A propos de la conférence de Téhéran, niant l’holocauste

dimanche 24 décembre 2006.
 

Lettre ouverte de Mahmoud Al-Safadi, militant palestinien, détenu pendant dixhuit ans en Israël, au président iranien. Ce militant a subi la politique de liquidation et d’écrasement systématique de la gauche palestinienne menée depuis 40 ans par Israel mais aussi par les capitales arabes. Emprisonné pendant dix-huit ans par Israel pour appartenance au FPLP ( principale formation de la gauche palestinienne), il vient d’être libéré.

Les autres victimes d’une négation, par Mahmoud Al-Safadi

Monsieur le Président, je vous écris à la suite de votre intention annoncée d’organiser une conférence sur l’Holocauste à Téhéran, les 11 et 12 décembre, et j’espère vivement que cette lettre sera portée à votre attention.

Permettez-moi tout d’abord de me présenter : Mahmoud Al-Safadi, ancien détenu originaire de Jérusalem occupé. J’ai été libéré il y a moins de trois mois de la prison israélienne où j’étais enfermé depuis dix-huit ans pour avoir appartenu au Front populaire de libération de la Palestine et pris une part active dans la résistance à l’occupation durant la première Intifada. Depuis que vous avez été élu président, j’ai suivi avec un grand intérêt vos déclarations - en particulier celles relatives à l’Holocauste. Je respecte votre opposition aux injonctions américaines et occidentales ...

Mais j’enrage devant l’insistance que vous mettez à affirmer que l’Holocauste n’a jamais eu lieu, et devant vos doutes sur le nombre de juifs qui ont été assassinés dans les camps de concentration et d’extermination, les massacres organisés, les chambres à gaz - niant par là même la signification historique universelle de la période nazie.

Permettez-moi de dire, Monsieur le Président, avec tout le respect que je vous dois, que vous avez fait ces déclarations sans vraiment connaître l’industrie de mort nazie. Avoir lu les ouvrages de quelques négationnistes semble vous suffire - un peu comme un homme qui crie au-dessus d’un puits et n’entend rien d’autre que l’écho de sa propre voix. J’estime qu’un homme dans votre position ne devrait pas commettre une erreur aussi énorme, car elle pourrait se retourner contre lui et, pis encore, contre son peuple.

Comme vous-même et des millions de personnes dans le monde - parmi lesquelles, malheureusement, d’innombrables Palestiniens et Arabes -, j’étais moi aussi convaincu que les juifs exagéraient et mentaient au sujet de l’Holocauste, et ce en dehors même du fait que le mouvement sioniste et Israël se servent de l’Holocauste pour justifier leur politique, en premier lieu contre mon propre peuple.

Ma longue incarcération m’a fourni l’occasion de lire des livres et des articles que notre idéologie et nos normes sociales nous rendent inaccessibles en dehors de la prison. Ces documents procurent une connaissance approfondie de l’histoire du régime nazi et du génocide qu’il a perpétré. Au début des années 1990, en lisant des articles rédigés par les intellectuels palestiniens Edward Saïd et Azmi Bishara, j’ai découvert des faits et des positions qui contredisaient les miennes et celles de nombreux Palestiniens. Leurs écrits ayant suscité ma curiosité et fait naître en moi le besoin d’en savoir plus, je me mis à lire des récits de survivants de l’Holocauste et de l’occupation nazie. Ces témoignages ont été écrits par des gens de diverses nationalités, juifs ou non juifs.

Plus j’en apprenais, plus je réalisais que l’Holocauste était bien un fait historique et plus je prenais conscience de la dimension monumentale du crime commis par l’Allemagne nazie contre les juifs, contre d’autres groupes sociaux et nationaux - et contre l’humanité en général. Je découvris que l’Allemagne nazie aspirait à instaurer un "nouvel ordre mondial" dominé par la "pure race aryenne" grâce à l’annihilation physique des "races impures" et à l’asservissement des autres nations. Je découvris que différentes institutions étatiques "normales" - bureaucraties, systèmes judiciaires, autorités sanitaires et éducatives, municipalités, compagnies de chemins et fer et autres - avaient pris part et collaboré à la mise en oeuvre de ce nouvel ordre mondial. D’un point de vue théorique, cet objectif, tout comme les victoires remportées à l’époque par les armées d’occupation nazies, menaçait tout autant l’existence des Arabes et des musulmans.

