Un an après sa fondation, le NPA est-il déjà mort ? (Stéphane Alliès, Mediapart)

mercredi 5 mai 2010.
 

Après les échecs électoraux, le NPA fait son introspection. Une fois la séquence 2008/2010 terminée, le nouveau parti anticapitaliste prend le temps de l’autocritique et entame un long processus de réflexion interne, jusqu’à un congrès en novembre qui s’avère crucial pour son avenir. L’occasion pour une formation dont le caractère hétéroclite apparaît comme une faiblesse au lieu d’être la force désirée, d’en finir avec ses impensés programmatiques. Au bout du chemin, ce sera soit le moribond soit le rebond.

Le lendemain des élections régionales (où le NPA a recueilli 2,5%) a d’ores et déjà donné lieu à des divergences d’interprétations, au sein même de la direction. Sept textes différents ont été publiés pour donner une version de la défaite [1], dont trois issus de la majorité regroupée autour d’un Olivier Besancenot aux abonnés absents. Et le comité politique national (CPN) ne compte plus qu’« entre 100 et 130 membres réguliers », sur les 190 représentants élus lors du congrès fondateurs de février 2008 [2], selon le décompte de Danielle Obono, membre de la tendance minoritaire Convergences & alternative. Selon elle, « il faut quand même nuancer ces chiffres : on peut parler d’affaiblissement, mais pas d’hémorragie. Les départs se sont faits dans le temps et pour des raisons très diverses ».

Parmi les démissions récentes, celle de l’altermondialiste Raoul-Marc Jennar (annoncée dans les colonnes de Libération) fait preuve de symbole, lui qui était l’un des emblèmes de l’ouverture de la défunte LCR trotskyste aux autres franges de l’anticapitalisme. Même si le n°2 du NPA, Pierre-François Grond, relativise, parlant d’« une demi-surprise, un peu inélégante vu qu’il avait déjà disparu depuis un an, et quand on se rappelle qu’il était pour qu’on parte seul aux européennes », la réalité s’impose toutefois : la sinistrose guette.

« On ne va pas se mentir, le climat n’est pas génial, poursuit Grond. Il s’agit désormais d’approfondir la construction de notre parti, dans son orientation comme dans ses principes. Il faut aller au bout de ce qu’on a jusqu’ici laissé en plan. Il y a une attente forte de débats en interne. » Doit-on s’attendre à des déchirements, voire à des règlements de comptes ? « Ce n’est pas l’esprit, assure le porte-parole, lui-même favorable à une remise en cause de la stratégie solitaire du NPA. Autant on n’est pas d’accord sur les séquences passées, autant l’enjeu désormais est d’écouter et d’éviter la balkanisation. On est plutôt dans la logique du rassemblement. »

S’installer en super-syndicat ou dans le jeu démocratique ?

Pour le sondeur Jérôme Fourquet, analyste qui, à l’Ifop, suit l’évolution du vote d’extrême gauche, « la question centrale est celle du comportement à adopter face aux élections : la seule dénonciation du capitalisme et du sarkozysme ne suffit pas, car elle fait progresser tous les partis à gauche, sauf le NPA. A force de se concentrer sur les luttes, il a donné l’impression au cœur de son électorat (les jeunes et les quartiers populaires) qu’il ne cherche pas à prendre les manettes du pouvoir. Or, cet électorat est celui qui s’abstient le plus ».

Selon Jérôme Fourquet, cette tendance à minorer l’élection remonte aux origines du NPA : « Dès le début de la campagne des européennes de 2009, Besancenot a tout misé sur l’importation du modèle des grèves guadeloupéennes (lire notre reportage). Mais cette stratégie s’est heurtée à la difficulté de faire déboucher une mobilisation sociale, tout en provoquant des dégâts importants dans son rapport avec les syndicats, un électorat décisif dans des scrutins où l’abstention est forte. En face, malgré toutes ses ambiguïtés, le Front de gauche a fait le jeu inverse et a surfé sur la demande unitaire, ramenant à lui des déçus du PCF. Cela pose la question du statut du NPA : être un super-syndicat qui ne se présente que pour avoir une visibilité, ou jouer clairement le jeu démocratique, donc accepter le principe des alliances ? »

