Retraites : attention, la Commission européenne est à l’affût !

vendredi 6 août 2010.
 

Le 7 juillet 2010, la Commission européenne a publié un livre vert sur les retraites intitulé Vers des systèmes de retraite adéquats, viables et sûrs en Europe.

Dans le fonctionnement des institutions européennes, un livre vert ne comporte pas de propositions d’actes législatifs, mais il permet d’amorcer un processus de réflexion/consultation au terme duquel la Commission peut, par exemple, produire un livre blanc (qui contiendra, lui, des propositions concrètes). La date de clôture de la consultation sur les retraites a été fixée au 15 novembre 2010.

Le premier objectif de ce livre vert est manifestement de renforcer un bruit de fond favorable aux différentes "réformes" nationales en cours sur les régimes de retraite, aux politiques d’austérité, voire aux programmes de réglementation/développement des services financiers. C’est ce que la Commission appelle « ouvrir un débat européen ».

L’essentiel de la « démonstration » du document préparé par les commissaires László Andor (emploi, affaires sociales et inclusion), Olli Rehn (affaires économiques et monétaires) et Michel Barnier (marché intérieur et services) repose sur une instrumentalisation politique et idéologique de plusieurs phénomènes réels, mais qui peuvent appeler d’autres réponses : vieillissement démographique, conséquences de la crise économique et financière, endettement public. Du point de vue des auteurs, ces facteurs combinés doivent aboutir à l’augmentation de l’âge de départ effectif à la retraite, au développement de la retraite par capitalisation et de la mobilité des travailleurs ( flexibilisation accrue du marché du travail).

Dans son introduction, le texte s’appuie sur les déclarations de José Manuel Barroso, faites lors de la présentation de ses « orientations politiques » le 3 septembre 2009. Le président de la Commission affiche la couleur : « Des millions d’Européens n’ont pas d’autre revenu que leur pension de retraite. La crise a montré l’importance de l’approche européenne en matière de régimes de retraites. Elle a démontré l’interdépendance des différents piliers des régimes de retraite au sein de chaque Etat membre et l’importance d’approches commune au niveau de l’UE en matière de solvabilité et d’adéquation sociale. Elle a mis en évidence que les fonds de pension étaient un élément important du système financier ».

Avant d’entrer dans le contenu de ce livre vert, il faut comprendre comment la Commission cherche à « exister » et à « faire exister » l’UE sur la question des retraites. Cette question, en effet, ne fait pas partie des compétences exclusives de l’UE, ni même des compétences partagées avec les Etats. Tout juste des compétences dites d’appui - en l’occurrence la coordination des régimes de Sécurité sociale et la levée des obstacles à la libre circulation des travailleurs.

Mais l’UE a compétence en matière de réglementation du marché intérieur - « qui concerne les retraites »- ou de surveillance des équilibres macro-économiques (« critères de Maastricht ») dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance. Le fil de la pelote est tout trouvé... Il faut cependant ménager les susceptibilités des Etats membres très attentifs au respect, par la Commission, des compétences prévues par les traités. Ce qui explique le sentiment étrange qui se dégage du document : alors que, dans ses constats, il loue les vertus du régime par répartition et déplore les effets des régimes par capitalisation... il finit par concentrer l’essentiel de ses propositions sur le fonctionnement du marché intérieur, le développement du marché assuranciel et une gestion orthodoxe des finances publiques. D’où une conclusion « logique : « Au niveau de l’UE, les systèmes nationaux de retraite sont soutenus par un cadre d’action allant de la coordination politique à la réglementation. Certains thèmes communs doivent être en effet traités de manière coordonnée ; c’est le cas, par exemple, du fonctionnement du marché intérieur, des exigences résultant du Pacte de stabilité et de croissance, ainsi que des réformes des retraites, qui doivent être cohérentes avec la stratégie « Europe 2020 » ».

Parmi les principaux objectifs de cette stratégie se trouvent la question de l’emploi... et celle du marché unique : « L’objectif (...) en matière de taux d’emploi (75 %) nécessite d’atteindre des taux d’emploi nettement plus élevés qu’actuellement dans la population âgée de 55 à 65 ans. » Il s’agit donc d’augmenter l’âge effectif de départ à la retraite...

