La méthode 
et la morale 
de la médecine

jeudi 22 avril 2010.
 

Médecine et Philosophie, d’ Anne Fagot-Largeault, PUF, 2010, 284 pages, 28 euros.

Anne Fagot-Largeault est philosophe et psychiatre. La double formation de philosophe et de médecin n’est pas rare. Elle a de grands ancêtres grecs comme Pythagore, arabes comme Avicenne et Averroes et, dans la tradition française récente, Georges Canguilhem, François Dagognet. La médecine, écrit-elle, n’est pas une science, c’est une pratique de soins mais c’est aussi une succession d’actes de recherche. Sa difficulté est d’avoir à intervenir toujours un peu plus loin qu’elle ne sait, étant donné la variabilité individuelle et le caractère inachevé du savoir. La maladie, la souffrance n’attendent pas. L’intervention médicale se fait donc sous une marge d’incertitude et l’acte médical est un acte à risque. L’ouvrage s’ouvre sur « la philosophie de l’hygiène » dont le premier institut a été créé à Munich en 1878. La « méthode expérimentale » (Claude Bernard) était déjà incluse dans la formation des étudiants. Aujourd’hui, la santé a pris le pas sur l’hygiène, non pas comme une absence de maladie, mais comme un « état de bien-être ».

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) assimile la santé au bonheur. La santé n’a pas de prix mais elle a un coût. Cette contradiction mérite réflexion et s’inscrit dans un courant philosophique implicite  : « 1/ Il y a du mal dans le monde, 2/ on peut y porter remède, 3/ il faut y porter remède, et même si les efforts pour y porter remède sont finalement dérisoires, il faut les poursuivre, « pour l’honneur » de l’humanité. La première assertion porte en elle toute une métaphysique, la seconde appelle une épistémologie et une méthodologie des sciences et des techniques, la troisième sous-tend une morale. Il y a eu des progrès quantitatifs, les cas de femmes qui meurent en couches, d’enfants frappés de leucémie, d’autistes qui s’automutilent, de cancéreux en fin de vie qui hurlent de douleur sont moins fréquents  ; mais aussi qualitatifs  : Darwin a quasi justifié la cruauté de la transformation des espèces par son résultat « admirable ». La morale médicale est devenue une morale compassionnelle dont l’auteure essaie de montrer qu’elle n’est qu’une illusion.

L’essentiel de la morale médicale actualise la maxime du philosophe Emmanuel Kant  : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse », en « ne fais pas aux autres ce qu’ils ne veulent pas qu’on leur fasse ». C’est sur cette mutation que porte l’ouvrage Médecine et Philosophie. Le principe de justice conduit de nos jours à des dilemmes aigus. L’accès aux soins reste inégalitaire. Il est choquant « qu’un riche Saoudien soit mieux accueilli qu’un pauvre Sénégalais dans un hôpital parisien pour un coûteux traitement du cancer ». Le coût des services de santé est actuellement l’un des grands défis lancés à la morale contemporaine. Paradoxalement, la pitié qui s’éprouve « d’en haut » met le pitoyable en état d’infériorité et accentue l’écart entre les partenaires, tandis que la compassion fragilise les compatissants.

Arnaud Spire


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