Cette dualité, Leïla Chaibi la résume en une formule : « Maintenant, il faut qu’on arrête d’être deux partis en un et qu’on sache exactement ce qu’on veut être : un parti révolutionnaire qui attend la révolution qui ne vient pas, ou un parti anticapitaliste qui veut changer la vie des gens tout de suite. » Cette militante anti-précarité de l’association Jeudi noir a démissionné de la direction au début de la campagne régionale, mais a choisi de « rester dans le processus » car, dit-elle, « il y a encore un espoir : la « majo » se divise entre gauchistes purs et durs et d’autres qui entendent le message unitaire, et tout ça peut bouger au prochain congrès. Et puis, même s’il y a moins d’enthousiasme qu’il y a un an, il n’y a rien de bien excitant ailleurs. En revanche, quand on voit l’évolution du Parti de gauche de Mélenchon ou la Fase (Fédération pour une alternative écologique), même si elle ne pèse pas beaucoup, il y a des convergences possibles ».

Malgré les demandes d’une partie du CPN d’avancer les échéances à juin, le congrès a été maintenu en novembre et des réunions locales devraient animer d’ici là les discussions entre les 8.000 adhérents officiellement revendiqués (contre près de 10.000 il y a un an). Si la « minoritaire » Danielle Obono regrette que cela donne « l’impression d’un parti sans boussole stratégique, risquant de se renfermer alors que le monde et la gauche vont continuer à tourner », le « dirigeant » Pierre-François Grond juge nécessaire de « prendre le temps de réfléchir à de nouvelles réponses à la crise économique ». Selon lui, « le logiciel actuel est un peu figé sur l’interdiction des licenciements et l’augmentation des salaires de 300 euros, mais il faut aller plus loin ».

La quadrature des femmes voilées

Autre sujet de crispation : la question du voile, qui a « piégé » le NPA durant la campagne régionale, avec la candidature d’Ilham Moussaïd [3]. Alors que le NPA Vaucluse est désormais divisé en deux comités, le débat promet d’être chaud entre les partisans d’un « NPA ouvert » et ceux prônant un « NPA laïque et féministe », ces derniers avançant notamment une importante baisse dans l’électorat féminin à l’issue des régionales. « Sans doute que cet épisode a eu un impact globalement négatif sur le score, admet Danielle Obono, mais on pourrait aussi citer certains bureaux de vote où on fait trois fois plus qu’ailleurs, comme à Aubervilliers où dans les quartiers nord de Marseille… »

A Avignon, Grond préfère parler d’une « séparation à l’amiable, permettant à chacun de continuer à faire de la politique », plutôt que d’une scission entre les militants du quartier populaire de La Rocade, regroupés autour d’Ilham, et les autres, ceux qui dénoncent « une instrumentalisation de l’islam » (lire ci-dessous le communiqué du NPA Vaucluse) [4]).

L’affaire Ilham Moussaïd a laissé des traces au sein du NPA et passe mal, surtout chez les anciens de la LCR, jeunes comme vieux. Au point qu’a été votée en fin de CPN une résolution selon laquelle le port du voile intégral (comprendre le niqab ou la burqa) était incompatible avec l’engagement anticapitaliste. « C’est un peu délirant de se déchirer à ce point là-dessus, regrette Leïla Chaibi. On a quand même voté une loi contre la burqa dans le parti, alors qu’on se dit contre au niveau national ! » Pour Danielle Obono, qui est aussi membre de la commission quartier populaire, « c’est la question du type de parti que l’on veut qui est posée. Est-ce qu’on veut ouvrir, et jusqu’où ? Le débat sur le voile pourrait être très intéressant mais on l’a entamé de la pire manière possible, car il a été posé sur la place publique sans que l’on en ait discuté entre nous ».

Pour Jérôme Fourquet, c’est « la coexistence de cultures différentes qui est en jeu, comme le mode de démocratie interne. En abandonnant le centralisme démocratique de la LCR pour un parti « par en bas », la direction nationale s’est vu imposer un vote de comité local ». Mais le débat sur la religion ne devrait toutefois pas remettre en cause l’organisation interne du NPA.