Autre objectif affiché : « La levée des obstacles qui entravent l’achèvement du marché unique, ce qui peut se faire par exemple en rendant le marché intérieur des produits financiers plus sûrs et mieux intégré et en facilitant la mobilité de tous les travailleurs ». L’UE doit donc consolider le secteur des produits financiers, comme ceux offerts par les fonds de pension. Pour le livre vert, « le fait de compléter le marché intérieur en y incluant les produits de retraite aura, de surcroît, un effet direct sur le potentiel de croissance de l’UE et concourra donc directement aux objectifs de la stratégie « Europe 2020 » ».

D’une manière plus générale, il s’agit « de revoir la réglementation des régimes de retraites par capitalisation, de manière à garantir leur efficacité et leur fiabilité ». Du point de vue de la Commission, cette nécessité est rendue plus grande du fait de l’impact de la crise financière sur les acteurs du marché des retraites : « La chute des taux d’intérêt et de la valeur des actifs a affaibli les taux de rendement et la solvabilité des régimes par capitalisation : en 2008, les fonds de pension privés ont perdu 20 % de leur valeur ». Il s’agit, avant tout, de les aider à « surmonter la crise ».

Par le biais du fonctionnement du marché intérieur et de la surveillance macro-économique, la Commission européenne définit donc des domaines d’intervention « européens » possibles dans le champ des retraites.

De quelle manière ? Plusieurs orientations sont proposées :

Allongement de l’âge effectif de départ à la retraite ; Accroissement des taux d’emploi et de la mobilité des facteurs de production (main d’œuvre et capital) ; Réduction des dépenses publiques ; Développement et renforcement des capacités des régimes par capitalisation ; Développement des régimes complémentaires et d’une offre assurantielle individuelle pour les travailleurs ; instauration d’un régime de retraite privé à l’échelle des Vingt-Sept coexistant avec les systèmes nationaux (« consolidation du marché des retraites ») ; Renforcement de l’efficacité de la réglementation des marchés financiers « compte tenu du rôle croissant des fonds de pension » ; Amélioration de la gouvernance des retraites à l’échelle de l’UE (comparabilité des statistiques, notamment sur les fonds de pension, mise en place d’une plateforme commune de suivi des politiques de retraites) ;

On ne sera pas surpris que, dans son livre vert, la Commission n’envisage pas la possibilité d’une fiscalité sur le capital et les revenus financiers pour financer les systèmes de retraites par répartition. Elle ne dit rien non plus de ce que pourrait représenter ce juteux « marché des retraites » pour les fonds de pension...

A ce jour, les gouvernements des principaux pays de l’UE (Allemagne, Espagne, France, Italie...) semblent, sans surprise, avoir reçu positivement cette contribution de la Commission. En revanche, le Royaume-Uni la rejette, dans la mesure où les régimes de retraite relèvent de la seule compétence nationale. Pour sa part, la Confédération européenne des syndicats a manifesté ses inquiétudes.

Résumé des réflexions et orientations contenues dans le livre vert

La Commission identifie trois grands défis prioritaires communs aux pays européens :

Le défi démographique, lié principalement à la conjugaison de l’allongement de l’espérance de vie (+ sept ans en 2060), de faibles taux de fécondité et de l’entrée en retraite des générations du baby-boom. De quatre actifs en âge de travailler (15-64 ans) en 2008 pour une personne de plus de 65 ans, ce rapport diminuera à deux pour un en 2060. La Commission estime qu’ « au vu des tendances actuelles, la situation n’est pas soutenable », sauf à ce que « les citoyens, qui vivent plus longtemps, travaillent également plus longtemps ». « Le poids du changement démographique, alourdi par la crise, tendra à réduire la croissance économique et à mettre les finances publiques sous pression » : le livre vert estime ainsi à cinq points de PIB supplémentaires le poids de dépenses publiques liées au vieillissement d’ici à 2060, dont la moitié liée aux retraites. La Commission souligne la fragilité des systèmes de retraites par capitalisation dont les actifs financiers peuvent se montrer plus vulnérables et moins efficaces en termes de montants des retraites face à des taux de croissance plus faibles dans un contexte de « vieillissement » démographique.

