Chrétiens d’Orient « Ils ont toujours été loyaux 
et constructifs avec leur pays »

samedi 25 juin 2011.
 

Alors que les affrontements reprennent entre 
coptes et musulmans 
en Égypte, l’ouvrage 
de Jean-Michel Cadiot, journaliste, spécialiste 
de la région, permet 
de mieux comprendre 
la place et le rôle 
de ces chrétiens d’Orient.

Qui sont ces chrétiens d’Orient dont on parle beaucoup actuellement  ?

Jean-Michel Cadiot. Au départ, tous les chrétiens étaient d’Orient, puisque Jésus, tous ses disciples et tous les apôtres étaient des Palestiniens juifs, donc des Orientaux. Certains de ces disciples comme Pierre, Paul ou Jacques sont allés en Europe pour évangéliser, mais beaucoup sont restés en Orient ou sont allés beaucoup plus loin, en particulier Marc qui, selon la tradition, est allé en Égypte où il a fondé une Église qu’on a appelée l’Église copte. Elle inclut les Éthiopiens, ce qui en fait de très loin la plus importante Église d’Orient. Ils sont près de 60 millions sur les 100 millions de chrétiens d’Orient. Thomas est allé en Mésopotamie, l’Irak actuelle, et même jusqu’en Inde. Dans ce pays, rappelons-le, il y a 10 millions de chrétiens de rite oriental. Cette communauté de chrétiens orientaux, il y a dix siècles, était beaucoup plus importante que la communauté « romaine », « latine ». Aujourd’hui, elle est moins importante du fait des invasions diverses, notamment musulmanes, l’Empire ottoman, le génocide arménien, le conflit israélo-arabe qui a fait fuir la plupart des chrétiens de Palestine (où ils étaient très nombreux, bien sûr), et puis la guerre en Irak, menée contre l’esprit des Nations unies, dont les conséquences sont le départ de la moitié des chrétiens de ce pays, soit cinq cent mille sur un million.

Ces chrétiens sont des gens qui ont toujours été loyaux vis-à-vis de leur pays, très fidèles, très constructifs. De leurs rangs sont issus de nombreux mathématiciens, des philosophes, des médecins. Les nestoriens, par exemple, étaient de grands médecins dans l’Empire perse, sous les Omeyyades, sous les Abbassides et sous l’Empire ottoman. Plus récemment, ils ont joué un rôle très important pour forger la conscience politique du monde arabe. C’est ce qu’on a appelé le « réveil arabe », au XIXesiècle. Ils sont à l’origine de la plupart des maisons d’édition en Égypte, en Syrie. Ils ont fondé les grands partis, comme les partis Bass, les partis communistes ou les partis libanais.

Qu’est-ce qui les différencie des chrétiens d’Occident  ?

Jean-Michel Cadiot. La plupart ne sont pas liés à Rome. Beaucoup dépendent du patriarche de Constantinople qui est orthodoxe, qui s’est séparé de Rome en 1054. Il y a eu, en 451, le départ des coptes accusés de « monophysisme » (une seule nature de dieu selon la théologie), les Arméniens et les syriaques (Syriens orthodoxes). Certains ont rejoint par la suite l’Église catholique, comme les chaldéens, les Syriens catholiques (ceux de Bagdad qui ont été la cible d’un monstrueux attentat fin octobre), les Arméniens catholiques… Les rites sont les mêmes, la différence réside dans la référence au pape.

Comment est-on chrétien dans ces pays  ? Pourquoi sont-ils décrits comme représentants des Occidentaux  ?

Jean-Michel Cadiot. Depuis une cinquantaine d’années, il y a une déstabilisation assez forte de tous ces pays, qui leur font subir des persécutions. Ils ont été souvent opprimés. Les plus graves persécutions se sont d’ailleurs produites sous l’Empire romain. C’est dire qu’ils en ont connu d’autres que ce qu’ils vivent actuellement. Je pense d’ailleurs qu’ils vont se relever. C’est bien qu’ils manifestent en Égypte, qu’ils fassent valoir leurs droits, qu’ils demandent l’égalité avec les musulmans, qu’il n’y ait pas de discriminations, qu’ils puissent construire des églises, que les responsables des agressions contre les coptes soient poursuivis et condamnés. En réalité, c’est al-Qaida qui assimile les chrétiens aux Occidentaux. Avant la guerre d’Irak, il n’y avait pas al-Qaida en Égypte et en Irak. C’était un prétexte fallacieux de Bush pour faire la guerre. Maintenant, malheureusement, al-Qaida s’est implanté. Ce sont des membres d’al-Qaida qui ont perpétré cet horrible attentat à Bagdad. Ils avaient prévenu qu’ils frapperaient l’Égypte. Il n’est pas étonnant de voir qu’une église d’Alexandrie a été touchée récemment. Mais à part al-Qaida, toutes les organisations musulmanes, comme le Hezbollah libanais, tous les pays arabes, même la République islamique d’Iran, même l’Arabie saoudite ont condamné cet attentat, soulignant que les chrétiens avaient toute leur place dans les pays à majorité musulmane. Il n’y a qu’al-Qaida qui veut effacer la présence chrétienne dans cette zone.

Quelles conséquences peut avoir l’attentat d’Alexandrie pour les coptes d’Égypte  ?

Jean-Michel Cadiot. Évidemment, d’abord beaucoup de souffrances. Mais il y a des signes encourageants. D’abord, les condamnations unanimes. Aussi, le fait que les coptes manifestent. Ils sont réprimés, risquent la prison, mais ils continuent à descendre dans la rue, réagissent très fermement. Le gouvernement égyptien est accusé de ne pas protéger suffisamment les chrétiens qui sont de toutes les couches de la société, des plus pauvres aux plus riches.

Quel avenir pour ces chrétiens d’Orient  ?

Jean-Michel Cadiot. Ils sont déterminés à rester. Il faut continuer à les aider. J’ai plus de craintes pour l’Irak que pour l’Égypte où si le pouvoir n’assure pas suffisamment les libertés, il a une certaine force. Il faut les protéger, encore faut-il le vouloir. Ce n’est pas le cas en Irak, vu la faiblesse du régime et des institutions.

Histoire et analyse géopolitique

Journaliste à l’AFP, auteur de plusieurs essais sur le Proche-Orient, Jean-Michel Cadiot a longtemps été en poste dans la région, notamment en Irak et en Iran. Cet ouvrage est indispensable pour comprendre les enjeux de la présence des communautés chrétiennes au Moyen-Orient. À l’approche historique, Cadiot ajoute une analyse géopolitique bien utile alors que certains calquent la vision « bushienne » des affrontements de civilisations, voire de religions, à l’occasion des attentats de Bagdad et d’Alexandrie. Un ouvrage indispensable qui replace ces communautés dans leur propre histoire et dans leur appartenance nationale plutôt qu’à une église.

Entretien réalisé par 
Pierre Barbancey, L’Humanité


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