Nous avons besoin de régions, pôles de résistance

samedi 13 mars 2010.
 

A) Des régions pôles de résistance contre l’austérité

Le gouvernement prépare la France à une nouvelle cure antisociale  : réforme des retraites, suppressions de postes dans le secteur public… La gauche peut et doit porter un autre projet dans les régions pour contrecarrer cette politique.

Des lendemains qui déchantent. La majorité de Français, qui disaient désapprouver à 63% la politique économique du chef de l’État, risque encore de faire face à des déconvenues majeures une fois les élections passées. Mi-février déjà, lors de la présentation du troisième rapport d’étape de la révision générale des politiques publiques (RGPP), le ministre du Budget, Éric Woerth, se félicitait de la suppression de 100 000 postes de fonctionnaires entre 2007 et 2010. Malgré le récent rapport de la Cour des comptes qui qualifiait la RGPP de « démarche purement quantitative » faisant peu de cas des besoins de la population en termes de services publics, le gouvernement a bien l’intention de maintenir le cap.

« Le vibrant hommage aux personnels des services publics » rendu par le président, dans son discours de Laon, a « tout du baiser de Judas », selon le député communiste Roland Muzeau. D’un même élan, la réforme des retraites s’inscrit pleinement dans ce nouveau plan d’austérité autour du triptyque augmentation des cotisations-hausse du nombre d’annuités-baisse des pensions, présenté par la droite comme autant d’alternatives. Dans ce contexte alourdi par la crise économique, les régions peuvent, par les politiques qu’elles engageront, faire office de contrepoids et de pôles de résistance aux dégâts de la politique de la droite.

Lina Sankari

1 Fonds publics : changer les critères

Le chômage continue d’augmenter en France, les plans de licenciement se succèdent, et pourtant, les entreprises n’ont jamais reçu autant d’aides des pouvoirs publics. L’an dernier, ce sont environ cent milliards qui ont été versés aux entreprises, la plupart du temps sans contrôle ni suivi de leur utilisation. Pis : certains grands groupes pratiquent le chantage à la délocalisation pour bénéficier de fonds publics et n’hésitent pas à licencier pour autant. Compétence centrale des régions, le développement économique, via les aides régionales aux entreprises, pose désormais la question de leur conditionnalité et de leur transparence. Une exigence qui monte dans le débat public et dans les luttes, les salariés y ayant un moyen de reprendre la main sur les décisions des grands groupes et de les responsabiliser socialement et écologiquement. Les régions doivent-elles continuer à abonder les trésoreries d’entreprises parfois florissantes, ou au contraire en faire un outil pour la création d’emplois stables et qualifiés ? Pour le Front de gauche, un fonds régional pour l’emploi et la formation pourrait servir de « levier » pour mobiliser « sélectivement » le crédit bancaire en faveur notamment des PME-PMI qui n’y ont pas accès, les banques préférant continuer à spéculer comme avant la crise.

SÉBASTIEN CRÉPEL

2 Transports : résister à la libéralisation

Depuis le transfert de la compétence des transports en 2002, les régions ont énormément investi pour les matériels roulants, la tarification, mais aussi dans ce qui n’était pas de leur compétence légale au début : la rénovation des gares, voire l’entretien du réseau. L’amélioration de l’offre a entraîné une forte augmentation du trafic (+ 55 % entre 1997 et 2007). Ce bilan est néanmoins entaché de faiblesses qui peuvent devenir graves pour l’avenir, quand l’État oblige la SNCF à se désengager des TER, quand il supprime des postes de cheminots, liquide l’activité fret… Les élus régionaux doivent faire face en mobilisant les usagers pour obliger la SNCF à respecter ses engagements, et empêcher ainsi l’ouverture de la concurrence des TER. La dégradation de la qualité de service due aux carences de la SNCF laisse une porte ouverte aux partisans de l’ouverture du marché des opérateurs, parmi lesquels on trouve des associations d’usagers, voire des élus régionaux. C’est pour l’avenir de transports régionaux efficaces et accessibles, tout l’enjeu des élections.

