Entretien avec Jean-Luc Mélenchon : Retraites, PS, présidentielles...

jeudi 14 octobre 2010.
 

Comment expliquez-vous l’acharnement du pouvoir à vouloir faire passer coûte que coûte sa réforme des retraites  ?

Jean-Luc Mélenchon. Le programme de Sarkozy était de faire Mai 68 à l’envers. On a cru que c’était une affaire de mœurs. Non, c’est le renversement du rapport de forces créé par la deuxième grande vague de conquêtes ouvrières et sociales, qui va de 1968 à 1983. C’est la rupture avec la clé de répartition des richesses. L’enjeu des retraites, venant après le démantèlement de la santé, de l’éducation, des services publics, est de savoir qui va avoir la mainmise sur cette énorme masse d’argent que représentent les cotisations de chaque travailleur. Le but avéré est de ruiner le système actuel des retraites pour contraindre les salariés à la capitalisation. La bataille des retraites est donc centrale pour Sarkozy. Et tout autant pour le salariat.

Que faire pour contraindre 
le gouvernement à renoncer 
à son projet de réforme ?

Jean-Luc Mélenchon. Les partis doivent être à la fois sur le front social avec les syndicats et avoir une action politique spécifique. Pour que la dignité de notre démocratie soit respectée, j’ai proposé, avec d’autres, l’organisation d’un référendum. Je m’aperçois que cette idée fait du chemin. C’est d’autant plus légitime que le président de la République lui-même avait dit qu’il n’avait pas mandat pour toucher à la retraite à 60 ans, puisqu’il n’en avait pas parlé quand il était candidat à la présidentielle en 2007.

La gauche, unie dans les luttes, peut-elle être crédible sur cette question sans un projet alternatif commun ?

Jean-Luc Mélenchon. La gauche n’est pas unie : elle est rassemblée derrière les syndicats qui, eux, sont unis sur des consignes communes. Il ne faut pas se bercer d’illusions ni endormir les consciences : on a besoin, au contraire, qu’elles soient en éveil. Les différences entre les partis de gauche ne sont pas anecdotiques. Depuis le début, Martine Aubry affirme qu’elle est à la fois pour la retraite à 60 ans et pour l’allongement de la durée de cotisation. Or, en allongeant cette durée, on ne peut plus parler de retraite à 60 ans pour la plupart des cotisants, qui n’ont pas le nombre d’annuités suffisant pour prétendre partir à taux plein à 60 ans. Quand les Français voteront en 2012, ils devront aussi nous départager sur les durées de cotisations pour l’avenir.

Mais, avant 2012, ne peut-on infléchir la politique du PS ?

Jean-Luc Mélenchon. Nous devons, nous le Front de gauche, tenir les deux bouts de la chaîne  : la particularité de notre point de vue politique d’une part, de notre radicalité concrète et, de l’autre côté, le devoir d’unité. Mais rien ne doit se faire au prix de passer sous les fourches caudines du PS et d’Europe Écologie. Oui, la tâche est difficile. Mais nous devons résoudre cette difficulté, et non la contourner. L’unité derrière les syndicats ne doit pas être le cache-misère des turpitudes de la gauche. Nous devons être capables de marier très étroitement le moment politique, le moment social et la vision à long terme. Une stratégie de conquête du pouvoir pour appliquer un programme de radicalité concrète se prépare de longue main. C’est la méthode de la révolution citoyenne que le PG propose. Il faut sans cesse lier tous les aspects de la lutte dans la rue et dans les urnes.

Comment comptez-vous faire vivre 
le « programme partagé » du Front 
de gauche ?

Jean-Luc Mélenchon. Les composantes du Front de gauche vont recenser leurs propositions et celles que le mouvement social met sur la table, avant de les mettre en débat. Il faudra trouver un point d’équilibre qui permette, par grands thèmes, d’avoir cinq, six ou sept propositions essentielles qui dessineront le programme. Mais ce qui est au moins aussi important, c’est la capacité de mobilisation des secteurs populaires concernés. Il faut donc être synthétique et précis dans les propositions et, par-dessus tout, être dans l’implication populaire avant pendant et après le programme.

S’il s’agit d’un programme 
de gouvernement, il devrait donc 
être discuté avec le PS ?

Jean-Luc Mélenchon. Rien n’y oblige. Il n’y aura pas de candidat commun avec lui à l’élection présidentielle de 2012. L’essentiel de notre travail doit consister à rassembler le plus de forces possible sur la ligne de la radicalité concrète que nous proposons pour tirer les Français de l’impasse où la politique de la droite les enfonce. Le Front de gauche doit d’abord avoir une ébauche bien avancée de son programme. Il le mettra en débat partout. Sur cette base, nous pouvons constituer des fronts de gauche dans tous les grands domaines impliqués par nos propositions. Par exemple l’éducation, les droits des femmes, la santé. C’est la condition pour ramener au vote des millions de citoyens qui ne se reconnaissent pas dans la tambouille de la gauche hésitante. Il faut donner son temps à cette implantation et assumer tranquillement la compétition avec le PS et Europe Écologie. Nous la mènerons de façon responsable. La victoire de la gauche est à ce prix.

Êtes-vous candidat pour porter 
les couleurs du Front de gauche ?

Jean-Luc Mélenchon. Une candidature au titre du Front de gauche n’est pas une aventure individuelle. J’ai dit que je m’en sentais capable. Mais je ne m’autoproclame pas.

Que pensez-vous de l’éventuelle candidature d’André Chassaigne, 
le député communiste ?

Jean-Luc Mélenchon. Il se sent capable comme moi d’assumer ce rude travail. À mes yeux, il en est digne. À nous de savoir maîtriser le processus, trouver un point d’atterrissage, une méthode pour conclure qui doit aussi être respectueuse de la dignité des personnes, que ce soit pour moi comme pour André.

Êtes-vous déterminé à ce que qu’il 
n’y ait qu’un seul candidat pour 
le Front de gauche ?

Jean-Luc Mélenchon. Ma proposition est parfaitement claire et André Chassaigne a fait la même : nous pensons que les composantes du Front de gauche doivent s’accorder pour proposer une candidature commune. Les directions doivent assumer leurs responsabilités ! On ne s’en remet pas à je ne sais quelle démocratie directe ou à une assemblée générale des comités. La candidature doit ensuite être soumise au vote des adhérents de chaque composante de l’alliance. André et moi ne voulons pas faire durer une espèce d’ambiance type primaires entre nous. Cela peut finir par cristalliser. Nous n’avons rien à y gagner.


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