Malgré leurs grandes différences, les systèmes nationaux ont fait l’objet de mesures d’adaptation qui offrent un bilan contrasté au regard des pensions versées :
- allongement du nombre d’années travaillées pour bénéficier du même niveau de prestations (hausse de l’âge de départ à la retraite, bonus pour les départs différés, malus pour les départs anticipés, substitution du salaire moyen sur l’ensemble de la carrière à la prise en compte des meilleures années, politiques d’emploi des seniors, d’égalité hommes/femmes) ;
- importance accrue des régimes complémentaires par rapport au 1er pilier (financement public par répartition) ;
- mesures d’aides aux retraités les plus pauvres et aux groupes vulnérables ;

- prise en compte des inégalités hommes/femmes et des contrats atypiques dans la constitution des droits à retraite. A cet égard, les systèmes par répartition prennent davantage en compte les périodes consacrées aux responsabilités familiales (enfants, personnes âgées, vulnérables) que les régimes par capitalisation. La Commission note également que si l’ « offre » en matière de dispositifs de retraites est aujourd’hui plus large, les citoyens sont également plus exposés aux risques (rendement des marchés financiers, carrière professionnelles interrompues...). A cet égard, elle souligne que « pour un nombre considérable de travailleurs, les systèmes de retraite réformés augmentent les risques d’inadéquation » : baisse des taux de remplacement nets dans beaucoup de pays, malgré des améliorations dans certains où le taux de départ était très bas. Par conséquent, d’autres réformes sont sans doute nécessaires. 3. La crise financière et économique a accru l’urgence des problèmes posés aux systèmes de retraite (par répartition ou par capitalisation) par le vieillissement de la population. Parallèlement, la situation des finances publiques pèsera durablement sur les dépenses de retraites publiques. La Commission estime au total que la crise a ajouté de nouvelles dimensions aux programmes de réformes préexistants : il s’agit désormais de rechercher un bon équilibre entre le niveau « adéquat » des pensions versées et la viabilité des finances publiques. A cette fin, plusieurs axes sont identifiés :
- « la nécessité de plus en plus pressante de combler les lacunes en matière d’adéquation », i.e garantir un revenu de retraite adéquat (y compris aux travailleurs atypiques, aux groupes vulnérables...) alors que « jusqu’à présent, la majeure partie des réformes des systèmes de retraite ont eu pour objectif d’améliorer la viabilité des systèmes ». Considérant que les taux de remplacement garantis par les retraites publiques vont diminuer, la Commission suggère que l’accès aux régimes complémentaires ou la possibilité de travailler plus longtemps doivent, par exemple, être facilités.
- « La nécessité de plus en plus pressante d’adopter des réformes qui renforcent la viabilité des finances publiques » : le livre vert préconise la stimulation de l’offre de main-d’œuvre, de sa productivité et l’amélioration du taux d’emploi (surtout des seniors), objectif clé des stratégies de Lisbonne et Europe 2020. Ces réformes doivent aboutir à renforcer le potentiel de croissance de l’UE.
- « La priorité à accorder à l’augmentation de l’âge effectif de départ à la retraite » : la question est abordée sous l’angle de la recherche d’un « équilibre durable entre la durée de la vie professionnelle et la durée de la retraite », i.e. le maintien d’un ratio stable entre durée de la vie active et durée de la retraite, compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie. La Commission présente cette voie comme la condition sine qua non permettant d’éviter une diminution des prestations et une majoration des cotisations.
- « La nécessité de revoir la réglementation des régimes de retraite par capitalisation, de manière à garantir leur efficacité et leur fiabilité malgré d’éventuelles crises financières majeures, tout en veillant à ce que cette réglementation soit proportionnée, ne rende pas les employeurs insolvables et n’incite pas ceux-ci à abandonner ces régimes de retraite » ; Le livre vert souhaiter ouvrir le débat sur les obstacles à la mobilité dans l’UE et des facteurs de production (main d’œuvre et capital) au regard des droits à pension. L’objectif de fond est de d’aider à « libérer tout le potentiel du marché unique ». Ceci passe notamment :
- par une consolidation du marché intérieur des retraites. Est ainsi posée la question de la révision de la directive 2003/41/CE sur les « institutions de retraite professionnelle » ainsi que de certaines normes comptables applicables aux retraites. La Commission évoque également la piste du développement des produits d’assurances-vie comme source alternative aux pensions de revenus de retraite (« hypothèques inversées ») ainsi que l’instauration d’un régime de retraite privé à l’échelle de l’UE, lequel coexisterait avec les différents régimes de retraite déployés en Europe (« 28ème régime » évoqué notamment par le rapport d’Alain Lamassoure et plus récemment dans celui de Mario Monti) ;
- par une meilleure mobilité des retraites. La Commission propose de relancer la discussion sur la proposition de directive de 2005 sur les « prescriptions minimales visant à accroître la mobilité des travailleurs en améliorant l’acquisition et la préservation des droits à pension complémentaire » (proposition également faite par M. Monti) ;
- par un éventuel système de suivi des droits à pension des travailleurs mobiles dans l’UE que la Commission propose d’établir, à l’image de la pratique de certains pays au niveau national,
- « La nécessité de veiller à ce que les marchés financiers soient réglementés de manière efficace et intelligente compte tenu du rôle croissant des fonds de pension ». La Commission préconise d’augmenter la transparence de l’information et la sécurité des règles régissant les systèmes de retraite, en particulier des fonds de pension. Le livre vert recommande également une réflexion sur les régimes de solvabilité des fonds de pension dans le cadre de la révision de la directive sur les institutions de retraite professionnelle, en prenant pour point de départ la démarche retenue pour la directive « Solvabilité II » (2008/94/CE). Au-delà des aspects réglementaires, la Commission suggère une amélioration des statistiques de l’UE sur les retraites (comparabilité), particulièrement sur les fonds de pension, compte tenu de la « force de frappe » de ces derniers et de leur rôle en matière de stabilité financière. Le livre vert s’achève sur un appel à l’amélioration de la gouvernance de la politique des retraites au niveau de l’UE en proposant une « plateforme commune qui permettrait de suivre tous les aspects de la politique et de la réglementation des retraites de manière intégrée et de réunir toutes les parties prenantes ».