Quel que soit le nombre de victimes - juives et non juives -, le crime est monumental. Toute tentative de le nier prive le négateur de sa propre humanité et le renvoie directement du côté des bourreaux. Quiconque nie le fait que ce désastre humain ait réellement eu lieu ne doit pas s’étonner que d’autres nient les souffrances et les persécutions infligées à son propre peuple par des dirigeants tyranniques ou des occupants étrangers. Posez-vous, je vous prie, la question suivante : les centaines de milliers de témoignages écrits au sujet des camps de la mort, des chambres à gaz, des ghettos et des meurtres de masse commis par l’armée allemande, les dizaines de milliers de travaux de recherche basés sur les documents allemands, les nombreuses séquences filmées - dont certaines l’ont été par des soldats allemands -, toute cette masse de preuves a-t-elle été fabriquée de toutes pièces ?

Tout cela se résume-t-il simplement à un complot impérialiste-sioniste ? Les aveux faits par de hauts responsables nazis sur leur rôle personnel dans le projet d’extermination de nations entières ne sont-ils que le fruit de l’imagination de quelque esprit dérangé ?

Et tous ces faits héroïques accomplis par les peuples soumis à l’occupation allemande - au premier rang desquels Russes, Polonais et Yougoslaves - ne sont-ils que mensonges et exagérations grossières ? La lutte des Soviétiques contre l’Allemagne nazie ne serait-elle qu’un fantasme ? Les Russes continuent de célébrer leur victoire sur l’Allemagne nazie et de rappeler le souvenir des millions de leurs compatriotes civils et militaires qui ont perdu la vie dans cette lutte. Mentent-ils, eux aussi ?

Je vous invite à lire des études historiques et des témoignages sérieux avant de faire vos déclarations publiques. Vous partagez le monde en deux camps : les impérialistes-sionistes, qui ont fabriqué le mythe de l’Holocauste, et les adversaires de l’impérialisme, qui connaissent la vérité et démasquent le complot. Vous pensez peut-être que le fait de nier l’Holocauste vous place à la pointe du monde musulman, et que ce déni constitue un outil valable dans le combat contre l’impérialisme américain et l’hégémonie occidentale. Ce faisant, vous rendez en réalité un bien mauvais service aux luttes populaires de par le monde.

Au mieux, vous couvrez de ridicule votre peuple et vous-même aux yeux de forces politiques qui rejettent l’impérialisme mais ne peuvent prendre au sérieux vos conceptions et arguments, du fait que vous niez de façon obsessionnelle l’existence d’une période historique abondamment documentée et étudiée et dont les conséquences se font encore sentir et sont toujours discutées à l’heure actuelle.

Au pis, vous découragez et affaiblissez les forces politiques, sociales et intellectuelles qui, en Europe et aux Etats-Unis, rejettent la politique de confrontation et de guerre menée par George Bush, mais se voient contraintes de conclure que, vous aussi, vous mettez le monde en danger par vos déclarations niant le génocide et par votre programme nucléaire.

Concernant la lutte de mon peuple pour son indépendance et sa liberté : peut-être considérez-vous la négation de l’Holocauste comme une expression de soutien aux Palestiniens ? Là encore, vous vous trompez. Nous luttons pour notre existence et nos droits, et contre l’injustice historique qui nous a été faite en 1948. Nous n’obtiendrons pas notre victoire et notre indépendance en niant le génocide perpétré contre le peuple juif, même si les forces qui occupent aujourd’hui notre pays et nous en dépossèdent font partie de ce peuple.

Traduit de l’anglais par Gilles Berton. Mahmoud Al-Safadi, ex-militant palestinien, a été détenu dix-huit ans en Israël, libéré en 2006


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message