Retraites, une mobilisation sans faille. Entretiens Thibault (CGT), Mailly (FO), Chérèque (CFDT), Coupé (SUD), Groison (FSU)

jeudi 9 septembre 2010.
 

Les organisations syndicales sont en passe de gagner leur pari. À l’heure de la journée d’action unitaire interprofessionnelle, elles ont mis le président de la République, le gouvernement et le parti présidentiel sur la défensive. Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée, l’a répété hier  : la réforme « ne pourra pas changer » car « elle est nécessaire ». L’argument, qui n’en est pas vraiment un, est sans doute un peu juste pour parvenir à « la mobilisation totale » des parlementaires
de l’UMP à laquelle appelle Xavier Bertrand, son patron.

Les syndicats déterminés

En tout cas, répéter que la réforme est inévitable ne suffit pas à renverser l’opinion. À 70 %, selon un sondage Ifop pour Ouest-France, les Français approuvent la journée de mobilisation des syndicats. Ce sont les arguments contre le recul de l’âge de départ de 60 à 62 ans qui ont fortement progressé durant l’été. Plus grave pour le pouvoir, les jeunes à 87 %, les employés à 82 % et les ouvriers à 79 % sont les meilleurs partisans de la mobilisation.

Le 7 septembre s’annonce plus gros que le 24 juin. Malgré des différences de points de vue sur le dossier, les syndicats s’accordent sans exception à considérer le projet du gouvernement injuste, et inefficace s’il s’agit de rendre pérenne le système solidaire de retraites. Tous se montrent déterminés non seulement à assurer le succès de la mobilisation demain, mais à la poursuivre et à l’amplifier si le gouvernement n’entendait pas le message. Les grandes manœuvres engagées par le président de la République pour détourner l’attention des Français sur d’autres questions que celles du social ont échoué. Les petites manœuvres pour tenter de faire croire qu’il suffirait de bouger quelques aspects du projet de loi pour satisfaire tel ou tel syndicat et fissurer le front commun ne mènent à rien. Ce que disent les leaders syndicaux, auxquels l’Humanité donne aujourd’hui la parole, en atteste.

2) Le secrétaire général de la CGT espère que l’ampleur des manifestations amènera la majorité actuelle à mesurer la situation

À la veille de la journée d’action, 
vous dites que rien n’est joué, qu’espérez-vous gagner  ?

Bernard Thibault. Un changement du cadre global dans lequel on s’apprête à faire une réforme sur l’avenir des retraites. Et si j’en crois les bons indicateurs dont nous disposons à la veille de notre journée d’action, ça me semble tout à fait jouable. Tout nous indique que la mobilisation aura franchi un pas supplémentaire par rapport à ce qui s’est passé le 24 juin.

Est-ce uniquement la mobilisation 
des salariés qui peut faire reculer
le gouvernement  ?

Bernard Thibault. Pour nous, c’est évident. Il n’y a pas d’autre élément pour faire changer d’avis le président de la République et le gouvernement sur ce projet. Nous entrons dans la phase parlementaire, nous ne méconnaissons pas le travail que peuvent faire les élus de l’opposition, mais nous savons que la droite est majoritaire. Si le projet est maintenu par le gouvernement, il y a de fortes chances qu’il soit adopté.

Le contexte est difficile pour le gouvernement et particulièrement pour Éric Woerth,
le ministre chargé de défendre la réforme. Est-ce pour vous un atout  ?

Bernard Thibault. Le président de la République est en grande difficulté. Il est d’abord critiqué sur l’orientation de sa politique économique et sociale. Dans la période la plus aiguë de la crise, les mobilisations ont été importantes en France, plus que dans les autres pays européens. Et l’annonce, le 20 juin, de son projet pour les retraites a provoqué, quatre jours plus tard, des manifestations de 2 millions de personnes. Il a donc choisi d’ouvrir un autre type de front avec son discours à Grenoble. Mais cela a entraîné une difficulté politique dans son propre camp. Pour autant, il maintient le calendrier d’une réforme qui va structurer les droits des salariés pendant des décennies. Pour couronner le tout, le ministre du Travail est au cœur de multiples polémiques sur la proximité de responsables politiques avec le monde de l’argent. Sa situation sert maintenant d’écran de fumée pour ne plus parler des retraites. J’ajoute qu’on est le seul pays européen où le Parlement va légiférer sur un projet très structurant avec un gouvernement sur le départ. C’est inimaginable ailleurs. Cela étant, pour nous, c’est bien sur le fond de la réforme que la mobilisation est organisée.

