"Récupérer en une législature 10 points de richesses que le Capital a pris au Travail ces dernières années" (interview de JL Mélenchon dans Mediapart)

dimanche 26 septembre 2010.
 

Le site Médiapart m’a fait l’honneur d’un entretien la semaine passée, paru juste avant la Fête de L’Humanité. Je pense que le délai d’exclusivité est clos après une semaine, non ? Car le site et c’est bien normal est payant (zut, je ne me suis toujours pas abonné !). Le travail de Stéphane Alliès, le journaliste qui m’a interrogé est assez vaste pour mériter une deuxième vie, certes plus modeste, sur ce blog. Je publie donc le texte de notre échange.

Stéphane Alliès, Médiapart. « Après les manifestations du 7 septembre, on a le sentiment diffus que malgré une énorme mobilisation populaire, les lendemains sont ambigus. Les syndicats restent prudents et tous les partis de gauche se plient à leur agenda, quitte à freiner l’enthousiasme de la rue ? »

D’abord, il faut se tenir à distance des « bêtes à chagrin ». On doit déjà se féliciter d’avoir réussi notre coup le 7 septembre. On a fait avancer la conscientisation du peuple français, pas seulement sociale, mais aussi politique ! Il est vrai qu’on a été incroyablement servis dans nos démonstrations par le feuilleton Woerth-Bettencourt, qui a duré tout l’été. Il y a quelque chose qui a cristallisé dans les esprits. Prenons déjà ça ! Imaginez si on avait subi une défaite dans la rue, on ne serait même pas en train de se demander s’il faudrait en faire davantage. Ensuite, sur le front que nous occupons, tout le monde n’est pas au même niveau d’évaluation du rapport de force. Les syndicats sont dos au mur, ils ne peuvent pas se tromper. S’ils se trompent de date ou sur la capacité à mobiliser, le gouvernement prendra immédiatement l’avantage. Rappelez-vous la manifestation succédant aux européennes en juin 2008… Quand vous vous trompez sur ce front, vous le payez cher. Là, l’intersyndicale a jugé nécessaire de prendre deux semaines pour réussir le coup suivant. Moi, je ne sais pas sur quelles bases elle travaille, mais je pense que ce n’est pas raisonnable pour un parti politique de vouloir se substituer aux syndicats pour faire le cahier des revendications et dire les moyens à mettre en œuvre. C’est aux syndiqués, dans leur syndicat et leurs entreprises de dire ce qui est le mieux. Il y a dans l’air l’idée de grèves reconductibles, soit. Mais on n’a jamais vu dans ce pays de tels mouvements se déclencher autrement que depuis la base. Donc nous verrons.

« Quant aux partis, quels qu’ils soient à gauche, on a presque le sentiment qu’ils sont davantage tournés vers 2012 que vers une réelle démarche unitaire… »

Quelle est notre conception aujourd’hui de notre participation à ce front social ? On appelle tous à participer aux manifs, mais ce sont les syndicats qui sont aux premières lignes. Nos représentants mènent la bataille à l’Assemblée. Bon, c’est un front à tenir. Mais il y a une carence. Les partis de gauche ne font aucune proposition commune. Ni sur le fond du dossier, ni sur l’action à mener. De notre côté on a décidé de faire semblant d’être d’accord avec tout le monde. Ce n’est pas le cas avec le PS. En réalité, les durées de cotisations sont aussi importantes que celles de l’âge légal de départ à la retraite, puisqu’elles déterminent l’âge nécessaire pour partir à la retraite avec des pensions à taux plein. Or, l’inflexion du PS sème le doute, puisqu’il préconise un allongement de ces durées de cotisations. Déjà que Fillon se fait un malin plaisir de gifler l’opposition parlementaire et Jean-Marc Ayrault en rappelant que le PS n’a jamais abrogé les réformes précédentes…

Ce jeudi après-midi, le Nouveau Centre a soumis un amendement proposant un système de retraite par point, que les Verts ont voté et sur lequel les socialistes se sont abstenus, tout en l’approuvant. Donc il faut admettre que les syndicats n’ont pas la partie facile, car on ne peut pas vraiment dire qu’ils bénéficient d’un soutien sans faille de la gauche politique. De mon côté, je suis étonnée que personne n’ai retenu mon idée…

