Quelques commentaires sur la justice et sur le futur procès Chirac (texte du 9 octobre 2010)

lundi 12 septembre 2011.
 

Il règne un drôle de climat dans la Justice française et parmi les hommes qui la font fonctionner. Logique, me direz-vous, car cette institution ne vit pas dans un monde clos, étanche aux injustices de notre temps, et à l’exacerbation de la confrontation sociale. La Justice, c’est pourtant en notre nom, « au nom du peuple français » qu’elle est rendue. Une Justice qui fait bien son travail est la condition de notre liberté. Il importe donc de s’y intéresser. D’autant qu’à l’observer, on y voit éclater certains traits caricaturaux de la période actuelle. La ridicule décision de justice, faisant de Jérome Kerviel l’unique responsable des déboires financiers de la Société Générale, et lui infligeant une amende de 4,9 milliards d’euros, en est une nouvelle expression grossière. Elle dédouane de toute responsabilité la direction de la banque. Ben voyons. Alors, parlons clair : il est absurde de reprocher à Kerviel de spéculer et jouer avec des sommes folles puisque c’était précisément le boulot pour lequel il était payé. Difficile de reprocher à un spéculateur d’avoir fait de la spéculation ! L’argent qu’il « jouait » n’avait pas pour objectif de venir remplir ses poches, mais bien celle de la banque et de ses actionnaires, qui pendant des années semblaient très satisfait de ses « prouesses ». Les mêmes folies qui ont fait perdre à la Société Générale près de 5 milliards, lui avaient permis auparavant d’accumuler des sommes folles. Accabler Kerviel, en lui infligeant trois ans de prison ferme et en lui demandant de rembourser l’équivalent de 177 536 années de son salaire, est une décision d’(in)justice. Mais, actuellement, il est sans doute plus facile d’écraser un lampiste (qui certes avait « pété les plombs ») que de condamner l’ensemble d’un système.

Me Jean Veil, l’avocat de la Société générale, s’est lui, vivement félicité de cette décision qui, selon lui « confirme ce que la Société Générale a toujours dit à ses actionnaires »... Il est dans son rôle. Cela n’étonnera personne. Mais, il confirme par cette déclaration qu ela Justice a donné raison aux actionnaires. J’en profite pour faire le lien avec une autre affaire. Me Veil, grand avocat renommé, est aussi le défenseur, avec Me Georges Kiejman, de M. Jacques Chirac, dans l’affaire dite « des emplois fictifs de la Ville de Paris ».

Ah, « l’affaire Chirac » ! Permettez moi d’en dire encore un mot. Elle m’a beaucoup occupée ces derniers jours. Les lecteurs de ce blog connaissent les raisons de mon opposition au Protocole d’accord entre la Ville, l’UMP et Jacques Chirac, adopté au dernier Conseil de Paris. Au passage, je précise que je maintiens qu’il pouvait exister une réparation financière de la part de l’UMP et M. Chirac, sans que cela entraîne que la Ville ne soit plus partie civile. Après mon intervention, le Maire de Paris a répondu à une journaliste de l’AFP qu’il jugeait ma proposition « bizarre ». Ah bon ? « Bizarre, bizarre, vous avez dit bizarre… ? ». ...

Je vais donc exprimer les choses plus simplement, la Ville pouvait accepter les dédommagements financiers de l’UMP sans rédiger un Protocole d’accord, et donc sans qu’elle ne soit plus partie civile. Cela impliquait que la Ville exprime dès le départ que la réparation financière ne suffisait pas dans ce dossier, et qu’elle considérait qu’il y avait aussi un préjudice moral à réparer... ".

Qui peut croire que quelque chose de positif pourra émerger de cette confusion ? Pas moi.

Depuis ce vote du Conseil de Paris, qui date d’à peine dix jours, deux choses sont venues renforcer notre crainte de voir le procès de M. Chirac transformé en une formalité peu digne de la gravité des faits jugés.

D’abord, le deuxième procès (lié à la même affaire) concernant M. Chirac et qui devait être jugé à Nanterre, a « fusionné » avec celui de Paris pour être jugé en même temps. Pourquoi pas, me direz-vous. Sauf que, le fait que « l’Affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris » ne soit jugé que lors d’un seul procès permet que, si d’aventure M. Chirac était condamné en une peine avec sursis, il ne courrait pas le risque en étant condamné à l’occasion d’un second procès de subir cette fois ci, une peine ferme.