Qu’est-ce qui pourrait changer 
votre appréciation sur la réforme  ?

Bernard Thibault. S’il n’y a pas d’approche nouvelle de la philosophie de cette réforme, qui se caractérise avant tout par l’objectif de faire des économies sur les retraites à verser à l’avenir, nous ne changerons pas notre appréciation. Plutôt que de discuter des conditions qui permettraient à notre pays d’assurer une retraite décente à une population de plus de soixante ans qui va augmenter numériquement, le gouvernement, inspiré par le Medef et sous injonction des marchés et des agences de notation à leur service, choisit de diminuer les moyens financiers pour les retraites. C’est un recul social. Et ça ouvre les vannes à des mécanismes de capitalisation. La retraite est un pan essentiel du contrat social. C’est aussi structurant que le temps de travail, la protection sociale contre la maladie, les droits syndicaux dans les entreprises… On ne peut pas accepter que les conditions d’un vrai débat soient refusées.

Les syndicats sont en première ligne mais des associations, des formations politiques se mêlent aussi de ce débat. Qu’en pensez-vous  ? Souhaiteriez-vous des convergences  ?

Bernard Thibault. Nous sommes les premiers à dire que ce dossier des retraites recouvre un choix de société. Si c’est aux syndicats de défendre les droits des salariés, pour les choix d’avenir de la société, les partis politiques sont des acteurs qui comptent. Chacun doit défendre sa vision des choses. Il est tout
à fait souhaitable que des partis politiques, des mouvements associatifs soient partie prenante de ces débats. Le calendrier et la démarche du gouvernement visent à l’empêcher. Nos campagnes l’ont imposé dans le pays.

Grosse mobilisation mardi, 
l’intersyndicale se réunit mercredi, 
que va proposer la CGT  ?

Bernard Thibault. Nous espérons que l’ampleur de la mobilisation amènera la majorité actuelle à mesurer la situation. Si ce n’est pas le cas, je sens la détermination de tous les syndicats à poursuivre et à prendre leurs responsabilités. Je n’ai aucun doute là-dessus. La CGT souhaite que les débats sur les suites se multiplient dans les entreprises, avec deux soucis  : élargir encore la mobilisation et maintenir cette dynamique unitaire. C’est ce qui donnera confiance aux salariés et créera les meilleures conditions pour qu’ils soient entendus. Il n’y a rien d’écrit d’avance.

Entretien réalisé par Olivier Mayer

3) Jean-Claude Mailly. « On partage l’essentiel »

Selon le secrétaire général de Force ouvrière, demander le retrait du projet est nécessaire pour obtenir une autre réforme, plus juste. Pour lui, l’unité d’action doit être un événement. Il refuse que l’intersyndicale devienne une «  structure permanente  ».

On a parfois du mal à vous suivre. Vous quittez l’intersyndicale, vous y revenez mais un pied dedans un pied dehors… Que cherche FO  ?

Jean-Claude Mailly. L’intersyndicale n’est pas une structure permanente  ! Quand on est d’accord tant mieux, j’appelle ça l’unité d’action, mais chacun est libre de ses positions. L’unité d’action doit être un événement  : on partage l’essentiel des revendications pour tel objectif. Sur le dossier retraite, FO a pris une position. Notre approche est à l’opposé de celle du gouvernement  : il y a un problème des retraites, il est d’ordre financier, comment peut-on y répondre durablement  ? Nous nous sommes prononcés pour le retrait du projet. C’est nécessaire pour obtenir une autre réforme. Nous sommes dans le contexte d’une crise du système capitaliste et je n’accepte pas qu’on fasse payer aux salariés l’ajustement d’une crise dont ils ne sont pas responsables.

Mais vous n’êtes pas le seul syndicat à critiquer le projet sur le fond, sur les mesures d’âge et de durée de cotisation…

Jean-Claude Mailly. Nous avons développé nos propres positions, nous avons manifesté le 15 juin avec 70 000 personnes et nous sommes partie prenante de l’action du 7 septembre. Tout le monde dit que ce texte est mauvais. Nous exigeons son retrait. Si « retrait », ça choque certains, trouvons un autre terme. Mais il y a un refus des autres organisations. Elles sont libres de refuser mais ne peuvent pas nous imposer d’abandonner notre revendication. Ce n’est pas une posture pour FO. Éric Woerth nous dit qu’il est possible de discuter sur la pénibilité, les poly-pensionnés, les carrières longues… Je ne nie pas ces problèmes mais le fond du projet est de faire travailler les gens plus longtemps.