Questions posées dans le cadre de la consultation publique

Question 1 : Comment l’Union européenne peut-elle aider les États membres à rendre leurs systèmes de retraite plus adéquats ? L’UE devrait-elle mieux définir ce qu’implique un revenu de retraite adéquat ? Question 2 : Le cadre pour les retraites qui existe actuellement au niveau de l’UE est-il suffisant pour garantir la viabilité des finances publiques ? Question 3 : Comment parvenir à relever l’âge effectif de départ à la retraite et comment l’augmentation de l’âge ouvrant droit aux prestations de retraite pourrait-elle y contribuer ? Faut-il introduire dans les systèmes de retraite des mécanismes d’ajustement automatique à l’évolution démographique en vue d’équilibrer le temps passé au travail et le temps passé à la retraite ? Quel rôle l’UE pourrait-elle jouer à cet égard ? Question 4 : Comment la stratégie « Europe 2020 » pourrait-elle être utilisée pour promouvoir l’allongement de la vie active ainsi que ses avantages pour les entreprises et lutter contre la discrimination liée à l’âge sur le marché du travail ? Question 5 : Comment conviendrait-il de modifier la directive sur les institutions de retraite professionnelle pour améliorer les conditions d’exercice de l’activité transfrontalière ? Question 6 : Quels devraient être les régimes concernés par des mesures prises par l’Union européenne pour lever les obstacles à la mobilité ? Question 7 : L’Union devrait-elle se pencher à nouveau sur la question des transferts ou des normes minimales en matière d’acquisition et de maintien de tous les types de droits à pension ainsi qu’un service de suivi de l’évolution de ces droits constitueraient-ils une meilleure solution ? Question 8 : La législation européenne actuelle doit-elle faire l’objet d’une révision qui garantisse une réglementation et une supervision cohérentes des régimes de retraite par capitalisation (c’est-à-dire financés par un fonds d’actifs) et de leurs produits ? Si oui, quels sont les éléments à revoir ? Question 9 : Comment la réglementation européenne ou un code de bonnes pratiques pourraient-ils aider les États membres à aboutir à un meilleur équilibre entre les risques, la sécurité et l’accessibilité financière pour les épargnants et pour les institutions de retraite ? Question 10 : Quelles devraient être les caractéristiques d’un régime de solvabilité équivalent pour les fonds de pension ? Question 11 : La protection prévue par la législation européenne en cas d’insolvabilité de l’entreprise d’affiliation devrait-elle être renforcée ? Si oui, comment ? Question 12 : Y a-t-il lieu de moderniser les exigences minimales actuelles concernant les informations à fournir sur les produits de retraite (comparabilité, normalisation, clarté, etc.) ? Question 13 : L’UE devrait-elle élaborer une stratégie commune relative aux options par défaut en matière de participation et de choix de placement ? Question 14 : Le cadre de coordination stratégique au niveau de l’UE devrait-il être renforcé ? Si oui, quels éléments devraient être renforcés pour améliorer la conception et l’application de la politique des retraites selon une approche intégrée ? La création d’une plateforme de suivi intégré de l’ensemble des aspects de la politique des retraites constituerait-elle un élément de la solution ?


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