Forum de l’OCDE : les chantres du libéralisme constatent une "crise du conservatisme" et la "mise en question du capitalisme"

mardi 1er juin 2010.
 

Les chantres anglo-saxons du libéralisme, réunis ce 27 mai 2010 
à Paris au Forum de l’OCDE, sont en plein doute existentiel. Ils s’interrogent sur l’avenir de leur système.

« Jusqu’où cela va-t-il nous mener  ? » Le vieux lord Skidelsky, historien et membre du Parti conservateur britannique, en lèverait les bras au ciel. « Cela », c’est la crise, une crise qui pour lui n’est pas seulement économique et financière, mais aussi idéologique. Après la « crise des démocraties sociales » de la fin des années soixante-dix et le développement de la révolution conservatrice de Reagan et Thatcher, on assiste aujourd’hui, affirme-t-il, à la « crise du conservatisme ». Il faut mesurer la portée de tels propos prononcés dans une telle enceinte. Ils ont été tenus hier, à Paris, dans le cadre d’une table ronde ayant pour thème « l’avenir du capitalisme », à l’occasion de la seconde journée du Forum de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE. Cette institution a été créée en 1960 à l’initiative des États-Unis afin de propager dans les pays développés les conceptions américaines du développement économique. Une telle interrogation traitée dans un débat public au sein d’une institution traditionnellement sous l’emprise des Anglo-Saxons aurait été impensable il n’y a ne serait-ce que deux ans.

Une société à deux vitesses

« Les dirigeants politiques ont dû intervenir pour renflouer un capitalisme en capilotade, a poursuivi le lord anglais. Cela a nourri l’idée que les États sont au service d’une finance dont il faudrait pourtant couper les ailes car elle est devenue trop puissante. Et cela a aussi entretenu le sentiment que les banquiers s’en mettent plein les poches, ce qui est vrai. » Jusqu’où ira ce retour de balancier  ? Le baron Robert Skidelsky, aujourd’hui homme d’affaires et membre de plusieurs instituts, n’en sait rien. Il pense, certes, qu’« il faut trouver un juste équilibre entre État et marché », mais il considère « que l’on n’y arrivera pas, car c’est une sorte de quête du Graal ».

Ce doute qui saisit la finance n’est pas le fait d’un individu isolé. Anatole Kaletsky, chroniqueur économique au Times, de Londres, considère également que l’idée que « la révolution conservatrice allait créer plus de richesses aura été une illusion ». Pour lui, « l’après-crise devrait être une période de moindre croissance ». Adrian Blundell-Wignall, directeur adjoint des affaires économiques et des entreprises à l’OCDE, fait lui l’hypothèse (vraisemblable) d’une « prochaine plus grande crise que celle traversée, qui forcerait à réaliser des changements ». Lesquels  ? Pour Sharan Burrow, syndicaliste australienne et présidente de la Confédération syndicale internationale, il faut en finir avec « une société à deux vitesses dans laquelle le décalage dans le partage des richesses s’accroît ». Pour elle, « il y a des éléments fondamentaux comme l’accès à l’eau qui ne peuvent pas être laissés au marché », il y a aussi « besoin d’accroître la protection sociale, la négociation, de développer les conventions collectives, de renforcer les dépenses d’éducation et de formation ». Autour de la table, y compris chez la responsable syndicale, il y a cependant une incapacité à envisager un après au capitalisme. Les intervenants, sollicités depuis la salle par un participant demandant si l’on ne courait pas le risque d’un « retour du communisme », se sont bien gardés de répondre à la question. L’une des oratrices à la tribune, Avivah Wittenberg-Cox, créatrice d’une association de femmes qu’elle définit elle-même comme « très sensible à la culture d’entreprise », a certes affirmé que l’avenir du capitalisme n’est autre que la femme et que si « Lehman Brothers s’était appelé Lehman Sisters, il n’y aurait pas eu de crise », mais elle n’a convaincu personne.

L’austérité pour tous

Christina Romer, chef des conseillers économiques du président des États-Unis, n’a pas d’états d’âme. Tout donne à penser que pour elle, l’avenir du capitalisme, c’est Obama. Chargée par les organisateurs du Forum d’intervenir sur le thème « Emploi et croissance », elle a clairement laissé entendre que la politique de réduction drastique des dépenses publiques, c’est peut-être bon pour les Européens, mais qu’il n’en est pas question dans l’immédiat aux États-Unis. Outre-Atlantique, en effet, le souci de l’emploi est davantage affirmé comme une priorité de l’action publique que sur le Vieux Continent. Interrogée sur le sujet, elle a répondu que si « certains pays doivent en passer par des mesures d’austérité, aux États-Unis et dans certains autres pays, on peut prendre davantage de temps ». Pour elle, pourtant, « la consommation des ménages ne sera pas le moteur de la reprise ». La responsable économique mise plutôt sur deux autres facteurs  : la dépense publique, qui doit continuer à soutenir l’économie, et le développement des exportations. Pour stimuler ces dernières, les États-Unis comptent moins sur l’Europe, dont la croissance est trop faible, que sur les pays émergents, particulièrement la Chine. Pauvre Europe  !

Pierre Ivorra


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