S’il change sur la pénibilité, passe de 20 % de handicap à 10 %, faut-il accepter la réforme  ? Nous avons gagné sur le CPE pour 3 raisons  : une unité d’action qui ne s’est pas démentie, un mot d’ordre clair, le retrait du CPE, et les jeunes massivement dans la rue. Il y avait une identification claire.

Je n’en fais pas une polémique, FO participera le 7 septembre, nous n’abandonnons pas l’unité d’action car c’est un moyen pour tenter de gagner. L’essentiel est qu’il y ait du monde mardi dans la rue et des arrêts de travail.

Le 8 septembre l’intersyndicale se réunit, vous en serez  ?

Jean-Claude Mailly. Il n’y a aucune raison de ne pas y être…

Que proposerez-vous  ?

Jean-Claude Mailly. J’espère qu’il y aura plus de 2 millions de manifestants. Si le gouvernement ne bouge pas, il n’y a pas d’autre solution que le rapport de forces. Il faudra voir comment ça réagit dans les entreprises. On ne pourra pas faire des manifs à répétition. Mais si les manifestations ne suffisent pas, ne peut-on pas appeler à une journée de grève ensemble  ? Le calendrier est très court. Il faut réussir la première étape, le 7 septembre. J’ai lu ce qu’écrivait Nicolas Sarkozy en 2007  : « Si 3 millions de Français sont descendus dans la rue pour dire non au CPE (…) ce n’est pas parce que les Français n’ont rien compris au monde dans lequel ils vivent, c’est parce que ce qu’on leur fait vivre leur est devenu insupportable. » Ce qui veut dire que 3 millions de personnes dans la rue, c’est important.

Certains disent qu’il est impossible de réussir à mobiliser les salariés si tôt à la rentrée. Vous sentez un climat  ?

Jean-Claude Mailly. Une détermination, oui. Le dossier retraite est sur la table depuis longtemps et le 7 septembre a été décidé fin juin. C’est aussi la date de l’ouverture du débat parlementaire. Les syndicats sont allés sur le terrain tout l’été. Ça se sait largement. Il y a aussi le contexte extra-syndical. Le ministre qui défend la loi est fragilisé. Je ne me prononce pas sur l’affaire, mais c’est un constat.

Depuis deux ans, il se passe quelque chose dans le paysage avec l’intersyndicale. Est-ce une situation que vous trouvez intéressante  ?

Jean-Claude Mailly. Je ne suis pas certain qu’elle soit toujours sincère. Derrière, il y a le dossier de la représentativité syndicale. J’ai dit que nous n’étions pas d’accord avec cette loi de représentativité pour des raisons de fond, et non parce que je crains pour FO. Si l’intersyndicale s’est installée dans la durée, c’est parce que des idées de recomposition syndicale sont dans l’air. Ça ne doit pas empêcher l’unité d’action sur les retraites, sur des bases les plus claires possibles, mais il n’y a pas de holding syndical.

Entretien réalisé par Olivier Mayer

4) François Chérèque. « Une autre réforme, équitable »

Pour le secrétaire général de la CFDT, tant que le gouvernement ne remet pas en cause les 62 et les 67 ans, la réforme est inacceptable.

Demandez-vous le retrait 
du projet de réforme ?

François Chérèque. Non, la CFDT, comme l’intersyndicale, ne demande pas le retrait du projet de loi car ça laisserait à penser qu’il ne faut pas de réforme. Nous sommes pour une autre réforme et peu importe la méthode que le Parlement retiendra pour cela. L’important est d’obtenir une réforme juste et financée.

Qu’est-ce qui est inacceptable
dans le projet actuel  ?

François Chérèque. Le gouvernement veut décaler les bornes essentielles de la réforme de 1981, l’ouverture des droits à 60 ans et les pleins droits à 65 ans. C’est inacceptable parce que cela crée des inégalités pour ceux qui ont commencé à travailler jeune, ceux qui ont exercé des métiers pénibles, pour les femmes… Mais il est nécessaire de réformer les retraites pour assurer la pérennité du système par répartition.

Les évolutions sur la pénibilité, 
les polypensionnés ou les carrières longues sont-elles susceptibles 
de modifier votre appréciation  ?

François Chérèque. Tant que le gouvernement ne remettra pas en cause les 62 ans et les 67 ans, la réforme ne sera pas acceptable.

