La gauche radicale doit sortir du concours de nains politiques (tribune de Clémentine Autain dans Libération)

jeudi 5 août 2010.
 

A un moment où les crises sont sociales, économiques, écologiques et démocratiques, les potentialités critiques sont immenses. Combien d’acteurs syndicaux ou associatifs se mobilisent contre les reculs des droits et libertés mais enragent de ne pouvoir adosser leur action sur une dynamique politique conséquente ? Le paradoxe est là : alors que la légitimité du capitalisme est en berne, les forces qui la contestent n’arrivent pas à faire émerger une alternative politique tangible, crédible, audible.

Si les résistances ne manquent pas, leur convergence reste à construire. Pour cela, la gauche de transformation sociale et écologique doit à la fois se recomposer et innover. Sortir du concours de nains politiques pour se donner les moyens de gagner et de changer les conditions de vie du plus grand nombre n’est pas une tâche facile. Des « comités Juquin » aux collectifs antilibéraux, en passant par la CAP ou « l’appel Ramulaud », on ne compte plus les rendez-vous manqués… Qu’est-ce qui, fondamentalement, a toujours rendu impossible depuis vingt ans le rassemblement de l’autre gauche ?

Mon hypothèse, c’est que nous ne croyons pas vraiment en nous-mêmes. Nous ne prenons pas au sérieux notre capacité à être majoritaire et à peser sur le cours des choses. C’est la peur de gagner, la peur des victoires qui nous mettraient devant des responsabilités nouvelles. La pureté du discours, fut-elle au prix de la solitude et de la marginalité, importe alors plus que la mise en commun de nos forces. Ici et là, on préfère aussi se concentrer sur la survie de l’appareil ou d’une tradition que de jouer grand angle, par fidélité à l’histoire, par défiance à l’égard des autres cultures, par peur de lâcher la proie pour l’ombre. Les divergences entre socialistes ne sont pas plus grandes que celles qui parcourent notre espace mais ils ont compris eux (jusqu’ici) leur nécessité absolue d’être ensemble s’ils veulent compter et être en responsabilité.

Il y a quelque chose de touchant à nos exigences de rigueur politique et morale mais c’est ce qui nous conduit à la marginalité. Du coup, même ces débats entre nous finissent par être vains. L’enjeu est de casser la routine mortifère entre une droite de régression et une gauche d’accompagnement. Car cette alternative n’en est pas une. Et la division du travail entre « ceux qui gèrent » et « ceux qui luttent » est un allié objectif des pouvoirs en place.

C’est pourquoi nous devons tenir les deux exigences : radicalité et quête de majorités. Dès lors que l’on perd ou que l’on méprise l’une des deux, la volonté de rupture avec l’ordre existant ou la recherche de majorités - sociale, culturelle, politique -, on tue l’espoir et la possibilité du changement réel. Dans un cas, rien de fondamental n’est bouleversé. Une fois les élections gagnées, la déception s’installe, la quête du pouvoir institutionnel prenant alors très vite le pas sur le reste pour devenir une fin en soi. Dans l’autre, le vertige des écarts avec la perfection révolutionnaire - le contentement de ceux qui « n’ont pas trahi » ni passé aucun compromis - n’a pas permis non plus de changer la donne, empêchant même de travailler intellectuellement les contradictions inhérentes à la difficulté de transformer.

C’est d’abord dans la remise en marche d’une « utopie concrète », d’un nouvel imaginaire politique, d’une vision partagée des ruptures nécessaires que nous puiserons le souffle nécessaire. Mais cette exigence de radicalité doit s’accompagner d’une quête acharnée de constitution de majorités. Cela suppose de savoir évoluer sur l’étroite ligne de crête qu’implique la tension entre réformes et révolution et d’accepter d’être perméable aux mouvements de la société, de ne pas figer une ligne stratégique hors du temps au risque de la paralysie et de l’inefficacité. C’est pourquoi les formes et les conditions de l’indépendance vis-à-vis du PS doivent pouvoir être discutées, pesées et repesées.

Une recomposition s’impose. Choisir entre Lénine et Trotsky n’a plus de sens, ce qui a fondé l’existence séparée entre le Parti communiste français et la Ligue communiste révolutionnaire est dépassé. Apparues en marge du mouvement ouvrier et de la gauche politique, les questions écologiques doivent maintenant s’articuler aux exigences sociales. Les déçus de la social-démocratie cherchent aujourd’hui en dehors du PS une gauche digne de ce nom. Faire cause commune ne signifie pas dissoudre les identités.

Que chacun cultive son petit pré carré est une chose ; que l’on s’enferme dans le monolithisme en est une autre. Nous avons à inventer une force politique capable de faire vivre le pluralisme, de favoriser l’initiative spontanée, originale et ludique, de fonctionner de façon moins pyramidale sans perdre en efficacité. Ce travail appelle d’autres pratiques militantes et une démarche inédite, un chantier commun au sein duquel chacun - organisations et individus - soit ouvert aux apports des autres.