Ensuite, le 4 octobre, le Procureur de Nanterre, M. Philippe Courroye, a annoncé, qu’il demandait la relaxe de M. Chirac. En effet, il "considère qu’il n’existait pas un système connu de M. Chirac destiné à financer de façon occulte le RPR". "Après avoir examiné les sept emplois pour lesquels M. Chirac a été mis en examen pour prise illégale d’intérêt [en décembre 2009], le parquet constate qu’il n’y a pas d’éléments suffisants pour remettre en cause la bonne foi de M. Chirac". On s’étonnera de lire ici l’utilisation des termes « bonne foi » dans une telle affaire. Plutôt que de juger la matérialité des faits, le Procureur glose sur la « bonne foi », notion par définition difficilement quantifiable. Cette demande de Philippe Courroye fait suite à celle du Procureur de Paris, M. Jean-Claude Marin, qui dès cet été avait déjà indiqué qu’il demanderait la relaxe.

Comme la justice est douce et attentionnée quand elle le veut.

En réalité, si le mot « acharnement » peut être utilisé dans cette affaire, c’est bien plutôt dans la volonté de certains de tout faire pour que M. Chirac soit le moins possible indisposé lors du procès qui aura lieu en mars 2011. Il faut leur reconnaître une certaine efficacité. Il n’y a plus de partie civile (puisque la Ville de Paris s’est désormais retirée), et les Procureurs de Paris, et désormais de Nanterre, demandent la relaxe. Je doute fort que les contribuables qui veulent se porter partie civile, le syndicat parisien SUPAP-FSU et la courageuse association Anticor qui veulent faire de même, soient entendu. Tout repose désormais sur le seul juge… dont évidemment personne ne doute qu’il sera très courageux et très déterminé pour, tout seul face à sa hiérarchie, affronter un ancien Président de la République.

Là, j’enttends une voix m’interpeller : « Mais, de quoi vous mêlez-vous ? Vous n’êtes pas juge ? Vous ne connaissez pas le dossier. Restez à votre place. ». Certes, je ne suis pas juge. Mais, je sais lire et j’ai un peu de mémoire (grâce à internet notamment) et je voudrais rappeler, dans la même affaire, il y a quelques années, les conclusions de la justice, concernant M. Alain Juppé.

Rappel des faits. Le 30 janvier 2004, M. Juppé est condamné par le tribunal correctionnel de Nanterre à dix-huit mois de prison avec sursis dans « l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris » et à une peine de dix ans d’inéligibilité. Ce premier jugement déclare : « Alain Juppé dans la quête de moyens humains lui apparaissant nécessaires pour l’action du RPR a délibérément fait le choix d’une certaine efficacité en recourant à des arrangements illégaux […] Que la nature des faits commis est insupportable au corps social comme contraire à la volonté générale exprimée par la loi ; qu’agissant ainsi, Alain Juppé a, alors qu’il était investi d’un mandat électif public, trompé la confiance du peuple souverain. […] »

L’appel interjeté par Alain Juppé, immédiatement après, a pour effet de suspendre l’application de cette décision jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel. Le 1er décembre 2004, celle-ci réduit la condamnation à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité. Mais, il est intéressant de relire les commentaires de la cour : « Il est regrettable qu’au moment où le législateur prenait conscience de la nécessité de mettre fin à des pratiques délictueuses qui existaient à l’occasion du financement des partis politiques, M. Juppé n’ait pas appliqué à son propre parti les règles qu’il avait votées au parlement.

Il est également regrettable que M. Juppé, dont les qualités intellectuelles sont unanimement reconnues, n’ait pas cru devoir assumer devant la justice l’ensemble de ses responsabilités pénales et ait maintenu la négation de faits avérés.

Toutefois, M. Juppé s’est consacré pendant de nombreuses années au service de l’État, n’a tiré aucun enrichissement personnel de ces infractions commises au bénéfice de l’ensemble des membres de son parti, dont il ne doit pas être le bouc émissaire. »

Cela, c’était en 2004. Alain Juppé était un rival potentiel à droite de Nicolas Sarkozy. Aucun Procureur, après examen du dossier, n’avait jugé pertinent de demander la relaxe. La justice a su l’éliminer de la course présidentielle. Il ne l’avait pas volé, je ne le plains pas. Mais, en appel la cour avait tout de même rappeler qu’il ne devait pas être le « bouc émissaire » d’un autre. On ne pouvait être plus clair.

En 2010, six ans plus tard, la situation a évolué. La droite est divisée. Elle est confrontée à un puissant mouvement social qui progresse. Elle craint la défaite. Certains travaillent à la rassembler. Eviter une sanction pénale à Chirac est la condition de son soutien pour la présidentielle de 2012. Tout cela a un tarif. Il s’affiche actuellement sous nos yeux. C’est la crédibilité de la Justice qui risque d’en payer le prix fort.

Contre le protocole d’accord sur les emplois fictifs UMP Chirac ville de Paris (intervention au nom du PG en Conseil de Paris)

Emplois fictifs : la ville de Paris doit rester partie civile (article national du PG)


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