Quelle réforme préconisez-vous  ?

François Chérèque. Il faut ouvrir un débat qui n’a jamais eu lieu pour confronter les idées de la société, des syndicats, des partis politiques. La CFDT avance trois grands thèmes. Le premier, c’est de ne pas toucher aux bornes 60 et 65 ans mais de discuter de l’évolution de la durée de cotisation. Le deuxième, c’est de se projeter dans l’avenir et d’examiner, pour les futures générations, les modalités d’une fusion des différents régimes afin de ne plus pénaliser 40 % des salariés qui sont polypensionnés. Le troisième volet est celui du financement. Tous les revenus, donc ceux du capital, doivent participer au financement de la solidarité.

On pourrait donc augmenter
la durée de cotisation  ?

François Chérèque. Oui, c’est ce que nous avons dit à notre congrès…

Mais est-ce que ça ne revient pas
à baisser les pensions ou à travailler plus longtemps  ?

François Chérèque. Non. Si on intègre la pénibilité, un financement des périodes de précarité ou de chômage par la solidarité, et des éléments de choix à 60 ans, on atténue le problème des durées de carrière inaccessibles. Le principe de l’âge, lui, sanctionne les ouvriers. Nous voulons une réforme équitable qui réduise les inégalités entre hommes et femmes, ouvriers et cadres. C’est la seule solution.

L’allongement de l’espérance de vie doit-elle entraîner un allongement de la durée du travail  ?

François Chérèque. Oui et ce n’est pas une nouveauté pour la CFDT, c’était le cas en 2003. Mais l’allongement de la vie a sa limite. D’où la nécessité de se pencher sur les financements…

Vous souhaitez une hausse 
des cotisations  ?

François Chérèque. Recourir à la hausse des cotisations sociales est une entrée limitée si on veut défendre le pouvoir d’achat. Notre optique, c’est d’abord que tous les éléments de solidarité pour faire face aux aléas de la vie doivent être pris en charge par la solidarité nationale donc la fiscalité. Je fais remarquer qu’on parle de réforme en 2010, parce qu’il y a eu la crise. Sinon, on en parlait en 2012. 40 % des besoins de financement sont dus aux effets de la crise. Cela doit être financé par une taxation du capital au même niveau que le travail. C’est pourquoi la CFDT a défendu la CSG qui intègre le capital dans le financement de la protection sociale.

Mais la question la plus importante n’est-elle pas celle de l’emploi  ?

François Chérèque. C’est évident, les chiffres du chômage ne vont pas dans le sens de la réforme du gouvernement. Le chômage des jeunes et des seniors augmente. Nous allons avoir un transfert de la caisse de retraite vers l’assurance chômage. Cela ne changera rien au déficit sauf que les partenaires sociaux en auront la responsabilité. C’est une irresponsabilité du gouvernement.

À quel niveau voyez-vous
la mobilisation de mardi  ?

François Chérèque. Nous espérons que ce soit du même niveau au moins que le 24 juin. Pour la première fois depuis que je suis syndicaliste, une mobilisation réussirait à la rentrée. Notre objectif est que le gouvernement ouvre le débat sur une autre réforme. Et nous verrons au lendemain du 7, en fonction de la mobilisation et des réponses qui nous seront faites, ce que l’intersyndicale décidera.

Entretien réalisé par Olivier Mayer

5) Annick Coupé. « Il faudra vite un nouveau rendez-vous interprofessionnel »

Pour la porte-parole de l’union syndicale Solidaires, la réforme sur les retraites est rejetée dans l’opinion publique, il serait raisonnable que le gouvernement accepte de tout remettre sur la table des négociations.

À la veille de la journée d’action, 
comment qualifier la rentrée  ?

Annick Coupé. Ce qui est remarquable, c’est que la rentrée sociale correspond quasiment avec la rentrée scolaire. D’habitude, quand on parle de rentrée sociale, on pense fin septembre ou début octobre. Il n’y a pas eu de trêve estivale. La mobilisation du 24 juin a été très importante, alors que c’était la dernière limite avant les vacances. Durant les congés, la bataille sur les retraites a continué. Le débat autour de l’affaire Woerth-Bettencourt a fait la une. Enfin, nous avons eu droit à l’offensive sécuritaire de Nicolas Sarkozy… Les congés n’ont pas été une période atone.

Est-ce que le débat sur la sécurité n’a pas 
effacé le social  ?

