1945-1946 : Le PCF, 
avec de Gaulle
 dans l’union
 nationale (texte NPA)

jeudi 19 août 2010.
 

Entré en résistance après l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie1, le PCF y est rapidement devenu hégémonique, ce qui a permis au « parti des fusillés » de s’installer ensuite comme la première force politique du pays. Rappelons son record historique des législatives d’octobre 1946 : 28, 2 % des voix, 182 députés. Dès 1941, les premiers contacts sont pris entre la direction du PCF et les représentants de celui qu’il désignait auparavant comme un galonné peu fiable et par trop lié à l’impérialisme britannique. De Gaulle décide rapidement d’associer le PCF à son gouvernement, tandis que ses représentants collaborent avec les communistes au sein du Conseil national de la Résistance. Si les luttes d’influence entre gaullistes et communistes sont incessantes, l’alliance prime toujours sur le conflit.

La reconstruction de l’État bourgeois

Contre les attentes de sa base, mais en accord avec les intérêts diplomatiques de l’URSS, l’appareil du PCF joue à la Libération le rôle que de Gaulle attend de lui  : soutenir de Gaulle et l’aider à reconstruire l’État bourgeois. Dans l’immédiat, cela passe par l’intégration à l’armée régulière ou la démobilisation des FTP, la subordination des comités de la libération aux préfets nommés par le gouvernement, ainsi que la dissolution des milices patriotiques.

Si la direction du PCF avait auparavant eu quelque hésitations, tout rentre dans l’ordre dès le retour de Moscou de son chef, Maurice Thorez, le 27 novembre 1944. Trois jours plus tard, il prononce au Vélodrome d’hiver un discours dont les principaux mots d’ordre sont  : «  faire la guerre  », «  s’unir  », «  créer une puissante armée française  », «  reconstruire rapidement l’industrie  ». La dissolution fin octobre des milices patriotiques, organisation armée de masse des travailleurs et de la population, est la décision gouvernementale qui suscite le plus de résistance, allant jusqu’à des affrontements armés. Le PCF aidera à y mettre fin après le discours prononcé par Thorez le 21 janvier 1945, devant le comité central réuni à Ivry  : «  Ces groupes armés ont eu leur raison d’être avant et pendant l’insurrection contre l’occupant hitlérien et ses complices vichyssois. Mais la situation est maintenant différente. La sécurité publique doit être assurée par les forces régulières de police constituées à cet effet. Les gardes civiques et, d’une façon générale, tous les groupes armés irréguliers, ne doivent pas être maintenus plus longtemps.  »

La «  bataille de la production  »

En septembre 1944, le PCF, relayé par la CGT, se lance dans «  la bataille de la production  ». Alors que la population souffre de nombreuses pénuries et que les salaires sont rongés par l’inflation, c’est le moment que choisit Thorez pour déclarer que «  la grève, c’est l’arme des trusts  » et qu’il faut «  produire, et encore produire  ». Le 21 juillet 1945, il affirme devant des mineurs du Nord  : «  Produire, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée du devoir de classe, du devoir des Français. Hier, notre arme était le sabotage, l’action armée contre l’ennemi. Aujourd’hui, l’arme, c’est la production pour faire échec aux plans de la réaction.  »

Le 21 novembre 1945, ce ne sont pas moins de cinq représentants du PCF qui intègrent le second gouvernement de Gaulle. Tandis que Thorez devient ministre d’État, d’autres dirigeants du parti se voient confier les portefeuilles stratégiques du travail, de l’économie nationale et de la production industrielle. Leur rôle est clair  : discipliner la classe ouvrière à l’effort de reconstruction capitaliste, en lui faisant croire qu’avec les nationalisations et l’annonce des premières mesures sociales, les entreprises et l’État seraient aussi un peu à elle.

À la mort de Thorez, en 1964, de Gaulle salua sa mémoire dans un «  message de condoléances  » qui signale  : «  À une époque décisive pour la France, le président Maurice Thorez a, à mon appel et comme membre de mon gouvernement, contribué à maintenir l’unité nationale.  »

Jean-Philippe Divès

A propos
 du programme 
du Conseil national
 de la Résistance

On a vu ressurgir ces derniers temps des références au programme du Conseil national de la Résistance (CNR), présenté comme une sorte d’idéal républicain, un paradis perdu qu’il faudrait reconquérir. Retour sur un texte profondément marqué par son époque et ses rapports de forces sociaux et politiques  ; un texte qui se distingue aussi de nombre de programmes contemporains par le fait d’avoir été… réellement appliqué.

