Le capitalisme contre la planète (débat Chassaigne, Jadot, Lepage, D Mitterrand, E Peredo)

lundi 29 novembre 2010.
 

La Bolivie défend l’idée 
de la création d’un tribunal 
international de justice climatique. Qu’entendez-vous par là  ?

Elizabeth Peredo. La crise que nous traversons actuellement n’est pas qu’une crise environnementale, c’est une crise de civilisation provoquée par le capitalisme. Le capitalisme porte en lui la destruction. Le capitalisme est fondé sur l’idée d’une croissance infinie et sur celle que les ressources de la planète seraient aussi infinies. Le capitalisme a tout marchandisé, de la force de travail à la planète. Le réchauffement climatique est l’un des symptômes les plus évidents de ce processus. Le réchauffement est perceptible partout. Mais les pays du Sud en souffrent particulièrement. 80 % des habitants les plus pauvres de la planète sont concernés alors qu’ils n’y ont contribué que très marginalement. La Bolivie n’est responsable que de 0, 03 % des émissions, alors que les États-Unis le sont à 25 %. À cette inégalité s’ajoute celle entre États riches et pauvres, et qui concerne les moyens économiques et technologiques de faire face au réchauffement. Les pays du Sud sont très vulnérables.

Nous défendons l’idée d’une justice climatique car tout ce qui s’est passé cet été au Pakistan ou en Russie est un crime. Les coupables sont la centaine de multinationales et leur boulimie de profits qui changent le climat. C’est la Banque mondiale et ses politiques libérales. Cette proposition de créer un tribunal international de justice climatique a vu le jour lors de la conférence de Cochabamba, en avril dernier. Nous voulons y traduire les responsables du système car ils continuent d’agir en criminels, alors que les connaissances scientifiques démontrent que si leurs agissements se poursuivent, le système écologique sera détruit. Édifier un tribunal de justice climatique, ce n’est pas seulement condamner symboliquement les criminels, c’est aussi créer un outil à la disposition des peuples pour instaurer la justice climatique. Cochabamba symbolise notre volonté de sauver le monde et de le sauver du capitalisme.

Dans Pour une terre commune, 
André Chassaigne, vous plaidez 
pour une remise en question 
du productivisme. Pourquoi  ?

André Chassaigne. Ce livre est un cheminement vers une prise de conscience. Comme beaucoup de communistes, j’ai longtemps sous-estimé cette question. Notre réflexion sur le mode de développement doit intégrer la question de l’avenir de la planète. Certains mots comme « productivisme » ne doivent plus être tabous pour nous. Le productivisme fait partie de notre héritage. Notre culture et notre pensée ont été influencées par l’idée que le progrès scientifique et technique engendre mécaniquement le progrès humain. Nous avons raison de dénoncer et de vouloir dépasser le capitalisme. Mais il faut aussi s’interroger sans a priori sur la nature du mode de production que nous voulons construire. On peut être communiste et antiproductiviste. On peut être communiste et se poser la question de la décroissance. Je pense que certaines productions doivent décroître et d’autres, au contraire, augmenter. Le développement économique est nécessaire mais il ne peut plus se poursuivre sans évaluation de son impact et surtout sans que soit vérifié l’intérêt du maintien de telle activité. La caractéristique du capitalisme, c’est l’addiction au profit. Celle-ci génère des conséquences terribles pour les hommes, les territoires et la planète. Les questions de la biodiversité ou de la gestion des ressources naturelles sont à reconsidérer sur la base des cycles longs du renouvellement de la nature. Le capitalisme fonctionne en cycles courts. Ceux de la rentabilité. Mais ce constat ne nous exonère pas de sérieuses remises en question. Est-il nécessaire de le rappeler  ? Mais de graves atteintes ont été portées à l’environnement dans les ex-pays socialistes.

Dans mon livre, je m’attelle à déconstruire le capitalisme vert. Il faut démystifier ce discours moral sur la responsabilité individuelle vis-à-vis de l’environnement. Il ne s’agit pas de dire que chacun peut continuer à faire n’importe quoi. Il s’agit juste de constater que la responsabilité des atteintes à la planète n’incombe pas à tous. Le discours sur la responsabilité individuelle vise surtout à camoufler la responsabilité du système.

Danielle Mitterrand, en quoi 
la reconnaissance d’un droit universel à l’eau renvoie-t-elle 
à un dépassement du système  ?

Danielle Mitterrand. La question de l’accès à l’eau est évidemment une question qui, pour être résolue, nécessite du changement. Il faut penser la politique autrement. La Fondation France libertés a pour vocation de défendre les droits de l’homme et ceux des peuples. Or, sans eau, il n’y a pas de vie et, sans vie, il ne peut y avoir ni droits de l’homme ni droits des peuples. Le statut de l’eau est à l’évidence un problème mondial. Nous sommes dominés et dirigés par une pensée unique mondiale qui constitue une véritable dictature économique. Cette pensée a fait de l’eau, ce bien essentiel à la vie, une marchandise. L’eau doit être reconnue comme un bien commun du vivant. Reconnaître cela, c’est faire de la vie et du respect de la vie les bases de la politique alors qu’aujourd’hui, seule la richesse monétaire compte.