Annick Coupé. C’était de toute évidence le calcul du président de la République. Je ne suis pas certaine qu’il y ait réussi. Je pense que les gens se rendent compte qu’il s’agit d’une manœuvre pour se sortir des affaires et du mécontentement. Les questions sociales prennent le dessus dans les préoccupations des citoyens, des salariés. Le dossier des retraites est central parce qu’il touche aux questions d’emploi, de salaires, de partage des richesses… Chacun a compris qu’il travaillerait plus longtemps pour gagner moins. Au-delà, ce dossier pose des questions de fond sur la société dans laquelle nous voulons vivre. À quoi les gains de productivité doivent-ils être affectés  ? Quelle place pour la solidarité  ?

Vous réclamez le retrait pur et simple du projet.
Il n’y a pas d’amendements possibles  ?

Annick Coupé. Si le projet passe, les retraités auront des pensions plus faibles, en particulier les femmes. Ce sera une régression sociale lourde. Cela ne signifie pas que nous défendons le statut quo. Les réformes de 1993 et 2003 ont dégradé la situation des retraités et augmenter les inégalités. Nous avons des propositions pour à la fois garantir le système de retraites par répartition et revenir aux 37,5 annuités, aux 10 meilleures années pour les salariés du privé. Pour financer cela, nous sommes pour le relèvement des cotisations patronales et la mise à contribution de revenus qui ne le sont pas aujourd’hui. Il faut pour cela toucher aux profits. C’est ce débat, aujourd’hui tabou pour le gouvernement, qu’il faut imposer.

Peut-on obtenir ce retrait du projet  ?

Annick Coupé. Personne n’aurait parié, lors des premières manifestations contre le CPE en 2006, sur un retrait de ce projet. L’enjeu des retraites est plus important  ; Sarkozy a dit que c’était le « marqueur de son quinquennat ». Mais aucune organisation syndicale n’est favorable au projet, il est rejeté dans l’opinion, il serait raisonnable que le gouvernement accepte de tout remettre sur la table.

Est-ce que cela dépend seulement 
de la mobilisation des salariés  ? N’y a-t-il pas aussi un contexte politique difficile pour 
le gouvernement  ?

Annick Coupé. Les choses sont liées. Nous sommes dans une situation de crise politico-sociale. La diversion sur le terrain sécuritaire a provoqué des réactions auxquelles Nicolas Sarkozy ne s’attendait sans doute pas. Les affaires affaiblissent le gouvernement et Éric Woerth en particulier  : elles nourrissent le sentiment d’injustice.

Mais c’est difficile de réussir une mobilisation
le 7 septembre.

Annick Coupé. Déjà on le disait pour le 24 juin, la proximité des congés devait handicaper la mobilisation. La réussite du 24 juin a permis à l’intersyndicale de prendre ses responsabilités et elle a décidé dès le 29 juin de la journée du 7 septembre. Le rendez-vous est connu. Le gouvernement a fixé un calendrier très court pour éviter la mobilisation et le débat citoyen sur ce dossier  : nous ne pouvons nous laisser piéger par ce calendrier  !

Si, mardi, la mobilisation est forte
et que le gouvernement reste sourd, 
que ferez-vous  ? L’intersyndicale a rendez-vous 
le 8 septembre.

Annick Coupé. Il faudra un nouveau rendez-vous interprofessionnel très vite. Solidaires pense qu’il faut construire un mouvement de grève reconductible, général, mais ça ne se décide pas en appuyant sur un bouton. Il faudra un nouveau rendez-vous dès la semaine suivant le 7 septembre. On pourrait envisager aussi de grandes manifestations citoyennes car c’est un enjeu de société. L’essentiel pour Solidaires, au lendemain du 7 septembre, sera de maintenir la pression la plus forte possible. Ce gouvernement ne comprend que le rapport de forces.

Entretien réalisé par Olivier Mayer

6) Bernadette Groison. « Les fonctionnaires paient le prix fort, c’est inacceptable »

La secrétaire générale de la FSU dénonce une harmonisation qui fait perdre aux salariés du public sans faire gagner à ceux du privé. Pour elle, l’unité syndicale est un atout majeur de la mobilisation.

En cette rentrée, il semble que les agents de la fonction publique sont une cible particulière de Nicolas Sarkozy.

