifesté son accord avec une partie de ce projet de loi ? Qu’aurions-nous dit si en plein mouvement contre le CPE, François Hollande avait manifesté son accord avec une partie de ce projet de loi ? C’est pourquoi je ne trouve aucune explication rationnelle à cette déclaration de Martine Aubry. Tout comme je ne comprends pas l’acharnement que mettent certains de mes camarades siégeant comme moi au Bureau National du PS à se prononcer pour l’allongement de la durée des cotisations. Tactiquement cette position est une faute car elle raisonne comme une gifle claquée à la face de millions de salariés mobilisés contre le projet de Nicolas Sarkozy et de François Fillon. Sur le fond, ensuite, elle est éminemment contestable et ce pour plusieurs raisons.

Cette position est contestable tout d’abord pour une raison de méthode. On ne peut pas vouloir à la fois construire une réforme des retraites dans la négociation avec les partenaires sociaux et afficher une position qui est rejetée par une écrasante majorité de salariés et deux au moins des principales confédérations syndicales, à savoir la CGT et FO.

Cette position est contestable ensuite sur le plan philosophique. Tout le combat de la gauche et du syndicalisme est un combat pour rendre du temps aux salariés. Pour leur rendre du temps de vie, non marchand, un temps qu’ils pourront utiliser librement pour se reposer, pour profiter de leurs proches et de leurs amis, pour voyager, pour se cultiver, pour s’engager. Ce combat est consubstantiel à l’émergence du mouvement syndical et de la gauche politique depuis l’apparition du capitalisme. C’est le combat pour la réduction de la durée quotidienne du travail, pour la réduction de la durée hebdomadaire du travail, pour le droit aux congés payés et pour le droit à la retraite. C’est l’essence même du combat réformiste, opposé à l’attente du grand soir, et qui consiste à vouloir changer progressivement l’ordre injuste de la société capitaliste.

Cette position enfin est contestable du point de vue économique. Les tenants de l’allongement de la durée des cotisations nous expliquent, à tort, que cette mesure est inéluctable en raison de la démographie mais ils ne prennent pas en compte l’exceptionnelle vitalité de la natalité française, unique en Europe et dans le monde développé. Les tenants de l’allongement de la durée de cotisations nous assènent l’argument de l’augmentation de l’espérance de vie. Mais cet argument n’est pas nouveau car l’espérance de vie ne cesse de progresser dans nos sociétés occidentales et cette progression n’avait pas empêché pourtant que l’on établisse en 1981, lors du premier septennat de François Mitterrand, la retraite à 60 ans fondée sur 37,5 années seulement de cotisations. Ce que l’on feint de ne pas voir c’est que le nombre d’actifs restera stable entre 2010 et 2050 après avoir fortement augmenté jusqu’en 2010. Mais surtout l’on omet de dire trois choses fondamentales dans ce débat. Premièrement, que la productivité qui a déjà été multipliée par 5 entre 1960 et 2010 sera au moins encore multipliée par 2 d’ici à 2050. Deuxièmement, que selon l’INSEE 6 salariés sur 10 sont hors emploi à l’âge de la retraite, les seniors étant écartés de l’emploi en moyenne à 58,5 ans. De même il n’est pas inutile de rappeler que, toujours selon l’INSEE, prés du quart, 23%, des 15-24 ans sont à la recherche d’un emploi. Troisièmement enfin, selon le COR (Conseil d’Orientation des Retraites) le solde annuel en 2050 du déficit maximal du régime des retraites serait de 120 milliards d’euros quand dans le même temps ces trente dernières années ce sont 200 milliards, soit 10% de la richesse produite, qui ont été transférés de la rémunération du travail vers les profits et les détenteurs de capitaux.

C’est pourquoi l’acceptation ou non de l’allongement de la durée des cotisations est un révélateur de la détermination ou non de la gauche à changer dans les vingt prochaines années la donne. Soit la gauche renonce à transformer l’ordre des choses et se place dans la seule optique de « mieux » gérer un système de plus en plus rejeté par la population et alors Martine affiche_socialisme.jpg Aubry a eu raison de donner raison à François Fillon sur l’allongement de la durée des cotisations. Soit la gauche aspire à transformer l’ordre des choses et alors doit envisager la réforme des retraites en lien avec une nouvelle politique économique favorisant le plein emploi, faisant baisser le taux de chômage des jeunes et augmenter le taux d’activité des seniors et posant de manière offensive un nouveau partage des richesses en faveur du travail et non du capital. Dans ce cas la question de l’allongement de la durée des cotisations ne se posera plus dans les mêmes termes.

Faisons très attention sur cette question fondamentale pour les françaises et les français qui n’ont pas la mémoire courte. N’oublions pas combien notre acceptation du « compromis de Barcelone » avait pesé lourd dans la balance lors de l’élection présidentielle de 2002 où à peine 13% des ouvriers et un tout petit peu plus seulement des employés avaient voté pour Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle.

C’est pourquoi je recommande fortement à Martine Aubry de rectifier très rapidement le tir et de remettre en perspective la question des retraites avec la question de la bataille pour le plein emploi et pour une nouvelle répartition des richesses.

Je ne souhaite pas et ne nous souhaite pas revivre une quatrième désillusion lors de l’élection présidentielle de 2012.

Pascal Cherki


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