Jaurès, les socialistes, la République et les retraites

mardi 30 mars 2010.
 

À l’heure des tentatives de remise en question du système de protection social français, Gilles Candar et Guy Dreux relisent les grands débats fondateurs du pacte républicain.

Une loi pour les retraites, débats socialistes et syndicalistes autour de la loi de 1910 Candar et Guy Dreux Éditions le Bord 
de l’eau, 2010, 328 pages, 20 euros.

« Quand l’ouvrier a en perspective un secours assuré, il se croit dispensé d’avoir de la prévoyance et de faire des économies, et alors vous détruisez la famille, vous compromettez la société elle-même. » Ces propos de Victor Grandin, député d’Elbeuf à la Chambre des députés le 18 janvier 1844 (1), reviennent en mémoire à la lecture de l’ouvrage que Gilles Candar et Guy Dreux publient opportunément, alors que la remise en question des acquis sociaux est à l’ordre du jour  : « Défaire méthodiquement le programme du CNR », ose écrire Denis Kessler, ancien vice-président du Medef.

Or, c’est très exactement contre cette insécurité, cette « insolidarité » selon le mot de Jaurès, que les promoteurs de la loi de 1910 voulaient lutter (p. 321). Les deux auteurs encadrent les confrontations entre Jaurès, Thomas, Guesde, Merrheim, Hervé, Sembat, Vaillant, syndicalistes révolutionnaires et syndicalistes réformistes, d’une introduction et d’une postface dont la pertinence ravira tant les historiens du mouvement ouvrier et de la législation du travail que les militants actuels.

La protection sociale et les cotisations de retraite doivent-elles avoir un caractère obligatoire ou être laissées à la seule responsabilité individuelle  ? Doit-on accepter ce qui pourrait affaiblir l’ardeur révolutionnaire et atténuer la volonté de changement global  ? Ou, comme Jaurès, estimer que les premiers pas de « l’État providence » n’entament en rien le but final, qui reste la propriété sociale des moyens de production  ? Le fondateur et directeur de l’Humanité met l’accent sur tout ce que la loi apporte avec elle  : la cotisation patronale obligatoire, le soutien de l’État, le principe de l’assurance pour tous et la généralisation du droit.

Les deux historiens mettent en évidence un cas concret de la méthode jaurésienne. Jaurès a repris à Marx et Engels le concept « d’évolution révolutionnaire » en l’élargissant, et il en a fait le principe directeur de l’action et de la propagande du socialisme unifié.

Soulignons combien la lecture de cet ouvrage fournit un argumentaire excellent  ; les références précises, les notes de bas de page sur la loi de 1910, en font un outil indispensable dans le combat politique et social présent. Comme pour la santé, la famille, le logement, l’âge du départ à la retraite et son principe même, l’intention gouvernementale n’est-elle pas d’individualiser les charges et les bénéfices de notre système social, issu en effet du Conseil national de la Résistance.

Pierre Largesse, historien

(1) Le Moniteur, 19 janvier 1844. Victor Grandin (1797-1849) un des plus grands drapiers de France et, selon Marx, « l’organe le plus fanatique de la réaction bourgeoise » (Les Luttes de classes en France 1848-1850).


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