JACQUES MORAN

3 Logement : conditionner les aides

Si le logement n’est pas directement de leur ressort, les conseils régionaux peuvent intervenir dans ce domaine grâce à la clause générale de compétence. Et, donc, suppléer aux désengagements de l’État. Ainsi en a-t-il été en Île-de-France, lorsque la majorité sortante s’est attelée à la création d’une agence foncière régionale réunissant tous les acteurs du mouvement HLM. Zone particulièrement tendue, l’Île-de-France devait, outre la réhabilitation et la construction, prendre en main le rééquilibrage social et spatial du territoire. Cette agence, conçue comme un levier antispéculation, devait donc acquérir des terrains et favoriser le parc social. Pourtant, les Hauts-de-Seine et les Yvelines, dirigés par la droite, ont refusé de jouer le jeu en créant leurs propres agences foncières aux règles peu contraignantes. Ainsi, en ces terres, la spéculation foncière et une production peu diversifiée de logements peuvent continuer. Se pose alors la question de l’équité territoriale et des contraintes à appliquer pour les départements réfractaires. À ce titre, des sanctions financières pourraient abonder un fonds dédié à la construction régionale et à cette agence foncière. Par ailleurs, le Front de gauche propose de conditionner pour une part les subventions régionales au respect de la loi SRU et à l’objectif de construction de 20 % de logements sociaux.

L. S.

4 Services publics : défendre et mobiliser

Les conseils régionaux peuvent agir dans une multitude de domaines relevant de leur compétence (santé, culture, formation professionnelle, éducation) ou se situant à leur lisière. Ainsi, dans le domaine de la santé : officiellement restreint à la prévention et à la lutte contre les épidémies, voire au financement d’équipements sanitaires, leur rôle peut être élargi à la défense des hôpitaux menacés de fermeture et du regroupement des services dans les grands centres régionaux, au détriment de l’accès aux soins et de la sécurité des malades. Rien n’interdit aux régions d’exiger de l’État un moratoire sur ces projets ou sur celui de la restructuration en cours de l’AP-HP menée au nom des économies à réaliser sur le système de santé. Rien n’interdit non plus aux régions de jouer un rôle actif dans la mobilisation pour la défense des services publics de proximité menacés par la révision générale des politiques publiques, la défense du mouvement sportif associatif, la défense de l’école publique et laïque en supprimant les aides aux établissements privés, etc.

S. C.

B) « Les régions doivent être des collectivités de combat » (André Chassaigne, député, président de l’Association des élus communistes et républicains, tête de liste du Front de gauche en Auvergne

Pourquoi présenter
 des listes du Front 
de gauche 
au premier tour des élections régionales  ?

André Chassaigne. En présentant des listes, nous voulons, au plan national, conforter le Front de gauche comme une force utile pour pousser la gauche à s’engager sur les bases d’une transformation indispensable de la société. En région, nous voulons faire la démonstration que l’on peut conduire des politiques qui ne soient pas un simple amortisseur social des choix gouvernementaux. Il faut reconnaître que c’est ce positionnement-là qui, pour l’essentiel, a été mis en place dans les régions. Quand, en 2004, la gauche a gagné 20 régions sur 22, on nous a dit  : « Vous allez voir ce que vous allez voir  ! » Au final, l’Association des régions de France a davantage été un conglomérat de potentats locaux attachés à leur pré carré qu’un pôle de résistance à la politique du pouvoir.

Aujourd’hui, quelle devrait être l’attitude 
des régions  ?

André Chassaigne. Être en rupture avec la façon d’être et de faire actuellement. Il faut systématiquement se poser une question quand nous prenons une décision  : celle-ci accompagne-t-elle les orientations libérales du pouvoir ou constitue-t-elle un acte de résistance au service des populations  ? Pour moi, les régions doivent être des collectivités de combat. Un exemple  : doit-on continuer d’accepter que des grands groupes fassent la course aux subventions auprès des collectivités, les mettent en concurrence, 
le tout sans contreparties sociales et au seul bénéfice des actionnaires  ? Je trouve cela indécent. De même, dans ma région, en Auvergne, il y a 26 milliards d’euros en dépôt dans les banques, dont 20 sous forme de crédit. En conséquence, 6 milliards ne sont pas utilisés alors que les PME, les agriculteurs ont des besoins non satisfaits. Il faut rompre avec ces pratiques. L’argent public ne doit pas servir à verser des dividendes ou à spéculer, mais être utile à l’économie et à l’emploi, au développement des services publics… C’est cette orientation que nous voulons porter en région 
et lui donner ainsi une force nationale.

Mais, alors, s’agit-il d’élections de dimension nationale ou seulement régionale  ?

André Chassaigne. Je ne saucissonne pas les choses. Notre remise en cause de la politique gouvernementale n’est pas coupée de nos orientations régionales, 
au contraire. Résister, c’est être offensif 
en région dans la mise en œuvre, dans tous les domaines, de mesures qui répondent aux besoins des populations.

