Mali : des femmes contre l’excision

lundi 3 mai 2010.
 

Dans un pays où 85 % des femmes sont excisées, pratique qui se systématise au septième jour après la naissance, des voix s’élèvent pour exiger l’arrêt de cet acte hérité d’une tradition ancestrale. Rencontre avec Kadidia Sidibé, une militante de la première heure.

Bamako (Mali), envoyée spéciale. Un mannequin en plâtre, avec organes génitaux féminins interchangeables, l’accompagne partout. C’est grâce à lui que Kadidia Sidibé explique aux villageois les méfaits de l’excision. Elle appelle un chat un chat et parle avec un naturel déconcertant d’orgasme féminin dans un pays où l’excision atteint des records  : selon la dernière enquête gouvernementale (2006), 85 % des Maliennes de quinze à quarante-neuf ans sont excisées. « À mon âge, je peux dire ce que je veux, les anciens m’écoutent », s’amuse cette femme de soixante-six ans. Pourtant le nom de son association, tout en longueur et en euphémisme, en dit long sur le tabou consistant à lutter contre cette pratique dans un pays comme le Mali  : Kadidia Sidibé est présidente de l’Association malienne pour le suivi et l’orientation des pratiques traditionnelles (AMSOPT), une ONG indépendante qui fonctionne grâce à des partenariats avec des associations comme l’Unicef ou Equality now.

Dans les années 1970, elle a été l’une des premières à s’élever contre la pratique de l’excision, à l’époque où l’Union nationale des femmes du Mali recommandait de « couper un tout petit peu ». Elle a dit « il faut arrêter » et a mis sur la place publique la question fondamentale du plaisir féminin. « C’est l’objet même de cette pratique qui est inhumain, explique-t-elle. Le but est d’atténuer le désir sexuel chez la femme. Comment peut-on dire cela  ? La femme est la partenaire sexuelle de l’homme, où est le couple là-dedans  ? Ça n’a aucun sens. »

La lutte est d’autant plus difficile à mener que l’excision existe depuis des millénaires au Mali. Autrefois pratiquée sur des jeunes filles de quatorze ans, puis sur des fillettes de sept ans, elle se systématise aujourd’hui au septième jour après la naissance, au moment du baptême. Selon les régions, l’excision va de l’ablation partielle du clitoris au sectionnement des grandes lèvres, voire dans les cas les plus extrêmes à l’accolement des parties génitales internes (infibulation), « on les rouvre au moment du mariage pour la consommation du mari », détaille Kadidia. Les conséquences de ces mutilations sur la santé physique et mentale des femmes sont considérables  : douleur violente, choc, hémorragie, tétanos ou septicémie, rétention d’urine, ulcération génitale et lésion des tissus génitaux adjacents, déchirures au moment de l’accouchement, fortes hémorragies pouvant entraîner la mort.

Comment expliquer, dès lors, que l’excision continue à être pratiquée si massivement  ? « Parce qu’il y a une acceptation psychologique », répond Kadidia Sidibé, qui souligne le rôle primordial des femmes dans la perpétuation de l’excision. « Moi, je lutte contre les femmes, ce sont elles qui veulent exciser. Les hommes comprennent beaucoup plus et ce n’est pas étonnant, on excise les femmes à l’insu des hommes. »

Principe contre lequel se bat Kadidia depuis des décennies  : « C’est écrit dans le Coran ». En quarante ans de lutte, Kadidia Sidibé a eu le temps d’affiner les siens. Elle prépare justement un livret sur l’excision et l’islam qui, promet-elle, va faire grincer les religieux. « Le Coran n’évoque pas les mutilations génitales féminines, argumente-t-elle. C’est un hadith qui en parle. » Musulmane elle-même, elle a sa propre lecture expliquée des sourates qui interdisent « toute modification dans la création de Dieu ». CQFD.

Ses arguments convainquent. L’AMSOPT a signé soixante conventions avec des villages de la région de Kayes, dans l’ouest du Mali. « On organise des cérémonies de dépôts de couteaux où les chefs de village s’engagent officiellement à ne plus pratiquer l’excision. » Et ça marche. Les groupes de suivi mis en place dans les villages indiquent que les fillettes n’y sont plus excisées.

Quand elle a commencé son combat, les premières études sur le sujet dénombraient 92 % de femmes excisées (1975). « Aujourd’hui, être passé à 85 %, c’est quand même une petite victoire. », dit-elle, mais il faut aller plus loin. Comment  ? Grâce à une loi interdisant ces pratiques. Le Sénégal, le Burkina Faso ou la Côte d’Ivoire ont promulgué des lois interdisant l’excision. Le Mali rechigne. « Dans les pays qui l’ont interdite, l’excision n’a pas complètement disparu, reconnaît Sidibé. Mais maintenant, les exciseuses se cachent. Il y a une prise de conscience. » Réaliste, elle ajoute que « certaines lois ne sont pas faites pour les générations actuelles, mais pour donner à réfléchir ».

Marie Barbier


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