L’ONU vient de reconnaître, sur proposition de la Bolivie, que l’accès à l’eau est un droit. Cela va-t-il contribuer à ce que cette ressource soit mieux partagée  ?

Danielle Mitterrand. La décision de l’ONU nous réjouit. Nous plaidions pour cela depuis des années. Notre objectif est maintenant de faire appliquer ce droit. Il y a beaucoup de chemin à parcourir pour y parvenir. Nous proposons la création d’une haute autorité qui ait une vision mondiale de l’eau. Je commence souvent mes discours en disant que l’eau est universellement libre. L’eau est un problème que chacun aborde localement. Mais chacun doit bien mesurer qu’il s’agit d’un problème universel.

Vous insistez beaucoup 
sur la nécessité d’une gestion démocratique de l’eau…

Danielle Mitterrand. La responsabilité citoyenne doit inspirer et conduire nos dirigeants. L’eau relève de la responsabilité de chacun. Mais pour agir, il faut être informé. Tout notre travail vise à informer les citoyens pour qu’ils fassent pression sur leurs dirigeants pour qu’ils mettent en œuvre une autre politique afin qu’on ne puisse plus dire que des êtres humains meurent faute d’accès à l’eau potable. 34 000 personnes en meurent chaque jour, dont 5 000 enfants.

Yannick Jadot, que pense Europe Écologie de cette question 
du dépassement du capitalisme  ?

Yannick Jadot. Le capitalisme abîme la nature, les femmes et les hommes. Ce diagnostic posé, il faut maintenant définir ce que serait une économie durable. Pour Europe Écologie, construire une économie durable doit conduire à la remise en question du consumérisme et du productivisme. Il faut sortir de cette société où, pour exister, il faut consommer plus. Il faut « plus de liens, moins de biens » car plus de consommation, c’est plus de production, donc plus de profits. L’économie doit se placer sous le primat de la société. Son unique but doit être de satisfaire les besoins de l’individu, où qu’il vive. Il faut donc créer une économie sobre. Enfin, il faut poser la question de la propriété du capital. Aujourd’hui, nous sommes dans un système qui pilote l’économie mondiale pour atteindre un rendement de 10 à 15% du capital. Ce système est aberrant. Ni les hommes ni la nature ne peuvent l’assumer. Il nous faut donc créer une économie sobre en ressources, qui replace l’individu au cœur de l’appareil productif et qui repose la question de la propriété du capital afin que les salariés se réapproprient la finalité de leur travail. Que la gauche y parvienne n’est pas évident. La gauche plurielle fonctionnait en partenariats de niches. Sous la houlette du Parti socialiste, les communistes géraient les transports et les écolos géraient la biodiversité et l’aménagement du territoire. Ce partenariat de niches n’a pas fonctionné. Pour battre Nicolas Sarkozy en 2012, il nous faut redonner au citoyen l’envie de politique. Cela sous-entend que chaque composante de la gauche ait un vrai programme et s’adresse au citoyen et à l’électeur en lui démontrant qu’ensemble, écologistes, socialistes et communistes, malgré leurs différences, sont capables de construire des compromis positifs.

Corinne Lepage, n’est-il pas contradictoire de vouloir rassembler les écologistes de droite et de gauche comme vous le proposez  ?

Corinne Lepage. Le modèle de développement actuel est profondément mortifère. Nous sommes individuellement et collectivement confrontés à des contradictions que nous ne parvenons pas à surmonter. Si l’on considère que c’est le capitalisme nous a amenés « au court-termisme » et à la dilapidation de biens qui ne sont pas reconnus, aujourd’hui, comme des biens publics, alors l’environnement n’est pas soluble dans le capitalisme. Mais les atteintes à l’environnement ne sont pas uniquement dues au capitalisme. L’échec de Copenhague lui-même n’est pas le fait unique du lobbying des multinationales. Il est également dû à des stratégies d’États, notamment de ceux dont l’économie est fondée sur le pétrole et qui ne veulent pas que cela change. Si le capitalisme est la marchandisation de tout, alors effectivement, il n’est pas défendable. Mais si le capitalisme financier n’est pas l’avenir, nous avons besoin, en revanche, du capitalisme entrepreneurial. Je crois à la liberté d’entreprendre, qu’elle prenne la forme d’une économie sociale et coopérative ou celle d’un capitalisme entrepreneurial, porté par les petites et moyennes entreprises. Le défi auquel nous devons répondre est de faire appel à leurs énergies, à leur intelligence créatrice. Il nous faut sortir des cases dans lesquelles nous nous sommes mutuellement enfermés. Nous n’y parviendrons pas avec les grands mots en « isme » hérités du siècle passé. C’est un nouveau modèle de développement avec ces nouveaux modes de production et de consommation qu’il nous faut inventer.