Formé en 1943 pour unifier la résistance intérieure sous l’autorité du gouvernement de Gaulle, le CNR regroupait tous les mouvements armés, les partis de gauche et de la droite non vichyste, les confédérations syndicales. Le PCF et les organisations qu’il contrôlait, en premier lieu la CGT, y avaient un poids notable. à la mort de son fondateur, Jean Moulin, la présidence du CNR revint au démocrate-chrétien Georges Bidault, un futur partisan de l’Algérie française et de l’OAS qui sera contraint à l’exil sous la Ve République.

Adopté le 15 mars 1944, soit moins de trois mois avant le débarquement de Normandie, le programme du CNR développe d’abord une série de mesures, militaires et d’organisation de la population, visant à généraliser la lutte contre l’occupant et les forces de la collaboration  ; en particulier, la mise en place des comités locaux et départementaux de la libération, dont il fixe les tâches. La seconde partie, outre des mesures de rétablissement des libertés démocratiques, définit les principaux objectifs à atteindre sur le plan économique et social. Elle annonce la plupart des «  réformes indispensables  » qui seront mises en œuvre à la Libération, telles que la Sécurité sociale, les nationalisations ou la planification.

Le cadre général est celui de l’union nationale  : «  l’union des représentants de la Résistance pour l’action dans le présent et dans l’avenir, dans l’intérêt supérieur de la patrie, doit être pour tous les Français un gage de confiance et un stimulant. Elle doit les inciter à éliminer tout esprit de particularisme, tout ferment de division qui pourrait freiner leur action et ne servir que l’ennemi.  »

L’exaltation de la «  patrie  » et de «  l’unité  » de «  notre peuple  », avec des accents retrouvés de 1792, est omniprésente. Les «  ouvriers  » et leurs revendications sont mentionnés, mais tout anticapitalisme est absent. La classe ouvrière n’est revendiquée que comme composante et expression de la «  nation  ». Les seules grèves citées sont celles du 11 Novembre, «  réalisées dans l’union des patrons et des ouvriers  ».

Les « féodalités économiques et financières » qu’il faut «  évincer  » désignent le secteur du grand patronat qui a ouvertement collaboré avec les nazis, et qui ne pourra décemment pas rester en place à la Libération, car le mouvement ouvrier ne l’accepterait pas. D’où les nationalisations, qui aideront aussi au pilotage centralisé de la reconstruction, indispensable pour une économie détruite par la guerre. «  Le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques  » désigne le transfert de ces secteurs stratégiques à l’état, garant des intérêts généraux des capitalistes. Quant à «  la participation des travailleurs à la direction de l’économie  », ce n’est pour l’essentiel qu’un slogan creux, qui annonce cependant l’association des bureaucraties syndicales à une large palette d’organismes consultatifs  ; tout comme, peut-être, le rôle des ministres PCF dans les gouvernements de 1944-1947.

Le texte comporte par ailleurs ce qui semble a priori une exception étrange  : alors que toutes ses têtes de chapitre font l’objet de développements plus ou moins étendus, la seule référence à la situation de l’empire colonial français et de ses peuples est la proposition consistant à octroyer «  une extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales.  » Ce quasi-point aveugle annonce à sa façon les massacres perpétrés par l’armée française à Sétif (le 8 mai 1945, jour même de la victoire en Europe) puis à Madagascar en 1947  ; et caractérise le programme d’union nationale du CNR comme impérialiste et colonialiste.

Au-delà, on peut dire que ce document reflétait deux grandes tendances de l’époque. D’une part, les besoins de la reconstruction de l’économie capitaliste dévastée par la guerre, besoins qui déboucheront, en France comme ailleurs, sur la période de croissance continue des Trente Glorieuses. D’autre part, des rapports de forces caractérisés par la puissance retrouvée du mouvement ouvrier et par une faiblesse structurelle de la bourgeoisie, contrainte dans ces conditions à faire de nombreuses concessions. Le tout, dans un cadre marqué par la pression de l’URSS et la place particulière du parti stalinien français. Bref, une ère depuis longtemps révolue.

Jean-Philippe Divès

* Paru dans la Revue TEAN 11 (juin 2010).


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