« En effet, alors que vous avez proposé dès mai dernier une mobilisation unitaire pour réclamer un référendum, personne ne vous a suivi (à part Ségolène Royal) ? »

Cela permettait de laisser ouvert la forme de l’action politique. Soit on refaisait un référendum citoyen sur le modèle de celui organisé contre la privation de la Poste. Soit on, exigeait un référendum en bonne et due forme. La constitution le permet, mais le décret d’application du référendum d’initiative populaire n’a toujours pas été publié. Cela permettait en outre de renvoyer Sarkozy à l’absence de légitimité démocratique de cette réforme. Il l’a reconnu lui-même en 2008 pour ne pas la faire, puisqu’elle n’était pas inscrite à son programme présidentiel. Contrairement à l’abaissement de la retraite de 65 à 60 ans en 1981, qui était une proposition phare du programme commun de Mitterrand. A mon sens, les partis politiques doivent proposer des débouchés civiques aux situations de crise. Je suis très déçu d’être resté seul sur cette idée, et je ne comprends pas pourquoi. Que les syndicats ne l’évoque pas, c’est normal, ce n’est pas dans la culture de la démocratie sociale française. Mais les partis ?! Que proposent-ils alors, comme débouché unitaire ? D’attendre 2012 ?

« N’est-ce pas le cas ? A la réunion unitaire de Montreuil, mercredi soir, le président d’Attac vous a tous interpellé, en estimant que « 2012 se gagnait maintenant »… »

Je suis d’accord avec lui. Si nous subissons un revers, il va y avoir beaucoup de démoralisation, de démotivation. Et je trouve que les socialistes jouent la déprime. Ils sont dans une logique où ils interprètent les bons résultats de Dominique Strauss-Kahn dans les sondages comme une demande politique de centre droit. Alors qu’on nous avait annoncé que le PS tournait à gauche, et que certains reprochaient même à Martine Aubry de se « mélenchoniser », on est en train de les voir tout d’un coup tourner. Et prendre le cours exactement inverse. L’interview de Fabius dans Le Monde juste avant La Rochelle, avec ses « longs efforts financiers » nécessaires. François Hollande est de plus en plus dur dans la modération, si j’ose dire. Et tout le monde a remarqué que malgré l’attente maximale autour du discours d’Aubry à La Rochelle, elle a été assez évanescente sur les thèmes sociaux. Par contre elle a salué l’action du premier ministre grec, qui est le zélé metteur en œuvre des mesures d’austérité imposé par le président du FMI, lui aussi socialiste.

En réalité, les socialistes pensent qu’on ne peut pas affronter le pouvoir de la finance. Ce n’est en fait que la continuité des sornettes sur la « mondialisation heureuse » et « l’Europe qui nous protège ». Au final, c’est l’idée que le temps des solidarités sociales est fini. Nous serions dans celui des « responsabilités individuelles » matinées de compassion pour autrui. C’est le « care » de Martine Aubry. Je crois que c’est ça que le PS a dans la tête.

« Cela ouvre-t-il un espace pour « l’autre gauche » ? »

La droitisation du PS n’est jamais une bonne chose. Nous, on reste dans une posture difficile, tant que nous ne parviendrons pas à être crédibles aux yeux de la majorité des travailleurs. Mais ce sont les événements qui commandent, et il faut pouvoir apporter à des citoyens en quête de sens l’image de gens qui savons où nous allons, tout en apportant aussi quelque chose de ferme à laquelle les électeurs de gauche peuvent s’accrocher. C’est aussi pour cela que j’assume volonté une fonction tribunicienne, qui a parfois aussi des inconvénients.

Il y a un risque dans la situation actuelle, c’est que le front social et syndical soit miné de l’intérieur par une coupure entre une aile qui se radicaliserait, excédée par ce qu’elle juge être des atermoiements, et une autre aile qui dirait « Attention, il ne faut pas aller trop vite, car c’est trop dangereux, on n’a pas les moyens ». Je trouve que la position de Bernard Thibault colle bien au besoin du moment, puisqu’il garde le souci de faire en sorte que tout le monde reste groupé, en tenant compte de la difficulté du syndicalisme de terrain dans les entreprises françaises.