Quels sont les points essentiels 
nés du sommet des peuples 
de Cochabamba  ?

Elizabeth Peredo. Nous avons convoqué ce sommet parce que les conclusions de la conférence de Copenhague n’étaient pas seulement négatives, elles étaient dangereuses. Contraire au processus multilatéral de l’ONU, son processus s’est avéré profondément antidémocratique. Les pseudo-engagements en termes de réduction de gaz à effet de serre pouvaient, en vérité, conduire à une élévation des températures équivalente à 4 °C dans certaines régions du monde. Quant aux financements, la somme avancée était dérisoire et sans comparaison avec tout ce qu’a gaspillé le capitalisme. La Bolivie a donc convoqué une conférence des peuples en avril dernier, afin de répondre de façon démocratique aux enjeux. Cent quarante-deux pays y ont participé, soit plus de 35 000 personnes. En sont sorties plusieurs propositions telles que la création d’un tribunal de justice climatique ou la reconnaissance des droits de la Pachamama, la Terre mère. Cette dernière est l’une des plus essentielles. Car la seule façon de faire barrage au système actuel est de produire une nouvelle génération de droits afin de restaurer l’harmonie avec cette nature. L’être humain n’est pas le centre de tout. Il fait partie d’un système à respecter. Nous sommes arrivés à cette conclusion que la planète et la nature ne sont pas des ressources. Elles sont notre foyer. Nous avons donc établi une liste des droits de la Terre mère. Celui de poursuivre ses cycles vitaux, entre autres, ou le droit à l’eau comme source de vie. Cela s’accompagne d’un autre concept important  : celui du vivre bien. Nous ne devons pas chercher le développement infini. Mais le bien-vivre, qui implique l’équité entre les habitants de la planète.

Corinne Lepage. Pour ma part, je milite pour la création d’un tribunal pénal de l’environnement, comme il en existe un pour les crimes contre l’humanité. Car il existe, dans le domaine environnemental, des actes criminels comme les drames de Bhopal ou encore d’Abidjan.

Quid de notre pouvoir 
et de notre capacité d’action  ?

Yannick Jadot. Au cours des deux ans qui ont précédé Copenhague, une forme d’unanimisme et d’écolo-mégalomanie s’est développée autour de la question climatique. Tout le monde a prétendu pouvoir sauver la planète. C’était trop. Ce qu’a révélé Copenhague, c’est, à l’inverse, que beaucoup de chefs d’État ne croient pas que l’on puisse lutter contre les changements climatiques, ni à ce que cela implique en matière de transition énergétique, agricole ou industrielle. Pourtant, des pays comme la Bolivie ou le Costa Rica initient des politiques visant à répondre au défi climatique et à celui de l’accès aux biens communs. C’est cela que nous devons porter dans nos batailles.

Les PME sont souvent des collecteurs de profits pour les grandes sociétés. En quoi un capitalisme entrepreneurial est-il une solution  ?

Corinne Lepage. Je crois que les PME sont plus généralement victimes des pressions qui s’exercent sur elles. Le pouvoir dont nous disposons est précisément celui d’aider une forme d’économie plutôt qu’une autre. Dans le cas présent, les petites et moyennes entreprises plutôt que les grosses, qui sont outrageusement favorisées par les politiques fiscales, de recherche et développement ou d’octroi de crédits.

Les formules incitatives 
ou pénalisantes, fondées 
sur le principe du « signal prix », 
se révèlent des échecs cuisants…

André Chassaigne. Cette politique des prix révèle une volonté de déplacer la responsabilité des États et des industriels vers la responsabilité individuelle de tout un chacun. La taxe carbone ou les bonus-malus consistent à dire que ce serait au consommateur de payer les dégâts. C’est cette même logique qui prévaut à la question des charges sur le traitement des déchets ménagers ou de l’eau. En disant que c’est « ce salaud de pauvre » le coupable, on épargne ceux qui sont fondamentalement responsables du problème. On élude le fait que des États, des grands groupes financiers et industriels mettent tout en œuvre pour favoriser quelques privilégiés au détriment du plus grand nombre.

Alors, comment agir  ? D’abord, en redonnant le pouvoir à ceux qui doivent l’avoir, c’est-à-dire aux citoyens. Et en construisant une réponse mondiale, car c’est là l’unique voie pour résoudre les problèmes du partage de l’eau, de l’air et de l’énergie.

Propos recueillis par 
Marie-Noëlle Bertrand 
et Pierre-Henri Lab, L’Humanité


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