17 AVRIL 2010 : Journée internationale des luttes paysannes

lundi 5 avril 2010.
 

DE LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE A LA SOUVERAINETÉ POPULAIRE

par le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP)

La « Journée internationale des luttes paysannes » se déroulera le 17 avril 2010, à l’initiative du mouvement paysan international Via Campesina. Le 17 avril 1996, 19 paysans du Brésil étaient massacrés par la police militaire alors qu’ils réclamaient l’accès à la terre. Depuis ce jour, chaque année à la même date, des actions sont menées par des organisations paysannes, des associations, des ONG afin de demander la souveraineté alimentaire.

La souveraineté alimentaire est un concept développé pour la première fois par Via Campesina lors du Sommet de l’alimentation organisé par la FAO (Food and Agriculture Organization – Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) à Rome en 1996. Cette notion est présentée comme un droit mondial qui laisse la possibilité aux pays ou aux groupes de pays de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leurs populations sans qu’elles aient d’impact négatif sur les populations d’autres pays.

Ainsi, Via Campesina et les mouvements altermondialistes qui la soutiennent prônent un commerce mondial juste :

* qui autorise des aides publiques aux paysans, à condition qu’elles ne servent pas directement ou indirectement à vendre moins cher des produits sur le marché extérieur que sur le marché national (dumping),

* qui garantisse un niveau de prix agricoles suffisamment rémunérateur pour que les agriculteurs pauvres puissent investir et sortir de la misère, grâce à des accords régionaux et internationaux de maîtrise de la production,

* qui autorise les différents pays ou groupes de pays à mettre en place, si besoin, des barrières douanières appropriées pour développer leur propre secteur agricole,

* qui considère que la satisfaction des besoins alimentaires de la totalité de l’humanité est une priorité de premier ordre et une condition principale de la paix et la démocratie.

Une mondialisation à marche forcée de l’agriculture

A l’inverse, les politiques agricoles internationales sont définies par les grandes puissances occidentales, au premier rang desquelles les Etats-Unis et l’Union européenne. L’objectif est triple.

Premièrement, il s’agit d’écouler la surproduction sur les marchés d’exportation.

Deuxièmement, de s’approvisionner à bas prix en matières premières dans le but d’augmenter les taux de profit des multinationales. Avec leur coût du travail dérisoire, les pays en développement sont une aubaine et des productions agricoles industrielles y sont développées. Les grands bénéficiaires sont les secteurs de l’agroalimentaire et de la grande distribution, qui augmentent leurs bénéfices dans des proportions incroyables. Ainsi, aux Etats-Unis, entre 1974 et 1993, le prix d’achat du café aux producteurs a diminué de près de 20%, tandis que le prix d’achat par le consommateur a augmenté de 240%. Mais, au delà de ces secteurs, les produits alimentaires à bas prix satisfont les intérêts de l’ensemble du patronat.

Selon un vieux principe énoncé par l’économiste anglais du XVIIIe siècle Adam Smith, l’un des pères fondateurs de l’économie libérale, baisser le coût de l’alimentation permet d’éviter d’augmenter les salaires des ouvriers – voire de les réduire – tout en laissant intact leur pouvoir d’achat.

En effet, les ouvriers sont toujours bernés lorsqu’on leur promet de meilleures conditions de vie si les prix baissent. Ainsi, en 1815, le Parlement anglais, sous la pression de la noblesse terrienne, vota les Corn Laws. Le principe était le suivant : lors des bonnes récoltes, les droits de douane étaient relevés, et ils étaient abaissés lors des mauvaises. Cette loi permettait à la gentry de s’assurer des revenus réguliers. Le Political Economy Club, fondé par David Ricardo et ses amis, défendait les intérêts de l’industrie, donc, à l’époque, du libre-échange. Ricardo a développé la théorie dite des « avantages comparatifs » : chaque pays doit se spécialiser dans ce qu’il sait le mieux faire. Exemple : le Portugal dans le vin et l’Angleterre dans l’industrie.

