Grèce suite, l’autre gauche

mardi 1er juin 2010.
 

Je racontais dans ma précédente note grecque d’hier comment l’extrême droite et ce patron grec qui cherche à devenir un nouveau Berlusconi s’étaient fort heureusement pris les pieds dans le tapis au démarrage de la course de vitesse qui s’engage avec l’autre gauche. Il ne faut pas en déduire qu’ils seraient éliminés d’entrée de jeu. Un mauvais climat politique s’est installé ici qui peut leur redonner de l’oxygène. La politique grecque vit en effet au rythme de plusieurs commissions d’enquêtes mises en place par la nouvelle majorité. L’une se penche sur le tripotage des statistiques publiques, l’autre sur la corruption de plusieurs élus par Siemens (ce qui éclabousse à la fois les socialistes et la droite), une autre encore sur des scandales liées à des opérations immobilières de l’Eglise, premier propriétaire foncier du pays, dont les relais politiques surgissent à cette occasion en pleine lumière.

De fait la photographie la plus récente des rapports de force dont nous disposons est celle qu’ont fournie les législatives de l’an dernier. Ce qui est intéressant est qu’elles se sont tenues après le déclenchement de la crise des subprimes. L’effet politique du début de la crise peut dès lors être mesuré. Les urnes ont en effet bouleversé le jeu politique. La droite sortante (parti Nouvelle Démocratie) a subi un violent revers. Or seules deux partis ont progressé depuis les législatives de 2004. Il s’agit du Parti socialiste de Papandreou, le PASOK qui a atteint les 44% après avoir mené campagne sur une ligne de gauche nettement différente de celle que portait le dernier premier ministre socialiste, Costas Simitis, un admirateur de Blair. Il s’agit ensuite dans une plus faible mesure de l’extrême-droite, et son parti Laos (rassemblement populaire orthodoxe, l’acronyme Laos signifiant peuple) qui est entré pour la deuxième fois consécutive au Parlement devenant même le 4e parti du pays. La gauche radicale, divisée entre deux forces, a reculé : Synaspismos et la coalition Syriza et le KKE communiste ont enregistré tous deux un léger repli avec respectivement 4,6 et 7,6% des voix. Dans cette première phase de la crise, l’autre gauche n’est donc pas apparue comme une réponse, et c’est surtout vers le PASOK que les électeurs en attente d’un changement à gauche se sont tournés.

Or nous entrons maintenant dans une deuxième phase de la crise. Le PASOK s’est déjà assis sur ses promesses électorales, mais les conséquences de son revirement commencent seulement à se manifester. Jusqu’à présent les sacrifices étaient surtout dans les discours. Maintenant ils sont sur la feuille de paie. On me signale des retraités qui ont vu ce mois-ci une chute de 25% de leur pension. Et personne encore n’a pris pleinement conscience que ce traitement de cheval sera inefficace. Qu’il sera donc demandé aux Grecs de nouveaux reculs, et qu’à la fin le pays ne pourra tout simplement pas rembourser la dette puisque son économie aura été jeté dans la dépression par les politiques de rigueur. C’est maintenant une certitude. Car non seulement le plan grec va provoquer une contraction de la demande domestique mais la succession de plans de rigueur dans les principales économies de l’Union va achever de nous jeter tous dans le même trou. Il aura fallu que la première expérience de coordination des politiques économiques en Europe prenne la forme aberrante d’un plan d’austérité généralisé qui va entraîner un recul simultané de tous les débouchés commerciaux des pays de l’Union et donc une spirale dépressive qu’aucune politique nationale tournée elle vers la relance ne viendra contrebalancer. Même à l’époque où il faisait la pluie et le beau temps en Amérique Latine, je n’ai pas souvenir que le FMI ait pu enclencher de tels politiques d’austérité simultanément dans une zone économique aussi importante et économiquement intégrée que l’est l’Union européenne. Il faut donc s’attendre à des désastres au carré.

Alors viendra le moment où la société cherchera une issue. L’autre gauche en Grèce en sera-t-elle une ? Mes interlocuteurs ne débordent pas d’optimisme. Ils pâtissent d’abord de leur division. C’est hélas la ligne constante du parti communiste grec, le KKE, dernier parti communiste de quelque influence en Europe qui explique que les problèmes du communisme ont commencé après Staline. Même sur le terrain syndical, le KKE a constitué un regroupement distinct, auquel adhèrent les structures du syndicat unifié qu’il contrôle, qui refuse systématiquement toute action commune avec d’autres. Autre problème qui agite Synaspismos à la veille de son Congrès (qui se tiendra dans 15 jours), l’avenir de la coalition électorale Syriza. Celle-ci, qui date de 2001, s’est régulièrement élargie jusqu’à compter aujourd’hui 11 organisations de l’autre gauche. Mais cet élargissement n’a pas entraîné de progression électorale tout en posant des problèmes importants de fonctionnement commun. Des dissensions publiques s’expriment régulièrement et affaiblissent l’attractivité de Synaspismos, notamment vis-à-vis des socialistes que mes interlocuteurs espèrent, de manière un peu optimiste à mon avis, voir rompre les rangs. Je m’aperçois que j’ai oublié de vous dire quelles étaient ces organisations regroupées dans Syriza. Synaspismos, avec ses 18 000 adhérents, est de loin la plus importante. La suivante en taille, 1 000 adhérents, est un parti post maoïste. S’y trouve également une organisation « euro-communiste », quatre partis trotskystes ( !), un groupe « écosocialiste », deux anciennes scissions du Pasok et une du KKE. On comprend que l’attelage soit difficile à manier et peine à apparaître comme une alternative de pouvoir. Mais ce serait une erreur de railler cette énumération de petites organisations radicales car elle n’est pas sans évoquer certains des fronts latino-américains récemment portés au pouvoir par la révolution démocratique qui a déferlé sur ce continent.


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