"L’urbanisme ne peut remplacer la politique sociale » (Philippe Vignaud)

mardi 20 décembre 2011.
 

L’architecte-urbaniste Philippe Vignaud jette un regard très critique sur la rénovation urbaine, qui « laisse les ghettos se reconstituer ».

Philippe Vignaud est architecte-urbaniste. Auteur de l’ouvrage la Ville ou le chaos (Éditions Non-lieu, 2008, 15 euros), il interroge la politique de la ville menée dans notre pays depuis plusieurs dizaines d’années. En 2008, il est devenu rapporteur du conseil de développement durable de la Seine-Saint-Denis.

Vous êtes critique sur le travail 
de l’Anru. Pourquoi  ? Philippe Vignaud

L’urbain ne peut pas tout. Ce qui est cassé dans le champ social ne peut pas être réparé dans celui de l’urbain. On ne remplacera pas la formation et l’accès à l’emploi par une forme urbaine, par des HLM repeintes ou restructurées, ou, dans le meilleur des cas, par du développement durable. L’Anru a laissé le ghetto urbain, social et ethnique se reconstituer sur lui-même. Dans le meilleur des cas – à savoir quand elle va au bout de ses projets, ce qui est la moindre des choses –, l’Anru n’a fait qu’accompagner ce phénomène. Il y a un pan de la société française qui est complètement en dehors du champ du travail. C’est là qu’est le fond du problème. Ces quartiers, à l’origine, représentaient une valeur : parce qu’ils étaient neufs, parce que leur population avait du travail, parce qu’il y existait une certaine mixité sociale. Ça fonctionnait plutôt bien. Avec la crise, ils se sont enfoncés dans le gouffre où ils se trouvent maintenant. Laisser croire qu’on pourrait remplacer une politique sociale (formation, emploi, santé…) uniquement par une politique urbaine est un leurre profond, absolu.

N’y a-t-il rien à sauver de cette 
politique urbaine  ?

Philippe Vignaud. Elle ne fonctionne que pour les petits quartiers, en province. Une barre est démolie, on fait un peu d’espace public et, s’il y a un élu courageux, il joue sur la carte scolaire, et on y arrive. C’est autre chose quand on est face à des quartiers de plus de 10 000 habitants, parfois 20 000, comme au Val-Fourré à Mantes, à Aulnay ou à Sevran. Là, il est impossible de mutualiser avec ce qu’il y a autour. Les quartiers, qui avaient de la valeur à l’origine, n’ont aujourd’hui que des coûts, urbains, sociaux… Une détestation collective s’installe. Et la politique urbaine est en échec.

Quelles sont les solutions pour 
ces quartiers, selon vous  ?

Philippe Vignaud. Il faut penser totalement autre chose. Il va falloir refonder ces territoires urbains en amenant autre chose que du logement social. Et il est impossible d’y parvenir sans renforcer la loi SRU, de manière coercitive et puissante, afin de construire ailleurs. C’est indispensable pour qu’on puisse féconder ces territoires différemment avec des activités, avec des logements d’une autre nature, des équipements de grande dimension, de type hôpital ou de ce genre. Il faut modifier complètement notre regard sur les quartiers.

Avez-vous une expérience personnelle 
de cette démarche  ?

Philippe Vignaud. J’ai travaillé sur une vingtaine de dossiers Anru. À chaque fois qu’on a proposé de faire baisser la pression de la grande pauvreté dans les quartiers, toutes 
les raisons ont été bonnes pour que, in fine, on reconstitue le ghetto sur lui-même. 
La question doit être posée au niveau 
de la nation. Le problème, c’est que l’État, 
au plus haut niveau, cherche à nous 
dissuader de le faire. Comment croire, 
après le discours de Dakar et l’épouvantable débat sur l’identité nationale, qu’on veuille accueillir les populations d’origine immigrée ? À ces discours s’ajoutent l’échec de la politique de la ville et la mise sous tutelle policière de ces quartiers. On ne s’en sortira pas comme ça.

Entretien réalisé par Dany Stive


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