Avec le libre-échange, les industriels pourraient payer des salaires plus faibles, puisque les ouvriers paieraient moins cher les produits alimentaires. Ricardo profita des mauvaises conditions climatiques de 1845, suivies de la récolte catastrophique de pommes de terre en Irlande. Le 6 juin 1846 les Corn Laws étaient abrogées et le libre-échange devint la doctrine de l’impérialisme britannique.

Il avait même été annoncé aux ouvriers que du fait du libre-échange, les produits anglais seraient très demandés, ce qui entrainerait un développement de l’industrie, donc plus de travail et moins de chômage (on a vu le résultat…). Contrairement aux promesses de Ricardo, les ouvriers de l’Angleterre libérale furent tellement mal nourris qu’en 1914 l’Angleterre dut réformer un tiers des conscrits et la guerre fut faite par la classe moyenne.

Le troisième grand objectif recherché par les pays développés est enfin de contrôler autant que possible l’alimentation, afin de conserver un levier d’action puissant sur les pays émergents et sous-développés.

Concrètement, la mondialisation à marche forcée de l’agriculture – composante de la guerre économique - se fait par la suppression des réglementations et des barrières douanières, qui sont des outils que même les pays pauvres peuvent mettre en place. Pour les grandes puissances économiques, tout le jeu consistera ensuite à réclamer le libre-échange… et à s’en préserver autant que possible. Car, pour éviter une révolte de leurs agriculteurs, les pays occidentaux doivent les maintenir artificiellement compétitifs face aux productions industrielles des pays à bas niveaux de salaire. Les subventions plus ou moins déguisées permettent d’y parvenir et produisent un dumping terrible pour les agricultures paysannes du Sud. Prises en étau entre deux agricultures industrielles – celle du Nord, rendue « compétitive » par les subventions, et celle du Sud, rendue compétitive par des coûts du travail dérisoires – l’agriculture non mécanisée est jetée en pâture au marché mondial. Alors qu’on produit au Nord une moyenne de 5 000 quintaux équivalent céréales par travailleur et par année, la production manuelle au Sud est de 10 quintaux. Pour mettre au pas les pays du Sud et les convertir au libre-échange, les ruses ne manquent pas. On citera les négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui forcent chaque pays à importer 5% de chaque produit, même s’il est en situation d’excédent, ou les plans d’ajustement structurels du Fonds monétaire international (FMI), qui imposent l’abandon des cultures vivrières pour les cultures d’exportation. Le succès de ces politiques est total lorsque la prise de contrôle de ces productions se fait par des groupes étrangers, comme ce fut le cas pour le Costa-Rica. Moins de dix ans après le début d’un processus de libéralisation entamé dans les années 1980, 50% du marché agricole et 99% de la production de papaye étaient aux mains d’entreprises étrangères.

Un désastre social et environnemental

Les conséquences des politiques libre-échangistes sont désastreuses à touts points de vue. Au niveau social, elles provoquent l’exode rural au Sud, la malnutrition, voire la famine. Au Nord, elle permettent un recul progressif, puisque la « règle » est de s’adapter coûte que coûte à la concurrence internationale, et donc de s’aligner sur le pire. Les pêcheurs européens en savent quelque chose, puisque leur part de marché s’est effondrée dans les années 1990 suite à l’intensification de la pêche d’exportation dans les pays en développement par une décision éminemment politique d’ouverture des marchés. Au niveau environnemental et sanitaires, le bilan est si accablant qu’il n’est même plus nécessaire de rappeler le lien direct entre l’agriculture intensive et la dégradation de la planète, ni de citer les nombreuses crises sanitaire comme celle de la vache folle ou de la grippe aviaire. Enfin, l’ultime conséquence de la conversion au libre-échange de l’agriculture est que le marché mondial, dans lequel chaque économie, chaque peuple, est en concurrence avec son plus proche voisin, ouvre une voie royale aux spéculateurs. Le développement de la finance n’est ni un hasard ni un phénomène naturel. Il est le produit de la dérégulation et de l’organisation planétaire du marché. La crise alimentaire de 2008, principalement due aux mouvements spéculatifs sur les matières premières agricoles, est elle aussi une conséquence directe du libre-échange. Elle vient s’ajouter à un passif terrible et prouve s’il en était besoin qu’il faut en finir au plus vite avec ce système.