Le temps des avant-gardes éclairées et des partis guides est révolu. Des coopérations nouvelles sont à imaginer avec les mouvements de la société, les syndicats, les intellectuels critiques, les quartiers populaires - ce qui ne signifie pas seulement débaucher au moment des élections telle ou telle personnalité de la société civile mais bâtir des cadres collectifs et pérennes d’élaboration. L’aggiornamento idéologique passe par cet effort de novation des formes. La refonte d’une espérance, moteur de mobilisations populaires et donc d’émancipation humaine, est à ce prix.

Moins spectaculaire et moins central dans ce scrutin, deux échecs sont tout de même à observer. Je veux parler du Modem de François Bayrou et du NPA d’Olivier Besancenot. Comparaison n’est pas raison, me direz-vous, mais je constate que, si l’un et l’autre semblaient incarner un espoir, un nouveau souffle depuis 2007, ils viennent de réaliser une véritable contre-performance, qui s’ajoute à leur déconvenue respective aux européennes de l’année dernière. Or, et c’est ce qui m’intéresse ici, le revers du Modem et celui du NPA impactent la recomposition à gauche, telle qu’elle s’esquisse au sortir de ce premier tour des régionales.

Avec plus de 18% des voix à la dernière présidentielle, Bayrou s’affirmait comme le troisième homme, promu arbitre du second tour et promis à un grand destin national. Trois ans plus tard, force est de constater l’impasse de la stratégie « ni droite, ni gauche ». J’ai toujours pensé que le mythe du centre, avec un grand parti vierge et vertueux et l’idée d’un « gouvernement des meilleurs », sans attache partisane, n’était qu’un fantasme de commentateurs de la vie politique. D’ailleurs, en France, depuis quarante ans, le centre a toujours gouverné avec la droite et le programme du Modem, c’est un peu l’UMP à visage humain. Mais au PS, depuis 2007, l’idée de s’allier avec lui avait fait son chemin. Au sortir de l’été dernier, le trio Vincent Peillon/ Marielle de Sarnez/Robert Hue semblait si à la mode qu’un rassemblement arc-en-ciel à l’italienne était devenu plus que crédible. Mais voilà, après un faible score du Modem aux européennes, la chute est sévère : Bayrou et son nouveau parti réalisent un petit 4%, qui ne permet même pas de fusionner au second tour. Comme un château de cartes, la maison Modem s’écroule. Du coup, le PS et Europe/Ecologie se trouvent avec une épine de moins dans le pied. Et la gauche se polarise ainsi… à gauche. Bonne nouvelle, d’autant que la capacité à reconstruire du clivage, de la conflictualité droite/gauche est sans doute l’une des clés de la remobilisation électorale.

Autre déroute qui joue sur l’avenir à gauche : celle d’Olivier Besancenot et de son Nouveau Parti Anticapitaliste. Son faible résultat – 2,5% - le place nettement derrière le Front de Gauche, soutenu par le PCF et Jean-Luc Mélenchon. En 2007 pourtant, avec un peu plus de 4%, Olivier Besancenot devançait Marie-George Buffet et José Bové qui buvaient alors la tasse avec moins de 2% de suffrages. Le jeune leader faisait figure de grand gagnant de la gauche radicale, avec une côte de popularité exponentielle. En 2008, la création du NPA avait suscité l’enthousiasme de nouveaux militants et sympathisants qui rêvaient de dépasser la LCR, de construire une nouvelle gauche anti-capitaliste indépendante et de reconquérir un électorat jeune et populaire. A l’heure où le capitalisme montre son visage le plus cruel, beaucoup ont cru au succès du pari de Besancenot. Mais la stratégie d’autonomie totale vis-à-vis du PS et le choix de faire cavalier seul quand le Front de Gauche affichait une unité n’a pas motivé les électeurs. D’où le retour à un étiage qui ressemble aux résultats traditionnels de l’extrême gauche. Le problème, c’est que l’électorat visé des quartiers populaires n’est pas non plus venu en masse épauler un Front de Gauche qui, s’il confirme sa relative bonne tenue, ne casse pas la baraque et profite de l’électorat plutôt âgé et politisé qui est venu voter. L’addition des scores de la gauche radicale l’amène à un niveau historiquement bas, au-dessous des 10%. Le PCF a longtemps représenté à lui seul un tiers des forces de la gauche. Aujourd’hui, la gauche rouge – par opposition à la verte et à la rose – n’en représente plus qu’un cinquième. Soit une modification profonde des rapports de forces au sein de la gauche. La radicalité à gauche, disons le courant communisteS, a une histoire, une tradition. Est-elle vouée à disparaître ou, comme je le crois, n’a-t-elle tout simplement pas trouvé sa forme d’expression contemporaine ?


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