Absentéisme scolaire et suppression des allocations familiales "Monsieur le député, je tiens à vous faire connaître ma désapprobation"

jeudi 8 juillet 2010.
 

Vous demandez par courrier personnalisé à vos concitoyens de plébisciter la proposition de loi que vous déposez auprès du Parlement prévoyant que « si les parents n’exercent pas leur autorité parentale, si des carences en matière éducative sont constatées, notamment en ce qui concerne l’absentéisme scolaire, des sanctions doivent être exercées et la suspension des allocations familiales effectivement réalisée  ». Simple citoyen, je tiens à vous faire connaître ma ferme désapprobation d’une mesure punitive, inquiétante par tout ce qu’elle implique, dangereuse pour l’avenir de notre République. Voici les raisons de mon refus.

1. De manière générale, vous partez d’un constat de faits réels qui témoignent de la gravité de la crise morale et sociale qui affecte notre société et dont est largement responsable la politique du gouvernement que vous soutenez en zélote particulièrement acharné. Oui, l’absentéisme existe et marque le grippage de notre système scolaire qui a cessé de remplir sa mission d’instruction publique, notamment auprès des couches sociales les plus dépourvues de puissance sociale. Oui, l’autorité parentale est affaiblie et nombreux sont ceux qui n’ont ni la maturité ni la force minimale pour accomplir leur tâche. Mais ce sont là des effets dont vous vous gardez bien d’attaquer les causes multiples. Sous couleur de responsabiliser des parents souvent absents et meurtris par une existence insécurisée par le chômage, le démantèlement des services sociaux, l’endettement chronique, vous choisissez le bâton à défaut de distribuer quelques carottes et vous présentez ce qui est pure menace comme contrat. Vous ne vous rendez même pas compte de l’état moral de populations que la politique antisociale que mène le gouvernement réduit au désespoir. Vous êtes aveugle sur les mécanismes de ségrégation structurale qui sont ceux de notre société du capitalisme mondialisé. Vous vous présentez comme un moraliste sévère et vous rappelez à leurs devoirs ceux qui sont supposés abuser de leurs droits. Il vous suffit de les faire apparaître subrepticement comme des irresponsables profiteurs qu’il faut criminaliser etopposer aux autres couches sociales. Vous avez à la bouche le langage de la responsabilité, mais le Très Grand Moralisateur, le TGM que vous êtes, garde le silence sur les responsabilités de ceux qui affaiblissent le système d’éducation en diminuant le nombre des enseignants, des surveillants et des éducateurs, en dévaluant le contenu des enseignements fondamentaux. Vous ne dites rien de toutes les mesures qui organisent un enseignement multivitesse destiné à ossifier et inégaliser encore les différenciations sociales en abandonnant les élèves des classes populaires à un destin de subalternité et de mépris. Le TGM n’a jamais manifesté le moindre désir de responsabiliser les membres de la caste dominante qui ne cesse de s’attribuer des parts colossales de richesses sociales (revenus et primes vertigineux, stock-options, niches fiscales et fraudes diverses, parachutes financiers pharaoniques) et qui entend faire croire que c’est là la juste rétribution de compétences éminentes alors que ces compétences ont manifesté leur éminence en provoquant la crise sans précédent qui détruit notre économie et paupérise encore davantage les plus faibles. Ne serait-il pas responsable cependant d’envisager en élargissant votre moralisme de façade, «  la suspension  » de ces revenus exorbitants, et de lutter contre la «  surprésence  » financière de tous ceux qui refusent toute responsabilité sociale et se paient le luxe de mépriser tous ceux qu’ils réduisent à néant  ? Ne serait-il pas aussi responsable de rappeler ces couches de privilégiés cyniques à leurs devoirs et de cesser d’ôter à ceux qui n’ont rien pour donner toujours davantage à ceux qui ont tout  ?

2. Vous vous flattez de l’efficacité des mesures déjà prises par le département des Alpes-Maritimes sous votre impulsion. Soit. Mais vous êtes-vous demandé quelle sera la durée de ces résultats si le système scolaire poursuit sur sa ligne de pente destructrice et si les populations concernées continuent à s’enfoncer dans la déréliction sociale, dans l’insécurité existentielle et dans l’abrutissement organisé à leur intention par des médias serviles  ? Les élèves seront confrontés aux mêmes difficultés. Ils seront certes «  présents  » mais confrontés à la même «  absence  » d’avenir. Les familles percevront les allocations, mais elles seront soumises à la même insupportable politique d’austérité inégalement répartie et elles devront payer pour des fautes et des erreurs qu’elles n’ont pas commises. Il vous suffira pour gouverner, je le crains, de jouer sur la peur ou l’envie que certaines couches sociales inspirent à d’autres, d’user de cette passion triste qu’est la crainte et qui engendre des haines réciproques, permettant ainsi de rendre invisibles les causes réelles de la crise de la civilité. Ainsi est assurée l’impunité des agents sociaux et du système responsables en première ligne de ce processus de décivilisation et de barbarisation, si vous me permettez ces néologismes. D’autre part, les propositions dont vous vous faites le champion seront dépourvues d’efficacité sur le moyen terme et, loin d’être des remèdes aux maux qu’elles visent à traiter, elles se révéleront des maux supplémentaires dans la mesure où elles stigmatiseront des populations sans avenir social autre que la relégation à vie. Tout se passe comme si sous votre direction et celle de vos amis notre département voulait prendre la première place dans la course à l’apartheid national puisque vous avez déjà brillé par d’autres exploits comme l’inapplicable mesure prise à l’encontre des jeunes parcourant seuls les rues de Nice la nuit venue ou la télésurveillance permanente des populations. Ces mesures ont été contestées par de hautes autorités et celle que vous proposez aujourd’hui le sera aussi. Mais ces autorités comptent peu à vos yeux et vous pouvez faire valoir que vous êtes un élu légitime du peuple et que vous appliquez une politique majoritairement sanctionnée. Soit encore. Mais là encore, vous êtes-vous demandé si cette politique est effectivement légitime alors qu’elle contredit les principes de notre société  ? Ne risque-t-elle pas en effet de contribuer à transformer notre peuple en une majorité apeurée que l’on invite à se faire prédatrice en l’incitant à mener la guerre contre des minorités que l’on se représente imaginairement comme des ennemis mortels  ? Il est toujours vrai que les guerres entre pauvres permettent aux castes dirigeantes de continuer à faire des affaires et à vivre des haines que leur système produit et reproduit. C’est pourquoi, une dernière fois, je pose la question  : qui est responsable du mal-être social  : ses victimes ou ses agents  ?

Par André Tosel, philosophe, professeur émérite à l’Université de Nice.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message