« Mais cela ouvre-t-il un espace politique, pour « l’autre gauche » ? »

Sur le plan politique, c’est l’inverse du front social qui doit se produire. Surtout pas de confusion ! Si on n’est pas clair, alors là on dégoûte tout le monde ! Ce n’est pas pour rien que je prends le risque de relever le double jeu des socialistes. Je veux que ceux qui m’écoutent sachent que j’ai vu. Je ne me fais pas duper, mais je choisis l’unité pour ne pas leur donner les moyens d’aller au bout de leur logique. Sinon ils pourraient croire que je suis complice, mais ce n’est certainement pas le cas.

« A la Fête de l’Humanité, le Parti de gauche a organisé un débat de trois heures sur le « modèle limousin », où PCF, PG et NPA s’étaient alliés aux régionales, obtenant 20% des voix au second tour). Vous êtes au courant que le PCF et le NPA vous ont adressé une fin de non-recevoir. Vous vous rêviez trait d’union de l’autre gauche, mais vous ramez dans le désert… »

Pour moi, il n’y a rien d’autre à faire. J’essaie de tenir un cap, qui n’est pas évident, je le reconnais. Après chaque élection, je pense qu’on a fait la démonstration que l’unité permettait de progresser. Mais on recommence à zéro à chaque fois. Mais personne n’est capable de me montrer qu’une autre stratégie fonctionne mieux que celle-là. Dans le Limousin, il n’y a pas seulement les 20% aux régionales, on est aussi passé devant le PS dans deux cantonales, dont une gagnée à la droite.

« Le contexte géographique est tout de même particulier dans cette région, une terre éminemment de gauche, imperdable à droite, ce qui diminue l’effet de vote utile… »

Des endroits où l’on ne peut pas perdre dans tous les cas, on en a connu d’autres, qui sont finalement tombés à droite… Mais oui, c’est compliqué, ça peut prendre du temps pour que ça prenne ailleurs. Et il faut bien commencer quelque part ! Pour le reste, on ne peut pas dire que l’autre gauche est sans cesse divisée ! Ce n’est pas vrai : il existe le Front de gauche ! C’est un acquis formidable.

« La Fête de l’Huma doit être l’occasion de lancer le « programme partagé » du Front de gauche. Cela signifierait-il qu’il ne serait plus seulement un cartel électoral ? »

Je l’espère. A tous ceux qui nous reprochent de n’être qu’un cartel, je leur dit « venez, et faites en sorte que ce ne soit plus seulement que cela ! » Prenons l’exemple des dernières régionales, où d’autres mouvements nous ont rejoint. Première exigence : changez de nom. Ça a été un bordel pas possible, et finalement l’appellation « Front de gauche » est restée, parce que sinon c’était inaudible… En même temps, on ne peut pas dire que nous ayons été particulièrement flambards. L’initiative du « front de gauche des économistes », lancé avant les européennes, n’a pas été suivie dans les autres secteurs. Moi, je propose que des Fronts de gauche de professionnels de santé, de l’éducation, et je ne sais quoi encore, se créent ! Que les gens se l’approprient. Mais pour l’instant ce n’est pas le cas. Tout est à faire.

Enfin, il y a le programme. Et là je pense que pour créer une vraie dynamique, il faut montrer que nous sommes capables de gouverner. Il faut donc entrer dans une logique de la radicalité concrète. Au Parti de gauche, on a travaillé tout l’été, pour que l’on puisse ensuite discuter et écrire noir sur blanc ce qu’on va faire, et avec quelle méthode on va le faire. On a déjà rédigé 177 fiches, plus de 1.000 propositions. C’est une première contribution, qui ne touche pas tous les domaines, mais un point de départ. Tout se fera sur le terrain.

Après, moi, j’appelle à la création de Fronts de Gauche thématiques, afin d’éveiller une conscience populaire collective. Car il faut que les gens comprennent que si jamais nous gouvernons, ça va être rude, il y aura une sacrée confrontation avec ceux qui ne se laisseront pas prendre ce qu’ils ont. Moi, je voudrais quand même récupérer en une législature 10 points de richesses que le Capital a pris au Travail ces dernières années. Ça représente tout de même 195 milliards d’euros ! Il faudra aller les chercher, et il est peu probable qu’ils se laissent faire. En Amérique latine, là où ça s’est passé, ce fut assez chaud.