Quel est l’enjeu du premier tour, selon vous  ?

André Chasssaigne. C’en est fini des positions définitivement acquises. Il n’y a pas ceux qui représentent la gauche et les autres qui portent les valises. Nos listes ne sont pas des listes de témoignages. Nous avons l’ambition, comme les autres, d’arriver en tête au premier tour et de battre la droite. Ce sont les électeurs qui feront le rapport des forces à gauche au premier tour. S’ils veulent que nos propositions avancent en région et au plan national, ils doivent oser le Front de gauche le 14 mars.

Entretien réalisé par Max Staat

C) Quand la région bataille pour l’emploi

Appui à l’intervention des salariés dans les choix de gestion, facilitation de l’accès au crédit bancaire… les régions ne sont pas condamnées à la distribution sans conditions d’aides publiques aux entreprises. En Rhône-Alpes, sous l’impulsion d’une élue PCF, le dialogue social a pris corps.

Lors du basculement, à la surprise générale en 2004, de la région à gauche, Christiane Puthod (PCF) se retrouve déléguée à l’emploi. « Une responsabilité compliquée, puisqu’il s’agissait avant tout d’une compétence de l’État », explique-t-elle. D’entrée, le conseil régional convoque une conférence sociale avec le patronat et les syndicats. Il en ressort deux constats alarmants sur la politique régionale à l’œuvre avant 2004. Seules les grandes organisations patronales étaient alors consultées pour dresser les grandes orientations  ; les syndicats, eux, jugés trop revendicatifs, étaient tenus à l’écart. Pis, les entreprises, en particulier les plus grosses, pouvaient disposer, sans aucune condition, d’aides multiples sans aucune efficacité avérée en termes d’emploi. « La région était une sorte de guichet ouvert qui avait développé beaucoup de subventions. Il a fallu faire en sorte qu’elle devienne un lieu où les salariés puissent savoir que leurs intérêts seraient pris en compte  ! martèle l’ex-secrétaire générale CGT du Rhône. Ce qui n’a pas été une mince affaire, parce que la tendance était de faire mieux, mais en continuant ce qui s’était fait précédemment. » Très vite, le conseil régional met en place un appui financier de 700 000 euros afin que les représentants des syndicats puissent participer aux réunions « stratégiques » organisées par la région, dans les territoires, sur les problèmes économiques et sociaux, la législation du travail ne le permettant pas. « Il ne s’agissait pas de fonds pour faire fonctionner notre organisation, mais de l’argent public permettant aux syndicats d’élaborer de véritables projets pour les salariés », précise Élisabeth Le Gac, secrétaire générale de l’union régionale CFDT. Constat identique pour Bruno Bouvier, secrétaire général de la CGT en Rhône-Alpes  : « Nous avons été considérés comme une force de proposition, c’était une petite révolution. » « J’ai remis du social dans l’économie », affirme sans prétention Christiane Puthod.

Face à la frilosité des banques

Dans le même temps, une commission de suivi et d’évaluation des aides publiques régionales aux entreprises, composée d’élus et élargie aux organisations syndicales de salariés et d’employeurs, est créée. « J’aurais pu m’en tenir au simple état des lieux, confie la conseillère régionale communiste. Ce n’est pas ma culture. » En pleine crise de la chaussure, en 2005, elle se rend à Romans (Isère). Un chef d’entreprise en difficulté lui explique qu’il n’a pas besoin de subventions publiques, mais de crédits bancaires, et que, pour cela, il se heurte à la frilosité des banques. À ses yeux, la région ne peut rien pour lui. La réflexion chemine parmi les membres de la commission et débouche sur la mise en place du « fonds régional pour l’emploi en Rhône-Alpes » – un dispositif de garantie bancaire qui permet aux entreprises d’obtenir un crédit à condition qu’elles maintiennent ou développent l’emploi. « Avec 2 millions d’euros de fonds de garantie de la région, les entreprises lèvent environ 90 millions d’euros de crédits auprès des banques », indique Christiane Puthod.