Bernadette Groison. L’objectif de supprimer 100 000 fonctionnaires en trois ans est déjà un indicateur de ce que le gouvernement veut faire de la fonction publique. Il fait le choix d’avoir moins d’écoles, de services administratifs… bref, moins de services publics. Ainsi, les 16 000 postes en moins dans l’éducation nationale ont déjà des incidences  : non-remplacement des enseignants absents, baisse de la scolarisation des enfants de deux ans, suppression des dispositifs d’aide aux élèves en difficulté, augmentation des effectifs par classe… Le service public, dont on a dit il y a quelques mois qu’il servait d’amortisseur social à la crise, est mis à mal. Et la réforme des retraites maltraite aussi particulièrement les fonctionnaires. Comme tous les salariés, ils subiraient un report de l’âge de départ –il est difficile d’imaginer d’être encore en exercice à 65 ou 67 ans–, mesure à laquelle s’ajouteraient l’alignement du taux de cotisation représentant, à terme, la perte d’une journée par mois de salaire, la suppression du dispositif de départ anticipé pour les mères de trois enfants, la restriction de l’accès au minimum garanti… Et on annonce aussi le gel des salaires. Les fonctionnaires paient donc le prix fort. C’est inacceptable.

L’éducation nationale est-elle 
en danger  ?

Bernadette Groison. On a atteint le bout du bout. Quand le ministre sort les plus « méritants » des établissements sensibles, envoie les « perturbateurs » dans d’autres établissements, il avoue, de fait, qu’il a renoncé à la réussite de tous les jeunes. Il n’y a plus aucune ambition pour les 700 000 jeunes qui sont en ZEP. Face à la violence à l’école, j’entends Luc Chatel dire  : « On va sanctionner. » Mais j’aimerais l’entendre dire avec autant d’ardeur qu’il va mettre du personnel, en nombre et formé, dans ces écoles et ces établissements, qu’il prend les choses aussi en amont en faisant de l’éducation une priorité.

Le dossier des retraites va-t-il cristalliser tout ce mécontentement  ?

Bernadette Groison. Oui, parce qu’il percute le déroulement de carrière et les choix personnels de chaque salarié. C’est pourquoi nous pouvons créer un réel rapport de forces qui fasse reculer le gouvernement sur ce projet. Et nous tenons à l’articuler avec l’emploi et le pouvoir d’achat, parce que c’est lié. On nous dit qu’il va falloir travailler plus longtemps mais les jeunes n’arrivent pas à entrer sur le marché du travail et les seniors en sont expulsés  ! 85 % de l’effort financier est demandé aux salariés mais on se prive de cotisations sociales en se privant d’emplois. Les gens comprennent ces contradictions. C’est pourquoi il faut pouvoir rediscuter de tout et notamment du financement des retraites.

Les fonctionnaires ne sont-ils pas sur la défensive devant une campagne qui les désigne comme des privilégiés  ?

Bernadette Groison. Je crois que c’était vrai il y a quelques années mais que cela change. Harmoniser ne signifie pas faire pareil avec les uns et les autres. Les structures d’emploi sont différentes et l’harmonisation proposée fait perdre aux salariés du public sans faire gagner ceux du privé  !

Sur quoi comptez-vous pour faire reculer le gouvernement  ?

Bernadette Groison. On ne fera rien reculer sans la mobilisation des salariés et l’unité syndicale, qui est un atout majeur. Je pense qu’il y a, chez les parlementaires de la majorité, des hésitations et des fissures. Les élus n’ont pas le même rapport avec les citoyens. Le débat peut changer de nature.

Si le gouvernement, comme c’est possible, ne vous entend pas mardi, 
il va falloir faire vite…

Bernadette Groison. Oui, c’est pourquoi l’intersyndicale se réunit dès le lendemain. Le fait que les organisations syndicales soient toutes déterminées à ne pas laisser passer cette réforme est une preuve de sa gravité. C’est une détermination qui doit nous permettre de trouver ensemble les moyens d’élargir encore et d’amplifier la mobilisation.

L’intersyndicale est en place depuis deux ans maintenant. Est-ce un réel changement dans le paysage  ?

Bernadette Groison. C’est le signe d’une maturité. On entre dans une nouvelle ère du syndicalisme où les divergences et les nuances sont assumées pour dégager des objectifs communs et faire avancer les choses. C’est essentiel pour les salariés, pour redonner confiance en l’action collective. Au-delà des conséquences de la loi sur la représentativité qui vont certainement modifier le paysage syndical, toutes les organisations réfléchissent sur le rôle du syndicalisme en France aujourd’hui.

Entretien réalisé par Olivier Mayer

ossier de L’Humanité


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