« On vous voit arriver… Vous allez nous parler de votre « révolution par les urnes » inspirée du modèle sudaméricain. Mais on ne peut pas dire que votre amour de la démocratie référendaire ait gagné beaucoup d’esprit dans le reste de la gauche… »

Désormais, on a décidé de l’appeler « la révolution citoyenne ». De cette idée comme des autres, disons qu’il faut que ça infuse lentement, pour que ça diffuse largement ensuite. C’est clair que je voudrais que ça aille plus vite qu’actuellement. Mais regardez « la planification écologique ». Plus personne dans l’autre gauche n’est contre, et ça s’est fait finalement assez vite. La « révolution citoyenne », au début en Equateur, personne ne pensait que Correia allait la faire. Et il l’a fait. Et je pense que ça va prendre en France. Car cette idée que le but et la méthode sont la souveraineté populaire a tout pour être comprise et entrainer les gens. Et contrairement à d’autres révolutions, où les notions d’assemblée constituante et de restitution politique du pouvoir ont été absentes, on parle ici d’une révolution où le mot citoyen prendrait tout son sens. C’est quelque chose d’audible, de crédible. La crédibilité n’est pas un rabais de l’ambition.

« Les communistes ne semblent pas avoir abdiqué de vous laisser la place à la présidentielle. Après avoir évoqué Patrick Le Hyaric, Didier Le Reste, Gérard Aschiéri, voilà qu’ils mettent ce week-end en orbite le député André Chassaigne, comme prétendant à la présidentielle… »

C’est normal. A un moment donné j’ai été exaspéré, car on me reprochait de vouloir être candidat. A la question légitime des journalistes me demandant si je pourrais représenter le front de gauche, j’ai dit que je me sentais capable. Je croyais botter en touche. J’ai d’abord été accusé de m’autoproclamer ! Marie-George a desserré l’étau autour de moi en proposant l’idée d’autres candidatures possibles émanant du PCF. Tout cela est normal. Bien sûr qu’il n’y a pas qu’un candidat qui serait seul capable de nous représenter. Chacun devra faire valoir ce qu’il apporte à l’affaire. D’ailleurs, les propos de Pierre Laurent (dans Libération de jeudi) sont extrêmement réconfortants, car il dit se porter garant qu’il y aura de toute façon un atterrissage unitaire. Ce qui est fondamental. Et il dit qu’il n’exclut pas la mienne, et de manière aimable, pas « faute de mieux ». Donc ce n’est pas si mal engagé que ça, même si ça peut encore complètement déraper.

« Vous pensez qu’il doit falloir trouver un candidat par consensus, au risque de se retrouver dans les impasses de la désignation d’un candidat unitaire de la gauche antilibérale en 2007 ? Pourquoi pas une primaire avec les militants du Front de gauche ? »

Sous une forme ou un autre, il faudra évidemment faire voter les militants de nos partis. Il est exclu qu’il n’y ait pas de vote. Mais il ne faut pas non plus revivre la comédie de 2007. Les partis doivent prendre leurs responsabilités. Si on est incapable de proposer un nom, c’est un désastre. Soyons francs du collier, faisons une proposition et soumettons là au vote de nos adhérents. Une primaire, entre nous ce serait destructeur. On n’est pas si fort que ça. Regardez les socialistes dans quel état ça les met. Et puis qu’a-t-on à dire de très différent, Chassaigne, Le Hyaric et moi, par exemple ? Sur tous les thèmes, on est d’accord. On va choisir entre celui qui a une moustache et celui qui vient du Midi ? Il ne peut pas y avoir de querelles d’égo dans une gauche qui peut à tout moment être rayée de la carte. C’est ce qui s’est passé en Grèce ou en Italie. Il n’y a que Die Linke et le Front de gauche pour entretenir la petite flamme qui peut mettre le feu à la plaine. Encore faut-il la faire vivre.

