Egalité des places ou égalité des chances. Repenser la justice sociale

dimanche 25 juillet 2010.
 

Face aux failles de la République, les programmes d’égalité des chances se multiplient. L’entreprise paraît toujours louable mais est-elle efficace  ? Et est-elle si juste  ?

Régulièrement, les journaux félicitent ici et là ceux qui entreprennent de telles actions. Tout récemment encore, ce sont six élèves de deuxième année de l’École des mines qui ont voulu aider des « lycéens prometteurs, issus de milieux modestes, à poursuivre leurs études après le bac », en lançant un programme de tutorat  : chaque mercredi après-midi, durant trois heures, tuteurs et élèves de seconde se réunissent, et ce jusqu’au bac, afin de démultiplier les chances de réussite à l’examen et plus tard au fameux concours.

« Il existe aujourd’hui deux grandes conceptions de la justice sociale  : l’égalité des places et l’égalité des chances », écrit François Dubet (1). Notre société, ces dernières années, est – reconnaissons-le – particulièrement friande de la seconde. Or, les deux sont loin d’être similaires. Si la générosité de leurs principes masque leur différence, elle n’en demeure pas moins forte. « La première de ces conceptions est centrée sur les places qui organisent la structure sociale, c’est-à-dire sur l’ensemble des positions occupées par les individus, que ceux-ci soient des femmes ou des hommes, des gens cultivés ou moins cultivés, des Blancs ou des Noirs, des jeunes ou des personnes âgées, etc. […] L’égalité des places cherche donc à resserrer la structure des positions sociales, sans faire de la mobilité des individus une priorité. » « La seconde conception de la justice, quant à elle, consiste à offrir à tous la possibilité d’occuper les meilleures places en fonction d’un principe méritocratique ». En un sens, on pourrait, en s’inspirant de Durkheim, dire  : à faire que les inégalités soient justes. Ou, dans une version revisitée, à créer l’acceptabilité de telles inégalités. On cherchera alors non pas à éliminer les écarts qui existent entre les positions sociales, mais à éliminer les discriminations, les obstacles qui empêchent certains d’y accéder. Dans le premier cas, l’acteur est défini « par son travail, sa fonction, son utilité, voire son exploitation ». Dans le second cas, il est défini par « son identité, sa nature et les discriminations éventuelles qu’il subit en tant que femme, handicapé, enfants d’immigrés ».

Certes, il ne s’agit pas de faire disparaître l’égalité des chances. Toute conception de la justice sociale, souligne l’auteur, nécessite une alchimie entre les deux conceptions. Mais notre société souffre cruellement de l’érosion de la première. Ce n’est pas l’égalité des chances qui s’échine à créer une société salariale, à vendre la force de travail à un meilleur prix, à améliorer les conditions des travailleurs, à multiplier les « places » grâce aux 35 heures ou encore grâce à la non-défiscalisation des heures supplémentaires (représentant l’année passée l’équivalent de plus de 400 000 emplois à temps plein). Ce n’est pas elle non plus qui cherchera à créer des équipements collectifs qui visent à « démarchandiser » certains biens (Esping Andersen). Taxée d’être trop corporatiste, on s’éloigne alors souvent d’elle, lui préférant celle des chances qui consiste à instaurer une « égale » compétitivité entre les individus. Là on « désouvriérise », on vérifie l’équité de la sélection et on renforce la concurrence scolaire. La perversion de ce système résultant dans le fait que l’école, qui a pour fonction de ne pas reproduire les inégalités sociales, les reproduit d’autant plus. À quoi bon l’égalité alors  ?

(1) Les Places et Les Chances. Repenser la justice sociale, Le Seuil, 2010.


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