Selon Pierre-François Grond, le congrès de novembre pourrait déboucher sur une position qu’il nomme « point d’équilibre » et qu’il estime pouvoir mettre d’accord « environ 80% des militants » : « Laisser la porte ouverte aux croyants, à condition que la foi reste d’ordre privé et qu’on n’assiste pas à la création d’un courant religieux au sein du NPA, portant une volonté de représentation politique de l’islam. Il faut tenir compte de la forte critique laïque et féministe, qui est portée sur la représentation du parti devant les électeurs. » Une position qui reviendrait à accepter comme militantes les femmes portant un foulard islamique, mais les empêcherait de devenir candidates si elles le conservaient. Avec le risque d’assumer des « fâcheries » avec les militants désireux de s’implanter dans les quartiers populaires, en faisant évoluer le fondement laïque du NPA [5].

Un rebond en 2012 grâce à Besancenot ?

Paradoxalement, alors que la séquence électorale que vient de connaître le parti d’Olivier Besancenot a été désastreuse, celle qui s’ouvre jusqu’à 2012 n’est pas si mal engagée, du fait de la personnalité de son leader. Jusqu’ici solitaire et perdante devant la dynamique unitaire du Front de gauche, la stratégie de l’indépendance radicale et sans concession vis-à-vis du PS paraît plus adaptée à la présidentielle. Surtout quand le Front de gauche se chamaille déjà autour des ambitions de Jean-Luc Mélenchon, pas vraiment du goût des communistes.

Au NPA, le candidat Besancenot ne fait pas débat, et la construction de la « gauche solidaire » souhaitée par Martine Aubry avec Europe Ecologie et le PCF pourrait à nouveau ouvrir aux anticapitalistes un espace politique à la gauche de la gauche. « C’est sûr que ça aurait été idéal de commencer notre histoire par ce type de scrutin, reconnaît Leïla Chaibi. Alors, si le charisme de Besancenot peut nous faire sortir de la crise, on ne va pas s’en plaindre ! Mais ça ne doit pas éluder les vraies questions, ni ne nous faire oublier de parler avec tous les autres partis de la gauche radicale. »

Pierre-François Grond explique lui aussi que, désormais, « le NPA ne doit plus cultiver l’isolationnisme, mais être à fond sur toutes les expressions unitaires de rejet à Sarkozy, à commencer par la réforme des retraites. Mais dans le même temps, on doit aussi montrer qu’on ne fait pas confiance au PS ». Or, d’après le n°2 du parti, « ce sujet va avoir de l’importance, car la question qui est désormais posée à la gauche radicale, c’est qui accepte de gouverner avec les socialistes ? ».

Toutefois, Grond ne s’illusionne pas sur la difficulté d’un rebond en 2012 : « La situation va être compliquée, car il va y avoir une forte pression de vote utile pour faire tomber Sarkozy. Même si on peut s’accorder un avantage, c’est de ne pas partir de rien : nous aurons un candidat qui sera Olivier Besancenot, ou qui sera fortement parrainé par Oliver Besancenot. Et dans une élection très personnalisée, c’est déjà ça. Mais il n’est pas un magicien. Notre objectif sera modeste. Et tant mieux si pour une fois, on est surpris en bien… »

Une fois débarrassé du « mistigri de la division », ainsi que le nomme Jérôme Fourquet de l’Ifop, le NPA peut espérer se projeter vers 2012 et « mobiliser les abstentionnistes des européennes et des régionales, car on voit que Besancenot fait encore malgré tout ses meilleurs scores en Île-de-France (où il était tête de liste) chez les jeunes et les ouvriers ».

Mais, pour le sondeur, le contexte n’est plus le même et la concurrence pourrait être plus rude : « Il va déjà être difficile de se faire entendre face à l’anti-sarkozysme, et il n’est pas sûr que la critique sur la proximité du PCF avec les socialistes soit porteuse dans un électorat surtout soucieux d’une alternance. Ensuite, le NPA n’est plus tout seul à gauche du PS. Si le Front de gauche ne perce pas, il a confirmé et accentué l’écart sur son rival anticapitaliste. Dans l’opinion, Besancenot est revenu à son niveau de décembre 2006. 46% d’opinions favorables, alors qu’il était monté jusqu’à 60%. Tout est à refaire, mais au lieu d’avoir en face un PCF en voie d’extinction et José Bové, il risque d’avoir un Mélenchon qui peut être un tribun intéressant les médias, en s’adressant au même électorat populaire abstentionniste. »

Stéphane Alliès


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