« Vous êtes tricard à la gauche du PS, le courant de Benoît Hamon ayant décidé d’organiser à ses universités d’été un meeting unitaire avec Olivier Besancenot (NPA), Pierre Laurent (PCF), Jean-Vincent Placé (Verts), mais pas vous… »

C’est du niveau de la cour de récréation. J’ai voulu juste vérifier que nous étions officiellement invité, comme Gérard Filoche nous l’avait dit, pour pas qu’on me refasse le coup de l’année dernière, au même endroit, on avait dit que je n’étais pas venu, parce que j’étais sectaire, etc. Ils invitent qui ils veulent, mais qu’ils me disent clairement que je ne le suis pas. Après plusieurs textos et messages sur le répondeur, j’ai eu Benoît, Hamon qui aurait, dit-il, changé de portable. Il m’a dit qu’il « voulait voir ceux-là ». C’est du jargon socialiste, une façon euphémisée de dire « on n’a pas envie de te voir ». Je comprends ça. Et ça m’est égal…

« Vous ne craignez pas de devenir un repoussoir à la gauche de la gauche ? »

Il n’y a qu’à voir dans les manifestations, je ne suis pas un repoussoir pour tout le monde. Il y a surtout dans cette histoire un paquet de mesquineries et de jalousies, et divisions mal recuites de la vie interne du PS. Je me suis juste débrouillé pour leur remettre cette inélégance sur les genoux.

Ça va bientôt faire deux ans que vous avez créé le Parti de gauche. Où en est-il, à un mois de son troisième congrès de fondation ?

Faux c’est le deuxième. Il le faut. Le parti n’est pas terminé, les statuts n’ont pas encore été adoptés, nous n’avions pas encore officiellement voté d’éléments de programme, ni de manifeste. On me reproche de ne pas avoir tout bouclé en deux ans ce que d’autres partis mettent parfois dix ans à finaliser ! On n’allait pas ficeler tout de suite un parti avec des gens qui ne se connaissaient même pas. On a rapidement été 4.000, puis 5.000, aujourd’hui 7.000. Je sais qu’on m’attribue des vertus d’organisation que je n’ai pas toujours, mais ce n’est pas l’armée non plus ! Sans oublier les incidents de parcours. Car on a vu débarquer des fractions de sous-marins trotskystes, des candidats PS recalés voulant continuer à l’être, des grands blessés. On a eu régulièrement des incidents de parcours, parce que si on ne discutait pas la moindre virgule, ce ne serait pas démocratique. Mais tout ça se règle de façon très simple. Pas besoin de se traiter de stalinien, quand on s’est juste trompé de parti. Ça te plaît pas, bon ben tant pis, au revoir ! Moi je ne suis pas un fétichiste du parti, et je n’ai pas envie que le PG se fossilise avant l’heure, par des rites en acier trempé, des procédures tortueuses. Je ne suis pas un gauchiste, je le reconnais, et je reconnais que je pratique le régime de la bonne franquette, bien préférable à des tas de formalismes excessifs. Je privilégie l’action. Mais en même temps quel autre parti a produit autant d’idées et de documents au cours des deux dernières années. Lequel ?

« A l’heure où toutes les organisations politiques s’interrogent sur le renouvellement de la forme parti, la militance à la carte et Internet, vous privilégiez le parti à l’ancienne des années 1970… »

J’assume totalement. Cependant, le PG est certainement le parti qui fonctionne le plus par Internet, au point que nous sommes parfois bien totalement débordés par la situation, et que les consignes du parti passent plus vite par Facebook que par le canal interne. Qui a une télé internet, une blogosphère comme la notre ? Et je crois à ça, à la liberté, à l’autonomie.

A côté de ça, c’est vrai que chez nous c’est très militant à l’ancienne, les affiches, les tracts, les drapeaux, le porte à porte… Et puis on a réhabilité les commandos culturels. Il y a une chorale du PG, le théâtre militant, les crieurs dans le métro. Ok, je comprends ceux qui sont traumatisés par la forme parti, mais il y en a aussi qui ne le sont pas. Moi, j’ai passé les plus belles années de ma vie au PS des années 70. C’était gai, c’était vivant. On faisait confiance. J’étais devenu secrétaire adjoint de la section à laquelle je venais d’adhérer, qui était la plus grosse du département. Le PG c’est pareil. On avance et on voit. Le parti appartient à ceux qui font.