Au troisième trimestre 2008, la crise frappe très fort en Rhône-Alpes. Première région sous-traitante de France, elle subit de plein fouet la chute de la production industrielle. À l’instar de la vallée savoyarde de l’Arve, où près de 30 000 personnes se retrouvent sans travail. « Nous avons très vite réuni les partenaires sociaux. Et nous avons alors développé un outil déjà mis en place pour les salariés, le “fonds régional d’action d’urgence”. » Un fonds visant à aider les salariés des sociétés de moins de 50 personnes, démunies de comité d’entreprise, lorsque celles-ci société sont en difficulté ou qu’il y a un risque potentiel pour l’emploi. La région met à leur disposition une expertise afin de rechercher une alternative aux licenciements. Du côté des dirigeants, il s’agit, dans les soixante-douze heures, d’obtenir l’aide d’un expert. « Une sorte de petit samu », confie Christine Puthod. En utilisant cette expertise, les salariés peuvent contester, sur le fond, une décision qui leur serait fatale. « L’équivalent régional du droit suspensif des CE sur les licenciements, revendiqué par la CGT », note l’élue. Pour aller vite, les dossiers sont directement confiés aux organisations patronales (quand la demande émane d’un chef d’entreprise) et syndicales (lorsque la demande émane des salariés). Une façon de faire peu orthodoxe mais qui s’avère plus efficace car « les salariés préfèrent téléphoner aux syndicats qu’à la région », explique l’élue communiste. Mis en application rapidement, ce dispositif, pour un coût limité de 2 millions d’euros, obtient un franc succès  : les dossiers sont nombreux. Les habitudes sont bousculées. « Certains salariés, lorsque nous leur avons parlé du fonds d’urgence, ne comprenaient pas qu’ils avaient la possibilité de faire appel à un expert pour émettre un projet alternatif. C’est un choc culturel », explique Jean-Pierre Petit, de la CFDT. « Un dispositif exceptionnel bien adapté », salue même le Medef régional. Pour la CGT, « l’avantage est de montrer la cohérence d’une alternative, mais cela implique un réel suivi et ne dispense pas d’instaurer un véritable rapport de forces avec l’employeur. Car, au bout du compte, c’est lui qui a le dernier mot ».

Des aides sous conditions

En six ans, Christiane Puthod a le sentiment d’avoir été utile aux citoyens. Mais elle ne se cache pas les limites de son action. Alors que la région gère 200 millions d’euros pour l’action économique, sa délégation ne dispose que d’un budget de 8 millions d’euros. « Ils m’ont laissé m’occuper de ce qui allait mal, mais il reste encore beaucoup à faire », estime-t-elle.

Sa commission régionale de suivi et d’évaluation a travaillé sur une charte de contractualisation des aides. L’objet  : « Faire en sorte qu’elles comportent des obligations sociales et environnementales pour faire changer les comportements. » Un projet bloqué par l’exécutif dans les couloirs du conseil régional. Les raisons  : trop contraignant en temps de crise, trop peu de moyens en personnel pour le mettre en application. « Une véritable bataille de chiens  ! explique le syndicaliste Benoît Bouvier. C’est là qu’on voit que nous touchons à quelque chose de sensible. » À nouveau candidate sur la liste du Front de gauche, Chritiane Puthod n’a pas l’intention de lâcher l’affaire  : « J’ai joué un peu les trublions en m’appuyant fortement sur les organisations syndicales de salariés, de la CGPME et de l’UPA. Je compte bien faire appliquer cette charte et même l’étendre à l’ensemble des aides accordées par la région. »

Clotilde Mathieu

D) La gratuité dans les transports !

Le Front de gauche en Paca revolutionne l’approche de la question des transports collectifs.

À droite comme à gauche, il n’y a pas un homme politique qui ne souligne l’importance des questions des transports en commun. Seulement, particulièrement dans la majorité présidentielle, entre les discours et les actes, il y a un monde. Le Front de gauche, lui, a osé. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, il propose la gratuité sur les réseaux TER. Une idée qui est au centre des débats en Paca. Gérard Piel, vice-président (PCF) en charge des transports dans l’exécutif régional de gauche sortant, rappelle  : « Nous avons triplé l’offre des TER, acheté du matériel neuf, ouvert des gares, investi 300 millions d’euros par an… » Mais, pour lui comme pour Jean-Marc Coppola, vice-président (PCF) sortant du conseil régional et tête de liste du Front de gauche en Paca, il faut, au regard des besoins et des enjeux environnementaux, aller plus loin. « Nous sommes arrivés au bout de ce qui était possible en matière de tarification sociale », affirme la tête de liste. La gratuité coûterait 80 millions d’euros (4 % du budget régional). Les entreprises, les sociétés d’autoroutes seraient mises à contribution ainsi qu’une partie des recettes des radars. Pour Jean-Marc Coppola, « c’est une mesure sociale et écologique, une proposition urgente et réaliste pour amener les gens à laisser leur voiture et prendre le train. C’est un choix de société », conclut-il.

M.S.


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