Faire de la souveraineté alimentaire une composante de la souveraineté populaire

Le M’PEP partage la vision de l’agriculture portée par Via Campesina et considère que la souveraineté et la sécurité alimentaires sont une composante incontournable de la souveraineté populaire que nous revendiquons. En effet, l’alimentation est un droit fondamental et une nécessité vitale pour les citoyens. Mais le droit à l’emploi et à une vie descente est également indispensable, et en est même la condition. La souveraineté doit donc être totale : alimentaire, environnementale, sociale, industrielle... En définitive, c’est bien la souveraineté populaire, incarnée dans la souveraineté nationale, que nous devons réclamer, à savoir le droit pour les peuples de décider librement de leur avenir, et non d’en confier le soin aux multinationales et à la finance.

Cela permettra à chaque pays de maîtriser leur foncier agricole. En effet, des millions d’hectares de terres agricoles sont accaparées (louées ou achetées) dans les pays pauvres, particulièrement en Afrique, par des firmes multinationales et des puissances étrangères (par exemple la Chine), pour y pratiquer des cultures intensives mécanisées.

Il ne faut pas se leurrer, soit ces productions serviront à la consommation alimentaire de la Chine dont une grande partie du territoire n’est pas fertile, soit à leur exportation afin de concurrencer les agricultures européennes, nord américaines et… africaines ! Non seulement les Africains n’y gagneront rien, mais ils y perdront. Il existe le même phénomène en Ukraine où des milliers d’hectares sont achetés par des investisseurs étrangers, européens ou autres. La productivité est énorme du fait de la richesse du sol (l’Ukraine est le grenier de la Russie où le Père Goriot de Balzac voulait aller acheter du blé) et les agriculteurs très performants.

Le M’PEP propose un ensemble de mesures permettant à chaque peuple de la planète de conquérir leur souveraineté populaire et nationale :

des mesures protectionnistes dans le cadre de la Charte de la Havane, ce qui impose de sortir de l’OMC,

dans l’immédiat la désobéissance européenne, avant une éventuelle sortie de l’Union européenne, pour refuser l’eurolibéralisme et, en particulier, pour changer radicalement de politiques agricoles (interdiction des Organismes génétiquement modifiés, soutien à l’agriculture durable, relocalisations...), ce qui ne peut se faire dans le cadre de l’actuelle Politique agricole commune,

le droit opposable à l’emploi,

le démantèlement des marchés financiers, la fermeture de la Bourse de manière à stopper la dictature de la finance et la spéculation, notamment sur les matières premières alimentaires, la reprise en main de la création monétaire et des banques,

l’annulation de la dette des pays les plus pauvres et la reconnaissance de la dette écologique qu’a contracté le Nord vis-à-vis du Sud.

La terre agricole doit être protégée et défendue. Ainsi, en France, se développent dans plusieurs départements des collectifs qui tentent de faire des inventaires du foncier agricole qui se trouve menacé par toutes sortes de projets urbains, implantation de zone commerciale, émergence de pôles ludiques touristiques... Le M’PEP soutient ces initiatives. Ne pourrait-on pas envisager un service public régional, départemental et/ ou communal de préservation du patrimoine agricole ?

Le M’PEP propose un en semble de mesures permettant à chaque peuple de conquérir leur souveraineté populaire et nationale. C’est sur ces bases que le M’PEP appelle à participer aux mobilisations locales organisées le 17 avril 2010.


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