Contrecarrer la dérive vers une école à deux vitesses

jeudi 9 septembre 2010.
 

Des réformes s’abattent sans discontinuer depuis plusieurs années sur l’école de la République. Leurs détracteurs les qualifient, non sans arguments, de contre-réformes.

L’éducation subit en effet une offensive sans précédent de l’idéologie libérale. Pour donner un aperçu de la palette du libéralisme en action, citons la généralisation des principes de concurrence et d’autonomie, la destruction des statuts des personnels, les économies tous azimuts - dont les suppressions de postes ne sont que la partie émergée de l’iceberg -, l’introduction d’une gestion managériale, de programmes ne donnant qu’une vision parcellaire et idéologiquement orientée de la réalité. Il en résulte une attaque violente à l’encontre des valeurs républicaines fondatrices de l’institution scolaire. Les cadres nationaux sont peu à peu démantelés, la laïcité malmenée, la mixité sociale attaquée, avec notamment la suppression de la carte scolaire. Plus encore, les tentatives de criminalisation de la contestation écornent sérieusement la liberté d’expression, tandis que la promotion d’un esprit critique conforme aux impératifs d’une citoyenneté éclairée est ébréchée par le dogme libéral. Cette logique, dont les buts restent largement inavoués, s’inscrit dans l’instauration d’une école à deux vitesses. Deux raisons principales expliquent cette volonté.

La première s’évertue à créer les conditions d’une marchandisation de l’école. L’éducation constitue en effet un marché aux potentialités gigantesques : les dépenses consenties dans le monde par les États sont estimées à près de 1 400 milliards d’euros, dont les trois quarts sont le fait des pays développés. En amont de la scolarité obligatoire, il s’agit de la mise en place des jardins d’éveil privés, au détriment de la scolarisation des 2 ans, en chute libre ; et, en aval, de briser le système public des qualifications professionnelles afin de faire des diplômes un produit de consommation ordinaire. Au cœur de la scolarité obligatoire, cela se traduit par les demandes croissantes de participation financière des familles (faisant douter de la réalité du principe de gratuité), par l’intrusion publicitaire au sein des établissements et la notion d’« investissement éducatif ». Au-delà d’un strict minimum qu’il incombe à un service public d’éducation réduit à la portion congrue de transmettre, les libéraux considèrent que l’usager en retirera un bénéfice individuel : l’obtention de connaissances et de diplômes ouvre la voie à un niveau de rémunération plus élevé. Par conséquent, il reviendrait à la famille, et non à la collectivité, de payer ce qui constitue en définitive un investissement pour l’avenir. C’est ainsi qu’il faut comprendre la pente vers des savoirs minimalistes et utilitaristes symbolisés par le socle commun au collège favorisant la prolifération des entreprises privées de soutien scolaire bénéficiant de surcroît d’avantages fiscaux.

La seconde vise à s’affranchir de l’impératif de mixité sociale, chargé de tous les maux par ceux qui ne l’ont jamais vraiment accepté. Pour ce faire, la double stratégie de la pénurie et du dénigrement est convoquée : pénurie en termes de moyens humains ou financiers, pour ensuite mettre en exergue les insuffisances du public afin de solliciter au final le privé. Cinquante ans après le serment de Vincennes appelant à l’abrogation de la loi Debré de 1959 (qui fait office de véritable concordat sans en porter le nom), l’urgence est de consacrer l’effort de la nation à la reconstruction d’une école de l’égalité, de la solidarité et de l’émancipation : les fonds publics doivent aller exclusivement à l’école publique. La suppression des postes de Rased (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) dans le primaire illustre à la caricature le choix fait par ce gouvernement d’une école à deux vitesses. « Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple », proclamait Danton. Le Parti de gauche fait sienne cette maxime, plaçant au cœur de son projet de transformation sociale la question éducative.

Francis Daspe, chargé des questions d’éducation au Parti de Gauche

(Tribune parue dans Sud-Ouest la 31 août 2010)


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message