Royaume-Uni : le droit de grève en ligne de mire (par Philippe Marlière)

mardi 27 avril 2010.
 

Les banquiers de la City se portent bien, très bien même, merci pour eux ! Après avoir amené le système bancaire au bord de la faillite, ils n’ont eu aucun scrupule à venir demander l’aide d’un Etat habituellement honni.

Le gouvernement Brown a répondu à l’appel, en injectant des sommes colossales d’argent public pour éviter que la gabegie bancaire ne s’étende à l’ensemble de l’économie. L’Etat s’est porté garant de banques réputées « infaillibles ».

Fidèle à sa croyance dans le capitalisme de casino, le New Labour a socialisé les pertes bancaires, tout en permettant aux banques de bénéficier des profits futurs.

Le gouvernement avait une occasion en or pour imposer aux banques de nouvelles règles de fonctionnement plus favorables aux intérêts des ménages. Une réelle nationalisation des banques aurait permis de mettre sur pied un système bancaire populaire et de faire reculer l’influence débilitante de la City. Il en sera tout autrement. Hausse d’impôts en vue pour la middle-class

Après quelques vagues admonestations publiques, les banquiers ont vite repris du poil de la bête. Les pages saumonées du Financial Times égrènent jour après jour le montant des bonus empochés par ces maîtres de l’univers.

Les millions continuent de couler à flots, c’est « business as usual ». Ou presque, car il faut maintenant que le gouvernement recouvre l’argent qui a servi à renflouer les banques. Qui paiera ? Le peuple bien sûr !

Alistair Darling, le ministre des Finances, a déjà indiqué que le gouvernement devrait « se serrer la ceinture » et « réduire des déficits budgétaires trop importants ».

Concrètement, cela signifie une hausse des impôts pour les classes populaires et moyennes, la fermeture d’hôpitaux, le licenciement de fonctionnaires (les universités ont commencé à licencier par centaines des professeurs, ainsi que le personnel administratif), la suppression de bourses d’études pour les étudiants.

Le droit de grève anglais, le plus restrictif d’Occident

Quel que ce soit le parti qui remporte les élections législatives le 6 mai, les mesures prises seront identiques. Darling a promis des coupes budgétaires « encore plus profondes que sous les gouvernements Thatcher ».

La Grande-Bretagne est le pays européen le plus inégal et possède des services publics déplorables. Les deux partis principaux s’accordent pourtant à administrer à leur population un énième traitement de choc néolibéral. Tel est l’enjeu de la « compétition » électorale actuelle.

Que reste-t-il aux salariés dont les droits sociaux sont aussi manifestement bafoués ? Protester, se battre, se mettre en grève. La grève est un acte de résistance sociale encadré par la loi. Encore faut-il préciser que ce droit est très fortement restreint depuis les Employment Acts de 1980 et de 1982.

Depuis l’ère Thatcher, la grève constitue une rupture (et non un arrêt temporaire) du contrat de travail. A ce titre, chaque gréviste peut être légalement licencié pour fait de grève. Ce fut le cas en juin 2009, lorsque Total mit un terme au contrat de 900 employés en grève.

Il s’agit de la législation la plus restrictive du monde occidental. L’Organisation internationale du travail (OIT) a estimé à plusieurs reprises qu’elle était attentatoire aux droits fondamentaux des travailleurs. Depuis la loi de 1982, les grèves de solidarité sont interdites. En 2005, une enquête a été menée contre les salariés de British Airways grévistes solidaires des employés de Gate Gourmet, une entreprise de restauration aérienne.

La grève est votée et l’employeur traque les vices de forme

Les lois Thatcher imposent aux syndicats de poster à leur frais un bulletin de vote au domicile des syndiqués. Ces derniers le remplissent et le renvoient à la Electoral reform society (ERS), un organisme indépendant qui se charge du comptage des voix.

La grève ne peut légalement intervenir que si une majorité des membres accorde son soutien au mot d’ordre de grève. Le syndicat doit fournir à l’employeur une somme d’informations précises : noms, titres, grades, lieux de travail des syndiqués.

L’employeur n’est nullement obligé de coopérer avec le syndicat dans cette collecte d’informations. Il s’agit bien entendu d’une opération lourde, coûteuse et compliquée, destinée à poser de nouveaux obstacles sur le chemin de la grève.

Dès que la moindre erreur est relevée sur le listing fourni par le syndicat, l’employeur peut saisir les tribunaux et faire annuler le vote, même si le nombre d’erreurs n’affecte pas le résultat du vote en général. Or, ces erreurs sont inévitables : il suffit qu’un employé ait récemment été promu ou ait pris sa retraite pour que certaines anomalies apparaissent. Qu’à cela ne tienne, il faudra revoter dans quelques mois !

Récemment, les directions de British Airways et de compagnies ferroviaires ont obtenu de telles annulations sur cette base tendancieuse. Les médias britanniques titrent que les votes ont été « manipulés », alors qu’il n’en est rien puisque les modalités du vote sont gérées par un organisme indépendant. Mais en entretenant cette confusion dans l’esprit du public, les médias, les employeurs et le gouvernement cherchent à décrédibiliser davantage le droit de grève.

Blair et Brown n’ont pas remis en cause les lois Thatcher

Ces actions sont politiquement motivées : il s’agit d’étouffer dans l’œuf toute rébellion salariale contre la gestion brutale des conflits du travail en Grande-Bretagne. Le droit de grève est en ligne de mire, car les employeurs, le New Labour et les conservateurs le perçoivent comme l’un des derniers mécanismes qui permet aux salariés de résister à leur complet asservissement.

L’annulation en cascade des votes n’entraîne pas une baisse du nombre des grèves dans ce pays. Lorsque les syndiqués revotent, ils se prononcent plus nettement encore en faveur de la grève. Les lois Thatcher n’ont pas été remises en cause par les gouvernements Blair et Brown, alors même que les syndicats constituent les principaux bailleurs de fond du Parti travailliste. Ceci en dit long sur la corruption qui règne dans la plupart des directions syndicales.


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