« Le PG, toute proportion gardée, c’est le PS avant qu’il ne soit un parti d’élus, en somme… »

Si vous voulez. Quand vous voyez les sections du PS d’aujourd’hui. C’est un ramassis de petits bourgeois qui viennent faire carrière, où les jeunes sont tous assistants et collaborateurs d’élus, qui n’aspirent qu’à être candidats. Il n’y a aucune joie là-dedans. Ils ne militent pas, il gère un capital et un seul argument, un seul : le vote utile. Si on arrive à mettre une brèche là-dedans, ce machin s’effondrerait à 24h.

« On a le sentiment qu’il y a surtout un chef, et peu de démocratie interne… »

Mais on n’arrête pas de voter. Sur tous les textes, il y en a pour des jours de débats. Au dernier congrès, 3.000 amendements… On vote sur tout. Encore une fois, grâce à Internet, tout le monde donne son avis, ses réflexions, et il n’y a plus qu’à piocher. Après, il peut y avoir un décalage entre mon temps médiatique et celui de la vie du parti. J’ai un rythme de dingue, là je reviens de Strasbourg, je sors de chez Europe 1, je vous vois. Et je n’ai consulté personne avant de parler. Pour que cela ne pose pas de problème, il faut qu’il y ait une grande cohérence idéologique en amont, pour que quand je m’exprime, je puisse résumer les réflexions de tous.

« On a quand même du mal à imaginer un Parti de gauche dont le président ne serait pas Jean-Luc Mélenchon… »

Pour l’instant, sans doute. Mais ça se fera. D’abord parce que la relève est prête, et qu’on a des militants qui sont arrivés à maturité. Je ne suis pas éternel, je construis un outil. Mais je sais comment je veux le construire. Et ce ne sera pas un parti où la faiblesse des dirigeants fait qu’il n’y a plus de décisions possibles, seulement des rites gothiques coulés dans le bronze. On est présent, certes de façon très inégale, dans tous les départements et en Outre-Mer. Maintenant, il faut faire confiance à la vie et a l’autonomie des militants. Je pense qu’on a fini de manger notre pain noir dans notre gauche.

« Vous ne serez plus président du PG après 2012 ? »

Clairement oui. Il faut savoir passer la main. Vous savez, c’est une épreuve physique, cette vie-là. Et puis, comme j’ai créé une relation délibérément conflictuelle avec les journalistes, c’est le grand oral permanent. On essaie de me sécher à chaque question. C’est le jeu, si j’avais voulu qu’ils soient complaisants, je n’avais qu’à l’être. Et comme j’ai la langue qui pique, ils savent qu’ils peuvent me faire passer la ligne jaune parfois. Ça m’est déjà arrivé.

« N’y-a-t-il pas une contradiction entre cette croisade contre les « médias manipulés » et votre participation à l’émission de Michel Drucker, celui qui fait du vélo avec Sarkozy ? Quand Besancenot l’avait fait, tout le monde l’accusait de donner dans le « pipolitique »… »

Le goût de la lumière, c’est quand même mieux que celui de l’ombre… Ce n’est pas le premier paradoxe dans ma vie. Je suis contre le bicamérisme, j’ai été sénateur presque 20 ans. Je suis au Parlement européen, et je ne crois pas au traité de Lisbonne. Cela dit, j’ai toujours été mieux traité par les « amuseurs », comme Ruquier ou Ardisson, qui m’ont toujours donné plus de temps pour exprimer mes idées que les journalistes politiques. Avec Drucker, le contact a été agréable. Il ne m’a pas tout de suite sauté à la gorge, comme d’autres le font continuellement. Eux ne se la pètent pas en politique, comme d’autres, qui sont pourtant ignorants comme des peignes sur le sujet.

Drucker, c’est 9 millions de personnes, pas forcément ceux à qui je parle d’habitude. Et je veux leur montrer qu’on peut aimer son pays et être profondément de gauche, sans avoir le couteau entre les dents ni manger des petits enfants comme me décrivent les laquais du social-libéralisme du genre du Nouvel Observateur. C’est vrai que j’ai eu des alertes de copains et de militants pour cette émission. On me dit : « fais attention ». Je crois qu’ils ont peur que je devienne gentil. Mais je leur réponds : « Soyez tranquille, regardez bien mon cou, il n’y a pas de traces de laisse ».


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