Comment la banque mondiale risque de ruiner l’Équateur

dimanche 16 mai 2010.
 

Un pays peut-il exercer son droit de souveraineté sur ses ressources naturelles  ?

Sept cents millions de dollars. C’est ce que l’Équateur, un des plus petits pays d’Amérique latine (1), est condamné à payer à la multinationale ­Texaco-Chevron depuis le 30 mars dernier, soit l’équivalent des réparations imposées à ­l’Allemagne au lendemain de la Première Guerre mondiale (2). Et sept autres jugements à l’encontre de l’État équatorien sont encore dans les dossiers du Centre international de règlement des différends concernant les investissements (Ciadi), cet organisme d’arbitrage, dépendant de la Banque mondiale, auquel les multinationales qui ont investi en ­Amérique latine font appel quand leurs intérêts sont lésés ou simplement menacés (une forte hausse de la fiscalité ou le respect d’un salaire minimum pouvant être considérés comme des « expropriations indirectes »). De quoi ruiner totalement ce pays, dont la dette publique représente déjà 27 % du PIB, et qui a pour seul tort de vouloir exercer son droit de souveraineté nationale sur ses ressources naturelles.

Mais l’Équateur n’est pas le seul pays concerné par ces procédures d’arbitrage iniques. Presque tous les gouvernements d’Amérique latine ont, en effet, au cours des années 1970 et 1980, sous la pression économique et financière ou sous celle des armes (coups d’État au Chili et en Argentine), ­transformé de simples contrats industriels et commerciaux passés avec des investisseurs étrangers en traités bilatéraux ou multilatéraux entre États souverains (3). Et il existe actuellement au niveau mondial 2 300 traités de défense des investissements étrangers. Il s’agit pour les multinationales de protéger leurs intérêts, en soustrayant la résolution de conflits éventuels, entre un État souverain et un investisseur étranger, à la juridiction nationale du pays d’accueil de l’investissement.

La signature de ces « traités internationaux », par le passage du statut de contrat, relevant du droit commercial, en un traité relevant du droit public international, permet la poursuite de l’accord pendant quinze ans après sa dénonciation par le gouvernement national. Elle permet également de faire arbitrer les conflits par un organisme « indépendant » des États nationaux. Qui plus est, selon la logique néolibérale à l’œuvre dans cette transformation d’un contrat en un traité, cet organisme d’arbitrage « indépendant » ne relève pas d’une cour internationale de défense des droits de l’homme ou d’une cour de justice internationale régionale. Il relève de la Banque mondiale dont le président est de droit président du conseil d’administration, alors que, le rôle de la Banque mondiale étant de définir les conditions d’octroi de financements à un pays, et donc de protéger les investisseurs étrangers, elle est, par là même, juge et partie. Enfin, cerise sur le gâteau, les jugements prononcés par le Ciadi sont immédiatement exécutoires et ne peuvent faire l’objet d’aucun recours devant une autre juridiction.

Ce qui est en jeu, c’est donc la priorité donnée (ou non) à la défense des intérêts tirés de la propriété privée par les multinationales étrangères, sur la défense de l’intérêt général représenté par le gouvernement du pays d’accueil, au nom de la souveraineté populaire.

C’est la transformation de l’action légitime d’un gouvernement pour assurer la défense des ressources naturelles nationales et assurer le droit de tous ses administrés à une alimentation de qualité, à la santé, à l’éducation…, en une action qui serait illégitime car mettant en cause les «  justes bénéfices » qu’une multinationale est en droit d’attendre de ses investissements dans le pays.

C’est la primauté du droit de propriété sur les droits de l’homme que la mondialisation capitaliste cherche à étendre au niveau mondial, afin de mettre fin à toute tentative des États nations de reprendre la main sur l’économie et la finance au nom de la souveraineté populaire. Tous les pays latino-américains qui, face à la montée des revendications populaires pour la défense des ressources naturelles, les droits à l’éducation, à la santé, à l’alimentation, cherchent à se libérer de l’emprise de la mondialisation capitaliste sur leur développement l’ont compris. Ils résistent et, le plus souvent, dénoncent ces traités bilatéraux ou multilatéraux, comme l’arbitrage du Ciadi, qui leur ont été imposés dans les années 1970 et 1980. C’est ainsi notamment que l’Équateur a dénoncé, le 2 juillet 2009, ce recours à l’arbitrage de cet organisme dans les accords bilatéraux signés avec les États-Unis ou des États de l’Union européenne. Ceci, au nom du nouvel article de la Constitution équatorienne, approuvé par référendum le 28 septembre 2008, et selon lequel il est interdit de signer des accords privant l’État équatorien de sa souveraineté nationale et accordant le droit à un organisme d’arbitrage extérieur de trancher des litiges entre l’État souverain et des personnes ou des personnalités ­juridiques privées.

Mais tous les progressistes sont concernés par ces enjeux. Derrière ces conflits, sont en jeu les rapports entre le capital international et des États souverains qui ont à rendre des comptes aux peuples qui les ont élus. Pourra-t-on, ou non, reconstruire des relations économiques internationales sur des bases qui ne soient ni la main invisible de la libre concurrence et du marché ni la main de fer de la mondialisation néolibérale remettant en cause la souveraineté nationale, mais une alternative démocratique, permettant aux États de se défendre contre les attaques spéculatives et de défendre leurs ressources naturelles, un mode de développement alternatif et la promotion de tous les droits de l’homme, contre les intérêts privés  ?

Il ne s’agit donc pas seulement d’apporter notre soutien aux Équatoriens, aux ­Argentins, aux Brésiliens, aux Boliviens… mais de faire nôtre leur combat pour que les droits de l’homme, tous les droits de l’homme, soient la référence en matière de droit public ­international.

Par Véronique Sandoval, membre de la direction d’espace-Marx et du Conseil National du PCF

(1) L’Équateur est un pays de 14 millions d’habitants, grand comme la moitié de la France. (2) 700 millions de dollars, c’est 50 dollars par habitant, alors que le PIB par habitant n’est que de 3 800 dollars, 9 fois moins élevé que le PIB par habitant français. (3) Le Brésil est le seul pays du Mercosur a ne pas avoir accepté l’arbitrage du Ciadi. Sur les 232 sentences prononcées par le Ciadi, 230 l’ont été en faveur des entreprises et contre les États.


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